Le détroit de Malacca ou le talon d’Achille de la Chine

pétrolier

En deux décennies, la Chine est devenue la seconde économie mondiale derrière les États-Unis et devrait inexorablement prendre la première place avant 2030. L’empire du Milieu possède d’innombrables atouts : modèle économique libéral coexistant avec un régime politique autoritaire, main-d’œuvre illimitée et bon marché, outil industriel performant, sous-sol très riche en charbon et en métaux rares nécessaires aux énergies renouvelables. Exportant annuellement plus de 3.000 milliards de dollars de biens, la Chine est aujourd’hui à la fois l’industrie et le shopping center du monde.

En matière énergétique, la Chine consomme 27 % de l’énergie mondiale et émet 31 % des gaz à effet de serre. Si elle est première de la classe en termes d’énergies renouvelables (37 % de la puissance solaire installée et 40,5 % de la puissance éolienne), son mix énergétique est aussi l’un des plus carbonés du monde, avec 82 % de fossiles, dont 55 % de charbon. Et c’est là que le bât blesse !

Dépendante du Moyen-Orient

La Chine est, certes, autosuffisante en charbon (elle produit et consomme la moitié du charbon mondial), ce qui lui permet, au mépris du climat, d’accroitre de façon exponentielle sa production d’électricité. En revanche, sa situation pétrolière est très différente. Alors qu’au début du siècle, la Chine exportait encore une petite partie de sa production (un peu plus de 4 millions bbl/jour), elle est aujourd’hui dépendante à 71 % d’importations provenant en majorité du Moyen-Orient. Et c’est là que la géographie prend toute son importance.

La principale route d’accès des pétroliers géants véhiculant quotidiennement des millions de barils de pétrole vers la Chine sort du détroit d’Ormuz vers la mer d’Oman, contourne la pointe sud de l’Inde et le Sri Lanka, puis accède en mer de Chine en traversant le détroit de Malacca séparant la péninsule Malaise et l’île indonésienne de Sumatra. Long d'environ 930 km, sa largeur de 390 km au nord se réduit à seulement 3 km dans sa partie méridionale juste avant Singapour. Sa profondeur est également très variable, avec un minimum de 23 mètres.

Le détroit de Malacca est traversé annuellement par 85.000 navires, soit l’équivalent du trafic de la Manche et quatre fois celui des canaux de Panama et de Suez. Y transitent 20 % du transport maritime conteneurisé mais aussi un tiers du commerce maritime de pétrole. Ainsi, sur les 17 millions bbl/jour sortant du golfe Persique, 15 millions transitent par le détroit de Malacca pour amener le précieux liquide aux Chinois, mais aussi aux Taïwanais, aux Japonais et aux Coréens. L’alternative réclame de contourner l’Indonésie, ce qui nécessite non seulement plusieurs milliers de kilomètres supplémentaires, mais surtout, compte tenu de la faible profondeur entre certaines îles, ferme la porte aux plus gros porte-conteneurs et pétroliers.

 

Une Chine exsangue sans pétrole

L'étroitesse du détroit et la faible profondeur du détroit dans sa partie méridionale en ont fait une zone privilégiée pour la piraterie et une cible potentielle du terrorisme. Mais surtout, il transforme implicitement la Chine en colosse aux pieds d’argile. Imaginons, par exemple, que la Chine passe à l’acte et envahisse Taïwan. Il suffirait à l’armée américaine de couler deux ou trois gros navires pour obstruer le détroit de Malacca et couper la Chine de tout approvisionnement pétrolier. Une Chine sans pétrole, ce serait une Chine exsangue économiquement mais aussi militairement ; ce serait le remake parfait d’une Wehrmacht abandonnant ses chars en vaste campagne et laissant ses bateaux de guerre au mouillage, faute d’essence.

L’Histoire est, sur ce point, intransigeante. L’Allemagne a perdu la guerre de 14-18 pour avoir, contrairement à la Grande-Bretagne, conservé une flotte au charbon, et le second conflit pour avoir été stoppée à Stalingrad avant d’atteindre les rives de Bakou. Le grand Winston Churchill l’avait compris avant les autres : le pétrole est le nerf de la guerre !

Philippe Charlez
Philippe Charlez
Chroniqueur à BV, ingénieur des Mines de l'École polytechnique de Mons (Belgique), docteur en physique de l'Institut de physique du globe de Paris, enseignant, expert énergies à l’institut Sapiens

Vos commentaires

20 commentaires

  1. La production russe serait-elle suffisante pour pallier à la consommation de la Chine ? Si elle l’est, cet article n’a aucun intérêt. Si non, en effet en rallongeant un peu le parcours des navires afin d’éviter le détroit de Malaga, la Chine pourra toujours se faire livrer. Encore une fois, cet article n’a donc aucun intérêt.

