Le livre de l’été : La Guerre au français, de Marie-Hélène Verdier (1)
Comme chaque année, à l’occasion de l’été, Boulevard Voltaire vous offre des extraits de livres. Cette semaine, La Guerre au français, de Marie-Hélène Verdier.
Dans les années 70, on méditait, dans les cours de faculté des lettres, sur la variation du genre des mots dans les différentes langues. On notait, pour l’allemand, la féminité du soleil : « die Sonne » en regard de la masculinité apollinienne du français. On s’interrogeait sur le genre neutre de la jeune fille « das Mädchen ». Nos rêveries étaient sinon scientifiques du moins poétiques. Et ce n’était pas rien. Depuis quelques années, l’émerveillement devant les mystères linguistiques a fait place à la contestation. Un vent de gender venu des Amériques a balayé la vieille Europe. La guerre des sexes a trouvé son avatar dans la guerre des genres. Ou plutôt du genre. Les féministes, tous sexes confondus, sont aux créneaux. La folie genrée, ajoutée à la frénésie sexuée, fait rage dans tous les domaines, dans un contexte de guerre totale.
Aucune raison, dans ce monde déjanté, de tenir la langue à l’écart de la révolution en marche. Car, c’est bien connu, la langue, produit genré par excellence du mâle dominant, est sexiste, avec son masculin, son féminin et son absence de neutre. Ah ! Si nous avions un neutre comme cette Allemagne si performante (même si le vent semble y tourner) pour désigner la vie : « das Leben », le cours de nos destinées en serait changé !
Tout part, comme toujours, d’une bonne intention : faire la part belle « aux personnes du sexe », comme on disait naguère, ou « sexe faible », maltraité et discriminé, dans notre société. Peu importe que les concours publics soient ouverts aux femmes, que les femmes soient gendarmes et polytechniciennes et qu’il y ait pléthore de journalistes féminines dans l’espace télévisuel. Peu importe que, dans la langue, il n’y ait pas équivalence entre le genre naturel et le genre grammatical - ou si accessoirement que ça en fait pitié : l’essentiel est de neutraliser le sexe tout en l’exacerbant et de regenrer un mot, trop sexué, en le dégenrant. D’accorder les mots avec le vif des sujets.
Tout naît de la lettre « e ». Les « auteures » et les « écrivaines » sans parler des « docteures » ont envahi les quatrièmes de couverture. Un homme politique se gardera d’utiliser le pronom machiste « ceux » pour s’adresser à son auditoire mais fera la distinction galante, avec ordre obligé de préséance, des pronoms : « celles et ceux ». La vulgate, imposée au prédicateur, en chaire ou ce qu’il en reste, de s’adresser aux « sœurs et frères » doit être bien pénible au « clergé affectataire » selon le qualificatif heureux d’une dame ministre de la Culture, venue honorer, le 23 mars 2013, de sa présence et d’un discours, la première sonnerie du nouvel ensemble campanaire de Notre-Dame. Et motus sur ce frère qui porte un e et cette sœur qui en est privée. Ô insondables mystères de la langue, des mœurs, de la politique et de la religion ! Brigitte F. est « sculpteure ». Bernadette L. est « recteure ». Paul R. a beau être philosophe, le Landerneau de nos esprits est bouleversé : car, enfin, pourquoi pas sculptrice et rectrice ? Et pourquoi philosophe ? Les modérés feront remarquer l’usage concurrent et consensuel de « poétesse » et de poète pour désigner une race, peu nombreuse, il est vrai, mais en progression constante, d’un genre particulier d’écrivaines. […]
Les camps s’opposent. Progressistes et réactionnaires se sont face. Une nouvelle querelle des Anciens et des Modernes est née. Enfin du dur à se mettre sous la dent ! Avec la caution, a-t-on dit dans les médias, il y a déjà une trentaine d’années, de hautes autorités. L’Académie française a eu beau battre le rappel des règles lexicales et grammaticales et invoquer, comme Jeannot Lapin dans la fable, « la coutume et l’usage ». En vain : la vieille dame a fait son temps. Le Dictionnaire ? Une antiquité ! L’usage ? L’arme des passéistes. Un nouvel édit de Villers-Cotterêts est né. C’est décidé : la lettre « e » va nous sauver. Elle envahit les mots de son appendice éloquemment genré. Enfin, l’égalité pour tous dans la langue. Partout, la lettre « e » devient l’arme de féminisation massive avec les « auteures », les « recteures », les « procureures » et les cheffes(ses). En attendant les « sapeuses-pompières » pour éteindre le feu.
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