Le livre de l’été : La Reconquête (19)

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Palais de l’Élysée, une semaine après l’élection

Elle regardait le parc depuis la fenêtre de son bureau, il l’apaisait avec sa verdure et ses arbres en fleurs, elle était dans un écrin de calme.
Alexandre insistait.
– Soyons clairs, Marion, tu n’as absolument aucune alternative, tu ne pourras pas choisir un entre-deux. Soit tu agis tout de suite en envoyant l’armée dans les cités et tu auras notre soutien, soit tu les laisses être maîtres de leur territoire et nous prendrons les choses en main. Je ne veux pas d’une guerre, mais nous ne pourrons pas éviter ce nettoyage, la situation est trop pourrie et depuis trop longtemps. Ils sont encore persuadés que nous sommes trop faibles pour nous défendre. Ne leur donne pas raison, s’il te plaît.
Elle ne voulait pas fléchir, le risque était trop grand pour elle.
– Tu ne te rends pas compte de ce que tu demandes. La sortie de crise que propose Ogras est évidemment impossible à accepter, mais nous pouvons négocier. Nous allons fermer les frontières quoi qu’il en soit. Si le flux migratoire se tarit et que nous contrôlons ceux qui sont là, nous tenons peut-être une solution raisonnable.
– Réfléchis-y bien, Marion ! Tu vas créer un appel d’air ! Les musulmans de tout le Maghreb et du Moyen-Orient vont comprendre que les leurs sont maîtres chez nous, sur une partie non négligeable de notre territoire. Qu’est-ce que tu crois ? Que nos frontières seront infranchissables ? Autant l’Italie a accepté de faire le boulot pour bloquer ses frontières extérieures et intérieures, autant l’Espagne s’en fiche complètement. Ils savent qu’ils ne sont qu’un point de passage. Donc, on doit envoyer un signal très fort : un, nous n’accepterons plus d’immigrés hors droit d’asile, et l’assimilation de ces derniers sera totale. Deux, la charia ne s’appliquera sur aucune portion de notre territoire, les musulmans doivent se soumettre aux lois de la République. Trois, la politique de la France sera désormais nataliste avec une réelle incitation pour les classes moyennes et les CSP+, sans quoi, même en cas de fermeture des frontières, nous serons submergés par la simple démographie. Si nous ne redressons pas la courbe de natalité de nos concitoyens, dans trente ans, nous serons minoritaires…

Marion se taisait, sa prise de poste avait été chaotique, si la majorité des Français était enchantée de son élection, ce n’était pas le cas des Parisiens chez qui elle n’avait recueilli que 39 % des voix. Évidemment, les privilégiés des centres-villes ne voyaient pas d’un bon œil son arrivée au pouvoir. Ils n’étaient absolument pas impactés par l’immigration, ils avaient leur propre frontière avec les migrants : celle de l’argent. Les seuls gens de couleur qu’ils voyaient étaient leurs collègues de travail bien intégrés et parfaitement français, leurs épiciers ou leurs maraîchers, et leurs éboueurs ou chauffeurs Uber. Pas de quoi faire un rejet massif de l’arrivée de 400.000 personnes par an.

Elle était entrée à l’Élysée dès le lendemain de son élection, la règle avait été modifiée au vu de l’urgence de stabiliser le pays. Castaner ne s’était même pas présenté à l’Élysée. Il n’y avait pas vécu pendant son intérim et il avait refusé de venir officialiser la passation de pouvoir. Elle avait accepté le camouflet, elle n’en attendait pas moins de ce pauvre homme, et elle avait immédiatement annoncé la composition de son gouvernement. Pour moitié professionnels de la politique, pour moitié issus de la société civile, elle voulait des experts à la tête de chaque ministère. Elle avait réduit au maximum le nombre de portefeuilles ministériels, considérant qu’il fallait envoyer un signal aux Français : nous les premiers, nous allons faire des efforts sur les dépenses publiques.

Dès le premier jour, une manifestation monstrueuse s’était tenue sur les Champs-Élysées contre sa victoire. Elle s’y était attendue et, heureusement, les Natifs l’avaient aussi anticipé. Ils avaient organisé un gigantesque rassemblement aux Invalides pour la soutenir, ils avaient rameuté leurs troupes en affrétant des centaines de cars depuis toute la France, financés par un milliardaire. Les médias avaient évidemment minimisé le rassemblement et n’avaient filmé que les manifestants sur les Champs. La manifestation avait mal tourné, des casseurs s’en étaient pris au mobilier urbain mais, heureusement, au bout de 48 heures, ils avaient été réduits à un petit groupe. Même les médias avaient dû reconnaître que cette méthode était irresponsable et antidémocratique. Elle avait laissé toute latitude au nouveau préfet pour stopper l’émeute, il avait parfaitement géré la situation.

Elle se retourna vers son ami, son visage était fermé, elle savait qu’il ne lui pardonnerait pas si elle trahissait ses engagements. Mais elle avait un plan en tête et il devrait lui faire confiance.
– Tu sais quel est le problème, Alexandre ? Le problème, c’est la continuité de notre politique. Même si je me bats pendant des années, même si je tiens deux mandats d’affilée, mon successeur, pour peu qu’il vienne du camp adverse, risque de détruire tout ce pour quoi on se sera battu. Tu vas trouver ça étrange mais, à peine élue, c’est la chose qui m’effraie le plus… Je me demande si mes prédécesseurs avaient la même appréhension que moi. On a un problème de fond avec le système en place, il est quasiment impossible de réformer suffisamment le pays, cinq ans ne le permettent pas, surtout si le suivant revient sur la moitié de ce qui a été fait.

Elle se tut, pensive, avant de reprendre le fil de leur discussion.
– Je ne peux pas me permettre de mettre en péril l’unité de notre mouvement. Restauration est un parti fragile et prendre des mesures radicales dès maintenant serait trop dangereux. Tous les médias sont aux aguets pour nous tirer dessus, tous nos adversaires politiques attendent le premier faux pas. Je dois d’abord négocier et laisser une chance à Ogras et ses complices de faire une proposition acceptable. Si ce n’est pas le cas, je pourrai prendre les mesures nécessaires. Nous sortons à peine de plusieurs mois d’une violence inouïe, laisse-moi le temps nécessaire. Si tu ne me soutiens pas, si les Natifs ne sont pas derrière moi, nous ne tiendrons pas. Fais-moi confiance et mobilise tes troupes s’il te plaît. De mon côté, je vais négocier avec lui des conditions drastiques pour reprendre progressivement le contrôle du territoire. C’est lui qui fera un faux pas, pas moi.

Il se leva, la regarda avec une pointe de déception et se dirigea vers la porte.
– Nous allons te soutenir Marion, mais si, le 1er juillet, tu n’as pas repris le contrôle des cités nous le ferons nous-mêmes.

La porte se referma derrière lui, elle soupira de soulagement, elle avait joué un jeu dangereux, elle le savait. Les Natifs ne travaillaient pas pour eux-mêmes, et Alexandre en particulier, Ils ne voulaient que restaurer la France et protéger les Français. Ils étaient prêts à tout pour réussir, il fallait qu’ils restent alliés au gouvernement, sans quoi elle tomberait.
Elle lui envoya un simple SMS : « Merci de ta confiance, je ne vous décevrai pas. »

Elle se prépara à son premier Conseil des ministres, il allait falloir agir vite et fort. Elle prit ses dossiers et se dirigea vers le salon Murat où se tiendrait la réunion.

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