Le scrutin proportionnel est-il vraiment intéressant pour le RN ?

@Arnaud Jaegers/unsplash
@Arnaud Jaegers/unsplash

L’instauration de la proportionnelle aux élections législatives est une position ancienne du Rassemblement national. Ainsi, la 11e proposition du programme présidentiel de Marine Le Pen, en 2022, visait à « instaurer le référendum d’initiative citoyenne et mettre en place la proportionnelle », tandis que Jordan Bardella avait rappelé, lors des rencontres de Saint-Denis du 31 août 2023, les positions du RN incluant, notamment, « l’instauration d’une dose de proportionnelle aux élections législatives ».

On a donc noté avec intérêt que le nouveau Premier ministre Michel Barnier, dont on dit ou on suppose que l’absence d’hostilité radicale du RN à sa personne a pesé sur son choix par Emmanuel Macron, a indiqué le 6 septembre, sur TF1, que le changement de mode de scrutin législatif ne constituait pas une ligne rouge. « Si la proportionnelle en partie est une solution, je ne me l’interdis pas, mais j’ai besoin de discuter avec tous les groupes politiques. »

Mais quel est l’intérêt électoral ou politique du RN pour un tel changement du mode de scrutin ? On peut ainsi regarder le sujet par rapport à trois types de systèmes électoraux : l’actuel scrutin uninominal à deux tours, le scrutin majoritaire à un tour de type britannique et, enfin, le scrutin proportionnel souhaité par le RN.

Scrutin uninominal à deux tours

Les élections législatives françaises fonctionnent aujourd’hui sur cette base, avec possibilité pour tous les candidats ayant obtenu un score représentant 12,5 % des électeurs inscrits de se maintenir au second tour… ou pas, comme cela s’est passé au second tour de juillet 2024, avec les désistements massifs du front républicain qui était, de fait, un front anti-RN allant de LFI à LR. La question qui se pose est de savoir si le RN pourrait obtenir une majorité absolue dans la foulée d’une élection présidentielle victorieuse ? C’est ce qui s’est passé 4 fois sur 5 (2002, 2007, 2012, 2017) depuis l’instauration du quinquennat et l’inversion du calendrier électoral. Le seul cas où cela n’a pas fonctionné est l’élection législative de 2022, qui est également le seul cas où un Président sortant s’est présenté et a gagné l’élection présidentielle. Donc, il n’est pas sûr que le scrutin actuel soit systématiquement et irrémédiablement défavorable au RN.

Scrutin majoritaire à un tour

Le candidat qui recueille le plus de voix gagne l’élection quel que soit son score. C’est le scrutin britannique first past the post qui dégage le plus souvent, au Parlement, une majorité de gouvernement claire comme celle du Parti travailliste, suite aux élections de juillet 2024. Charles Millon a récemment indiqué sa préférence pour ce système dans une tribune du Figaro : « Je suis pour l’élection des députés au scrutin majoritaire à un tour, pour obliger les grands courants politiques - appelons-les la droite et la gauche, pour faire simple - à gérer leurs extrêmes. » La simulation faite sur Boulevard Voltaire dans une contribution passée conclut d’ailleurs que le RN aurait obtenu 297 députés avec ce système, soit la majorité absolue, calcul basé sur les votes du premier tour du 30 juin 2024.

Scrutin proportionnel 

Il faut d’abord rappeler qu’il y a de nombreuses variantes de ce scrutin, très fortement utilisé partout dans le monde : unique circonscription nationale, multiples circonscriptions (le département pour les élections législatives françaises de 1986), méthode de la plus forte moyenne, méthode du plus fort reste… Il demeure qu’il est extrêmement improbable qu’un seul parti remporte plus de la moitié des voix, notamment dans le cas d’une circonscription nationale unique. Ainsi, le RN aurait obtenu, en juin 2024, 192 députés, près d’une centaine de moins que les 289 nécessaires à la majorité absolue. Il y a, toutefois, une exception dans l’histoire électorale française : la majorité absolue de députés obtenue par l’alliance RPR-UDF aux élections de 1986, avec 45 % des voix mais un scrutin proportionnel départemental.