  2. Le détroit de Malacca est un raccourci comme le canal de suez ou celui de Panama. Mais les navires peuvent emprunter d’autres trajets, plus longs …

  3. Rien à ajouter aux réponses très pertinentes déjà écrites ci-dessous.
    Celle de Monsieur Christian Laborde l’est particulièrement.

  4. Souvenons-nous aussi que l’attaque de Pearl Harbor a fait suite à la décision US d’interdire tout approvisionnement en carburant du Japon . Les Américains sont ainsi entrés en guerre contre Tokyo les premiers . Étranglés ainsi les Japs ne pouvaient que se défendre . L’idée même de « déclaration de guerre » a pris alors du plomb dans l’aile .

  5. Et la route du nord avec les brises glace russes et les pipe line sibérien et la route de la soie ? sans compter de la puissance maritime chinoise.

  6. Je me méfie des théories de personnes « savantes », pour la Russie aussi, depuis le début du conflit, les « sachants », politiques, experts, médias, nous prédisaient que la Russie ne tiendrait pas trois mois avant de s’effondrer, militairement, économiquement et psychologiquement, tout ceci en les comparant à ce qui nous arriverait si nous étions à leur place. Mais voila, ils ont une résilience que nous n’avons plus et ça fait une sacré différence.

  7. Vous oubliez une chose : c’est le rapprochement entre la Russie et la Chine!!! et contre un pipe ligne terrestre la (feu) puissante amerique ne peut pas faire grand-chose! et un pipe ligne, c’est beaucoup moins cher à faire fonctionner qu’un supertanker!

  8. Et si les USA se donnent un président républicain ils auront une politique de relocalisations qui mettra en panne l’outil industriel chinois et son développement basé sur les exportations déloyales

    • Pourquoi dire « déloyales » ? Pensez vous que les autres pays sont loyaux, notamment les USA avec l’extra territorialité de leurs lois, qui s’appliquent au monde entier, sans aucune réciprocité. Chacun tire la couverture à soi, en fonction de la puissance de ses moyens.

      • Ici nous parlons de la Chine et de la France et pas des autres pays. Ne mélageaJe ne crois pas d’ailleurs que nous soyons envahis de proscrits et textiles américains.Nous n’avons pas des centaines de milliers de prisonniers politiques ou ethniques dans des usines goulags où la main d’oeuvre est pas chère (!) et où les prisonnières ouïghours sont stérilisées ! Et même la Commission de Bruxelles a fait des enquêtes anti-dumping anti-dumping : certains produits chinois sont vendus en Chine plis cher qu’en Europe. Ambassade de Chine : est-ce loyal ?

      • Ici nous parlons de la Chine et de la France et pas des autres pays. Ne mélangeons pas tout. Je ne crois pas d’ailleurs que nous soyons envahis de produits et textiles américains. Et nous n’avons pas des centaines de milliers de prisonniers politiques ou ethniques dans des usines goulags où la main d’œuvre est pas chère (!) et où les prisonnières ouïghours sont stérilisées ! Et même la Commission de Bruxelles a fait des enquêtes anti-dumping : certains produits chinois sont vendus en Chine plis cher qu’en Europe. Ambassade de Chine (car c’est vous ?) : est-ce loyal ?

  9. Et des oleoducs Bakou/Pékin, Sibérie russe/Pékin c’est jouable ? A contresens des routes de la soie. Avec un baril à 120$ payé en roubles bien sûr.

  10. La vrai question à se poser réside à savoir si le pétrole ne pourra pas un jour être remplacé. Je ne parle pas des énergies vertes ( éolien solaire) qui ne sont que des joujous pour écolos attardés, mais d’autres sources que seul l’investissement dans la recherche pourrait faire advenir. L’Europe et la France en particulier disposaient de chercheurs de renom, mais ce qui se conjugue au passé chez nous est il vraiment au présent en Chine. Copier, c’est à la portée de tous, inventer, c’est autre chose.

  11. Combien de vrais projets pour remplacer le pétrole sont ils en  » secret défense  » . La France devrait reprendre le contrôle de fabrication de nombreux produits notamment les médicaments pour ne plus dépendre de ces pays . D’une part on relocalise , on crée des emplois et on contribue à moins de pollution générée par ces gros cargos . Personne n’a tiré de leçons de la pénurie que nous avons connu pendant le covid , ce qui est grave de la part du gouvernement .

    • Gouverner, c’est prévoir. Ils ne sont que de passage alors « Gouverner, c’est se gaver ». Advienne que pourra !

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