Le grand retour d’Eric Clapton, l’éternel rebelle

CLAPTON

Comment continuer à être une star du rock, alors qu’on s’apprête à fêter ses 80 printemps ? Il y a la méthode Mick Jagger, qui en affiche deux de plus, consistant à faire comme si de rien n’était. Mais les Rolling Stones ne sont-ils pas avant tout un groupe de scène ? Eric Clapton n’a probablement pas la même santé de fer ; alors, il se contente de vieillir tranquillement et d’adapter son répertoire à son âge. D’où Meanwhile, album qu’on attendait depuis longtemps, sachant que I Still Do, le dernier comportant des compositions originales, remonte tout de même à 2016.

Au final, un disque à la cool, à l’occasion duquel il se frotte aux grands classiques, tel le Moon River de Johnny Mercer et Henri Mancini, ici réinterprété avec son ami, le défunt Jeff Beck, à la guitare. Dans le même registre, il y a aussi Smile, dont les paroles sont dues à un certain Charlie Chaplin. Deux titres aux délicates ambiances jazzy permettant à notre homme de démontrer que de rocker, il est aussi désormais crooner.

Un arrière-plan des plus politiques

En revanche, avec Sam Hall, chanson anglaise traditionnelle évoquant une sorte de Robin des bois du XVIIIe siècle promis à la peine capitale, l’ambiguïté politique n’est pas loin, tant ce célèbre voleur est connu pour avoir refusé de se repentir de ses méfaits.

Et il est vrai que Clapton fut lui aussi en révolte, sa carrière durant, sans jamais s’en excuser. Dès 1976, il soutient Enoch Powell, alors espoir des conservateurs anglais qui, en même temps que notre Jean-Marie Le Pen, alerte la population contre les dangers de l’immigration de masse, lui valant ainsi une réputation de « raciste » parfaitement usurpée. En effet, celui qu’on surnomme « Slowhand », dans les années 60, a fait autrement plus que d’autres de ses confrères prétendument progressistes pour la promotion d’artistes noirs, vieux bluesmen américains auxquels il permet d’avoir une seconde carrière (Muddy Waters, Buddy Guy et tant d'autres) ou un Bob Marley dont il fait connaître le reggae dans le monde entier en reprenant son I Shot the Sheriff, dès 1974.

Ce qui ne l’a jamais empêché de continuer à publiquement affirmer qu’Enoch Powell eut raison avant tout le monde, prouvant ainsi que sa réputation de cabochard et d’esprit libre est tout, hormis usurpée.

Pour continuer d’arranger son cas, ce pécheur émérite doublé d’un habile fusil milite aussi, au sein de la Countryside Alliance, pour que ses voisins campagnards puissent continuer de chasser le renard, au grand dam des associations écologistes.

Soutien d’un futur secrétaire à la Santé de Donald Trump

Quant à son grand combat de ces dernières années, lors de l’épidémie de Covid-19, il ne fut pas contre la vaccination, tel que souvent affirmé par les médias, mais contre celle des plus jeunes et, surtout, de leur confinement. Mieux : il refuse de jouer dans des salles où les spectateurs seraient refoulés, faute de certificat vaccinal. Ce qui explique mieux son soutien à Robert Kennedy junior, neveu de JFK, très sceptique quant au pouvoir grandissant des multinationales pharmaceutiques et candidat à la primaire du Parti démocrate ayant finalement rallié un Donald Trump qui entend en faire son secrétaire à la Santé. Pourtant, avant de donner des concerts en sa faveur, Eric Clapton, très pointilleux sur certaines autres questions, exige de l’homme politique qu’il s’engage pour la création d’un État palestinien souverain.

Bref, l’artiste sait ce qu’il veut et ne s’engage pas à moitié, à l’instar d’une autre tête de mule irlandaise, Van Morrison, la plus belle voix blanche de la soul, lui aussi assez sceptique quant à la mise sous cloche de la population anglaise lors de la pandémie. Un Van Morrison d’ailleurs présent sur ce disque sur trois titres, The Rebels, This Has Gotta Stop et Stand and Deliver, hymnes aux libertés citoyennes et enjoignant leurs compatriotes de relever la tête.

Autre chanson, peut-être la plus poignante, demeure Heart of a Child, dénonçant ces dangers psychologiques encourus par une jeunesse assignée à résidence, ce dont on mesure aujourd’hui les conséquences.

On célèbre aujourd’hui Bob Dylan, prix Nobel de Littérature auquel un autre film biographique est consacré, avec Timothée Chalamet incarnant le parangon du chanteur donné pour engagé, mais qui jamais ne s’engagea véritablement.

À sa manière finalement plus discrète, Clapton, lui, s’est toujours engagé. Il n’en a que plus de mérite, ayant toujours ramé à contre-courant de son propre milieu, ce show-biz de faux rebelles et de véritables mutins de Panurge, pour citer le regretté Philippe Muray. Ce magnifique album, aux textes intelligents et aux mélodies renversantes de beauté, en est la preuve. Pas mal, comme élégante façon de vieillir.

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Nicolas Gauthier
Journaliste à BV, écrivain

Vos commentaires

9 commentaires

  1. À l’évidence, notre ami Nico ne pouvait pas ne pas nous conter la dernière ponte de Clapton, le roi de la pentatonique et qui affirmait vouloir laisser tomber la gratte après avoir, avec McCartney, entendu Hendrix. On verra demain lundi si l’excellent mais néanmoins très surfait Éric en a encore sous les métacarpes…
    Au fait, selon d’aucuns bien informés, il aurait écrit « tears in heaven » AVANT la mort de son fils. Mais, ultracroyant, il aurait vu ça comme une prémonition.

  2. De Clapton ,j’adore surtout la période de ce trio de légende que fut CREAM .Après, j’aime beaucoup le double album LAYLA du groupe Derek And The Dominos ou Eric Clapton et Duane ALLMAN rivalise dans des solos de guitares magnifiques .Très belle reprise du « Little Wings » de Jimi Hendrix ,dont Clapton comme d’autres artistes était un admirateur . Bien évidemment j’apprécie la position « politique » de Clapton dès éloigné de celle de nos pseudos vedettes.Tout comme celle d’un certain Roger Daltrey qui défendait le Brexit ! PS : Je préfère les versions originales de JJCale aux reprise de Clapton ,sorry …

    • Avis doublement partagé, pour Daltrey d’abord. Les Who sur scène, plus grosse claque de ma vie. Puis sur Cale: sa version de Cocaïne est bien plus chaloupée. Pourtant j’ai pas vraiment accroché à « the road to escondido », leur album commun. J’aurais rêvé d’une collaboration Cale/Knopfler (autre grand pote à Eric), mais c’est mal barré…

  3. Clapton est un guitariste et un bluesman dont le talent a parfois atteint le génie. Toutefois son soutien très marqué à la palestine depuis le pogrom de 2023 est un gros point noir pour le fan que j’étais. Je ne comprend pas cette prise de position ignoble.

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