Le coup de force de Sainte-Sophie : un signe de faiblesse d’Erdoğan-pacha
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Vendredi 24 juillet 2020, Ayasofya. 97e anniversaire du traité de Lausanne qui marqua la reconnaissance, par l’Occident, d’un nouvel expansionnisme turc et devait engendrer la Turquie moderne et nationale d’Atatürk, au mépris des minorités grecque, kurde et arménienne.
Curieuse et saisissante image que ces dignitaires et ministres turcs agenouillés autour de leur président, Recep Tayyip Erdoğan, portant bonnet de prière brodé, orant ; recueillis, paumes ouvertes vers le ciel ; mais visages masqués – coronavirus oblige –, cravatés et vêtus à l’occidentale, cependant. Image de l’ambiguïté, donc, d’une révolution islamo-nationale en devenir !
Mais à l’extérieur, plus de doutes : plusieurs milliers de fidèles rassemblés, dans les parcs et les rues autour de la mosquée, hommes et femmes dans leurs espaces respectifs, venus de tout le pays. Ferveur, sous un soleil écrasant, au mépris des gestes barrières ; foi ; bercée par la récitation lancinante et continue des versets du Coran. Moment historique ; union politique et spirituelle d’un peuple acquis et de son chef.
Aussitôt, la Grèce s’est insurgée, par la voix de son Premier ministre, Kyriákos Mitsotákis, accusant la Turquie d’insulter le patrimoine mondial. Argument discutable ; Ayasofya était-elle moins malmenée par la divagation des masses de touristes – occidentaux ou asiates – sans autre idéal que d’ajouter un cliché de plus sur leur page Facebook ?
Mais, quel que soit l’argument invoqué, le ministre grec est dans son rôle. La politique turque dans son entier bouleverse l’équilibre géostratégique de l’espace méditerranéen et moyen-oriental, si ce n’est plus ; on peut voir dans la création de ses glacis protecteurs en Syrie un recours contre l’irrédentisme kurde zonal et un moyen de contrer la Russie dans les détroits, la Grèce dans ses archipels ; dans son ingérence en Libye, le besoin de mieux maîtriser un flux énergétique africain nécessaire (sa production pétrolière intérieure ne couvre que 7 % de ses besoins ; la moitié de son gaz vient de Russie !). Le néo-sultan sait bien qu’il devra mesurer ses ambitions.
La ferveur islamo-nationale d’Istanbul est-elle un ferment pour l’islam fanatique ?
On sait que le panislamisme turc entend s’appuyer, pour prospérer, sur des satellites djihadistes dans les zones de guerre (Syrie, Irak, Libye) ; sur le chantage migratoire et sur l’entrisme religieux de ses expatriés dans l’Union européenne. Et nous vient à l’esprit le traitement hollywoodien du djihad quand Ben Yousouf, l’Almoravide voilé de noir du Cid, d’Anthony Mann (1961), remplit l’écran d’effroi au son des tambours et proclame que « le prophète nous a ordonné d’imposer sa loi sur le monde ! » Mais Erdoğan n’est ni l’émule de Ben Yousouf ni du Mahdi de Khartoum ! Et la Turquie jouit, dans le monde musulman, qu’elle a dominé jadis, de cette cote négative, réactivée par l’humanitarisme, des anciens colonisateurs. L’islam est consubstantiel à l’identité turque mais la Turquie ne peut plus être le phare d’un islam divisé aux ambitions califales multiples.
Ses choix stratégiques l’écartèlent entre Washington et Moscou. Et l’analyse du coup d’éclat d’Erdoğan que fait Mitsotákis est lucide : « Ce qui se passe à Constantinople aujourd’hui n’est pas une manifestation de puissance mais au contraire un signe de faiblesse. » Tout au plus, profitant du confusionnisme de la diplomatie de l’Union européenne, le président turc pourra-t-il consolider ses acquis actuels ; gains suffisants pour entraîner quand même la nation turque et l’enfermer dans son projet d’expérimentation national-islamiste.
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