In fine, le soutien du RN à la proportionnelle le conduit d’emblée à admettre qu’il ne gouvernera pas seul et devra trouver des alliés puis construire, avec ces autres forces politiques, un programme de gouvernement, ce qui nécessite des changements très profonds des pratiques politiques françaises au regard de l’attitude d’hostilité de tous les partis hors l’allié ciottiste lors du second tour de 2024.

Georges Le Breton
Georges Le Breton
Haut fonctionnaire en activité, spécialiste des politiques publiques.

Vos commentaires

19 commentaires

  1. Il faut garder des circonscriptions mais calculer la représentation selon le nombre de français et non le nombre d’habitants au total ! Mais on pourrait y inclure de la proportionnelle à l’échelle du département. Cela fonctionnerait que les circonscriptions dont le candidat ferait au moins 50% serait élu. Et partout où ce n’est pas le cas, les sièges restant seraient attribuées par la proportionnelle au niveau départemental (soit en incluant les voix des circonscriptions ayant un député soit en les excluant). Le problème c’est qu’avec le mode de scrutin à deux tours, la plupart des députés élus le sont avec 51% au second tour et cela pose problème si dans un département un même parti rafle tous les sièges avec cette configuration. Mais imposer la proportionnelle poserait problème dans les circonscriptions où un député est largement plébiscité. La proportionnelle pose aussi le problème que les indépendants ne peuvent plus être candidats car cela nécessiterait un quota de colistiers à l’échelle départementale. Une chose enfin qu’il serait nécessaire, c’est modifier les règles pour la constitution d’un groupe parlementaire. Il faudrait qu’un parti investisse des candidats dans plus de la moitié des circonscriptions pour pouvoir avoir un groupe parlementaire d’au moins 15 députés.

  2. C’est un peu compliqué pour moi et j’ai assez de complications dans ma vie courante alors je crois savoir que le mode de scrutin actuel a été inventé il y a quelques années par je ne sais qui mais le but était de contrarier la progression du Front National…

  3. La proportionnel est une bonne chose si les valeurs républicaines sont respectées et non comme une campagne dont les premières fonctions ont été de faire barrage a un parti qui a comme valeur les intérêts de la France plus qu’un vivre en semble impossible avec une population venus par intérêts incompatibles avec le pays.

  4. Et si, avant de parler de l’intérêt de tel ou de tel parti, on se préoccupait de l’intérêt de la France et des Français. Que souhaite-t-on ? Pas de combines honteuses, des élus qui ne soient pas des godillots, qui ne soient pas hors sols et qui gardent un lien fort avec leurs électeurs, une bonne représentativité, la possibilité de dégager des majorités « opérationnelles ». Pistes possibles : rétablir le cumul possible avec la fonction de Maire, décorréler l’élection présidentielle des élections législatives, instillation d’une dose de proportionnelle. 1/3 (ou 1/4 ?) du corps électoral est élu à la proportionnelle nationale avec un seuil de 5%, 2/3 (ou 3/4) élu au scrutin uninominal à un tour, l’électeur vote pour son candidat et pour la liste du parti de son candidat. Au passage on fait l’économie d’un tour et des des combines de partis d’entre deux tours. Tout le monde, partis et électeurs, prend ses responsabilités AVANT et au moment du scrutin.

