Le gazoduc Nord Stream 2, au cœur de la guerre de l’énergie
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Le gazoduc Nord Stream 2, qui va relier la Russie à l’Allemagne par la mer Baltique afin de doubler les capacités de Nord Stream 1, est, depuis le début de sa conception, à l’origine de vives polémiques.
Initialement, Washington s’est opposé frontalement à ce nouveau gazoduc, arguant de l’inquiétante dépendance énergétique qu’il ferait peser sur l’Europe vis-à-vis de la Russie. Certains y verront plutôt un interventionnisme américain eu égard aux potentielles réductions d’export de gaz naturel liquéfié américain à destination de l’Europe, donc une « inquiétante » indépendance de l’Europe vis-à-vis des USA.
Washington avait alors menacé d’actionner tout l’arsenal législatif constituant l‘extraterritorialité de son droit, une série de sanctions à destination de toute entreprise qui oserait participer à la construction de Nord Stream 2, afin de bloquer définitivement le projet. Mais, au printemps dernier, à la surprise générale, l’administration Biden, qu’on a connue particulièrement véhémente à l’égard du Kremlin, a opéré un revirement qui interroge encore.
Notons que l'extraterritorialité du droit américain, maquillée bien souvent en protection de la sécurité intérieure américaine ou en une initiation bienveillante à l’éthique des affaires, est en réalité un ensemble de lois qui assure une défense méthodique des intérêts économiques américains dans le monde, outil de guerre économique par excellence témoignant des rapports de force à l’œuvre à l’ère d’une concurrence/compétition mondiale multidimensionnelle dont la France est régulièrement l’une des grandes perdantes (cf. le cas révélateur de la vente d’Alstom).
À l’évidence, ce gazoduc matérialise un espace géoéconomique constitué de l’Europe et de la Russie, et donc un lien entre l’Orient et l’Occident que les USA cherchent à rompre par tous les moyens depuis la fin de la guerre froide ; afin, d’un côté, de maintenir un relatif isolement de la Russie et, d’un autre, de conserver une mainmise sur l’Europe. Il est alors légitime de se demander quelles contreparties l’Allemagne, principale bénéficiaire du projet en question, a concédées à l’Oncle Sam…
En réalité, il semble que Nord Stream 2 soit l’occasion pour les USA de renouer leur partenariat historique avec l’Allemagne face à la Chine. La guerre économique qui sévit entre cette dernière et les USA est leur priorité absolue et nécessite, pour l’un comme pour l’autre, de renforcer leurs zones d’influence. On peut donc émettre l'hypothèse selon laquelle les USA auraient « autorisé » la finalisation de ce nouveau gazoduc afin de pouvoir mieux maintenir sous sa coupe l’Allemagne et, donc, l’Europe.
Pour nous autres Français, ce « geste » des Américains en faveur des Allemands ne doit donc pas être vu comme la confirmation d’une nouvelle « autonomie stratégique » européenne, chère à notre gouvernement, mais plutôt comme le renouvellement de l’alignement Allemagne-USA, qui guide les orientations géopolitiques de l’Allemagne, souvent au détriment de la France.
Au-delà du « couple » germano-américain
Par ailleurs, ses propres ressources en gaz naturel ne lui permettant pas d’atteindre une autosuffisance, l’Europe de l’Ouest dépend pour beaucoup d’approvisionnements extérieurs, notamment en provenance de pays d’Europe de l’Est. Il s’agit pour ces États, producteurs ou de transit, d’une manne financière conséquente menacée par Nord Stream 2. La Pologne, l’Ukraine, la Bulgarie ont par exemple chacune leurs intérêts propres, leur Histoire et, dans ce contexte, leurs stratégies.
Le nucléaire, de son côté, est encore et toujours le théâtre de vives oppositions entre États membres aux ambitions divergentes, et « l’hydrogène vert » n’en est que le prolongement (pas de production d’hydrogène vert – par hydrolyse de l’eau – sans grandes quantités d’électricité).
Enfin, les énergies renouvelables pourraient constituer un espoir néolibéral d’éclipser la guerre de l’énergie, mais le solaire ou l’éolien constituent en eux-mêmes des positionnements stratégiques, en fonction des atouts de chaque État : leur géographie (vent et soleil) et le degré d’avancement en R&D de leurs fleurons nationaux.
Dès lors, il apparaît qu’aucune politique énergétique européenne, commune et globale, ne soit véritablement envisageable.
Il convient donc, pour les Français, de bien comprendre où sont nos intérêts et de désidéologiser nos débats internes sur les questions énergétiques. Aiguiser notre sens critique, analyser les jeux d’influence, prendre conscience de la guerre informationnelle sont des exigences indispensables pour nous tous, citoyens acteurs à part entière de l’avenir de la France.
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