Le choix des mots à Washington : une manifestation qui dégénère ou une insurrection ?
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L’intrusion de partisans pro-Trump dans le Capitole, le mercredi 6 janvier 2021, qui a conduit à l’interruption de la cérémonie de certification de Joe Biden, n’a pas fini de faire couler de l’encre. Engoncés dans leurs tuniques de la bien-pensance, les radios et journaux nationaux dénoncent unanimement le populisme, porté et encouragé aux États-Unis par Donald Trump, comme un poison de la démocratie qui se serait déjà diffusé dans toutes les veines de l’Europe. Et d’instrumentaliser ces scènes de « chaos », cette « insurrection », inimaginables outre-Atlantique, pour nous mettre en garde contre les dérives de la manipulation de l’information de politiciens (peu fréquentables et peu respectables, comprend-on entre les lignes) qui ne chercheraient qu’à diviser pour enfin régner.
Comme si l’attrait du pouvoir, considéré comme une fin en soi par les grands de ce monde, était une nouveauté à laquelle la France aurait, jusqu’alors, échappé. Peut-être faute de ne compter, dans ses derniers chefs d’État, aucun grand homme, d’ailleurs. Les œillères du prêt-à-penser ne permettent qu’un seul regard : le président américain n’a eu de cesse de propager de fausses informations, d’encourager les théories du complot et de manipuler l’opinion publique nationale. Ces œillères sont si étroites qu’elles aveuglent un peu plus les commentateurs de nos radios nationales : ceux-là mêmes qui susurrent, chaque matin, à l’oreille des Français ce qu’ils doivent penser.
Mais au royaume des aveugles, les borgnes sont rois. Soyons précis sur les mots. Tout d’abord, l’intrusion dans le Capitole de partisans, évacués en quelques heures, n’est pas une scène de chaos. Le chaos, c’est l’effondrement de l’ordre et son remplacement inéluctable par un désordre profond. Il ne s’agit pas, non plus, d’une insurrection (considérons, par exemple, la Commune de 1871) mais, tout au plus, d’une manifestation un peu musclée et qui, d’ailleurs, ne rivalise pas une minute avec celles qui ont régulièrement lieu à Paris – au symbole près du Capitole, il faut le reconnaître. Je vois donc autre chose dans ce soulèvement populaire à Washington : la déconnexion des élites et celle du quatrième pouvoir, celui-ci depuis trop longtemps domestiqué par ceux-là. En d’autres mots, mieux exprimés par Charles Maurras, la fracture entre « le pays légal » et « le pays réel ».
Il ne s’agit pas de savoir si Donald Trump a soufflé sur les braises de la division, ni de discuter la légalité du scrutin américain, ni même la légitimité et la laideur comptable d’un système électoral qui impose à une moitié de la population le choix de l’autre moitié (rapportée à la population des États-Unis, la différence de votes entre le camp des démocrates et le camp des républicains s’élève à 2,1 points). Il s’agit de se rappeler qu’un chef d’État est responsable devant des puissances qui lui sont bien supérieures : le peuple dans son ensemble, chacun des individus qui le compose, mais aussi devant l’histoire de son pays, passée et à venir, pour ne considérer que les puissances terrestres. Il doit agir avec fidélité, c’est-à-dire en cherchant à faire au moins aussi bien que ses prédécesseurs. Il doit unifier la nation, condition sine qua non de la pérennité du pays et sans laquelle des manifestations puis des soulèvements éclatent.
Nous sommes bien placés, en France, pour le voir et le savoir. Mais ici, comme aux États-Unis, il n’est nulle question d’insurrection ni de chaos. La rue appartient à celui qui y descend, pour y retrouver ce que le pays légal lui doit : de la considération et de l’espoir en l’union nationale. Alors, ne nous laissons pas aveugler par le prêt-à-penser : ouvrons l’œil, et le bon.
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