  5. Le système actuel à 2 tours a été conçu pour donner une majorité au plus gros parti. Ça a presque toujours marché, sauf cette année, bien que le RN soit, de fait, le premier parti. Pourquoi ? Bien sûr il y a eu ce fameux « front républicain », mais aussi parfois, la « qualité » disons discutable de certains candidats. Ce à quoi s’attelle justement la direction du RN. Mais une fois ce problème réglé, je ne vois pas pourquoi le RN ne pourrait pas obtenir la majorité absolue avec notre mode de scrutin actuel…

  6. Il me semble que l’on oublie le scrutin proportionnel qui existe en France pour le 1er tour des élections municipales, où la liste qui arrive en tête obtient 50% des sièges, les 50% restant étant répartis entre toutes les listes proportionnellement à leurs scores. Tout le monde est représenté (sauf les listes ayant obtenu un score inférieur à 5%) et on a une majorité de gouvernement. Pour le parlement, on pourrait avoir un système identique, l’attribution des sièges au vainqueur pouvant éventuellement être adaptée : 50 %, 40, 30 …?

  7. La majorité absolue Macron l’a eût pendant 5 années mais il n’a pas su élargir cette Majorité il en serait de même pour un RN si celui ci avait eu cette majorité au deuxième tour .les règles de la 5 ème République ont été fourvoyées avec Macron nos politiques ne travaillent plus pour le pays mais pour des financiers et pour eux même et nos votes ne servent plus à rien avec des désistements pour ne pas pouvoir gouverner . C’est ce qui va se passer pendant Un an . Il faut sanctionner des politiques qui ne respectent plus les institutions . Le cirque que l’on voit à l’assemblée Nationale devrait être sanctionné par la justice mais celle ci n’est plus indépendante quand on voit la politisation avec le syndicat de la magistrature. Notre pays sombre dans l’oligarchie

  8. La première des choses, c’est de se préoccuper du découpage électoral. Le dernier charcutage revient à l’équipe Hollande-Ayrault si ma mémoire ne me trompe pas. « On » a alors fracturé la circonscription dans laquelle je vote, ancrée à droite, en ajoutant ces deux parties à deux circonscriptions populaires très ancrées à gauche. Et voilà une bonne chose de faite : plus d’élu de droite ! Donc, il va falloir que le ministre LR (j’imagine) se penche sur certaines anomalies, comme par exemple comprendre pourquoi il faut 100000 à 140000 électeurs bretons pour avoir un(e) député(e) quand il suffit de 77000 à 90000 électeurs pour avoir un(e) député(e) gauchiste dans le 93 ?

  9. Proportionnelle intégrale et un seul tour  » 1er arrive »… » et plus de découpage bidon…1 « homme 1 voix »..la vraie démocratie c’est cela..toutes les autres formules sont des bidouillage créés pour l’opportunité du moment par les gens en place..

    • « Un homme, une voix »
      Rajoutons que la démogratie serait plus représentative si chaque député était choisit sur la base d’un ensemble d’habitants assez semblable … et ce n’est pas le cas.
      En France métropolitaine, le député du Cantal 2ème représente 62.753 personnes et celui de Loire-Atlantique 5ème 167.177 personnes.
      Donc un homme, une voix mais pas le même poids !

  10. Il faut poser la question de l’objectif des législatives : dégager un majorité forte, voire absolue ou dégager une représentation proportionnelle aux suffrages. Il me semble qu’il faille concilier les deux objectifs. Le scrutin qui me paraît le plus à même d’y parvenir est un scrutin à un seul tour avec des candidats par circonscription et une prime de 15% des sièges attribuée au parti arrivé en tête. Ca oblige à faire au moins 35% pour obtenir la majorité absolue. Il faut également abroger l’interdiction du cumul des mandats de député et maire.

  11. Dans la configuration actuel de rejet par les autres partis qui empêche des alliances qui se font normalement pour les autres formations, et sans tenir compte de l’épisode Ciotti qui a fracturé les LR, le meilleur scrutin pour le RN serait le mode de scrutin britannique, le scrutin majoritaire uninominal à un tour. Sorti majoritaire quasiment partout au premier tour en juin il aurait la majorité absolue à lui seul.

Laisser un commentaire

Pour ne rien rater

Les plus lus du jour

L'intervention média

Lire la vidéo

Les plus lus de la semaine

Les plus lus du mois