Le livre de l’été : La Reconquête (23)

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Montfermeil, cité des Bosquets

Elle se demandait si elle n’avait pas fait le mauvais choix. Ogras avait insisté pour être reçu à l’Élysée, elle avait répondu par un intermédiaire que son discours, suite à l’élection, l’avait disqualifié pour être reçu de manière protocolaire. Pour le moment, en tout cas. Elle avait donc imposé le lieu de la rencontre : l’une des cités les plus « chaudes » de France, comme le lui avait indiqué Robert Ménard. Elle voulait montrer que la République était chez elle, même là où certains prétendaient le contraire. Assurer sa sécurité avait été un gigantesque casse-tête mais son ministre de l’Intérieur avait finalement été rassuré suite au rapport du chef de la sécurité de la jeune Présidente.

Sa voiture s’arrêta à quelques mètres du lieu de rendez-vous. Xavier Lemoine, maire de la ville, l’attendait. Elle sortit du véhicule et se dirigea vers lui.

– Bonjour, Monsieur le Maire, merci de m’accompagner dans cette démarche.

– Madame le Président, je suis honoré que vous ayez choisi Montfermeil et je suis ravi de pouvoir vous aider. Pouvez-vous me dire ce qui vous a conduit à venir ici ?

– Le symbole. C’est le point de départ des émeutes de 2005 qui ont marqué les esprits. Et c’est une ville où, malgré le fait qu’il y ait plus de 40 % de la population immigrée ou étrangère, un maire comme vous est élu dès le premier tour à chaque fois !

– Un maire comme moi ? reprit-il, étonné.

– Un maire assumé de droite, conservateur, catholique affiché… C’est plutôt rare. Il acquiesça d’un signe de tête.

Elle ajouta :

– J’ai vu que vous m’aviez soutenue officiellement, il y a quelques semaines, merci aussi pour cela. Je crois que nous allons pouvoir changer radicalement notre pays.

– Vous savez, je me demande parfois si nous ne faisons pas fausse route avec la République et la démocratie telle que nous l’avons mise en place. Quoi que vous fassiez, je crains que ce soit défait plus tard par ceux qui vous succéderont… Bon, nous arrivons au lieu de rendez-vous, les journalistes vous attendront à la sortie. J’y serai aussi.

– Merci, Xavier. Elle suivit l’officier qui la précédait et entra dans la salle où Ogras l’attendait en compagnie de deux imams. Elle fut sidérée par le culot de l’ancien porte-parole de Castaner : elle avait exigé une rencontre en tête-à-tête. Ils se levèrent à son arrivée mais elle prit les devants :

– Bonjour, Messieurs, je vois que vous êtes venus en force malgré mes demandes. Monsieur Ogras, auriez-vous peur d’une jeune femme de 30 ans ? Il rougit violemment et balbutia qu’il n’avait de leçon à recevoir de personne en ce qui concernait le courage, mais il fut vite coupé par l’un des deux imams : Monsieur Ogras a souhaité que nous l’accompagnions car nous représentons la communauté musulmane de France.

Elle resta debout et renchérit : et qui vous a élus ? Qui vous a nommés ? Vous êtes tous les deux affiliés aux Frères musulmans et vous ne représentez personne, si ce n’est les plus extrémistes de vos coreligionnaires. Mais soit. Vous pouvez entendre le message que j’ai à délivrer à Monsieur Ogras. Il est simple, il est non négociable, il est clair : si vous lancez un référendum sur l’indépendance des 900 zones que vous avez décidé d’occuper, je n’aurai d’autre choix que d’envoyer l’armée pour reprendre le contrôle par la force de vos cités.

– Et vous pensez que nous nous laisserons faire ? C’était le second imam qui s’exprimait. Vous pensez que nous allons nous soumettre, tels des chiens, à vos armes barbares ? Si vous nous attaquez, la France sera à feu et à sang et votre peuple vous chassera. Nous avons fait tomber votre prédécesseur, nous vous ferons tomber aussi ! Elle entra dans une colère froide : être menacée par deux imams qui n’avaient pas le droit d’être sur le sol français lui était insupportable.

– Ce sont les révoltes croisées des banlieues et de la France périphérique qui l’ont fait tomber. Sans elles, vous auriez compté pour rien, ne l’oubliez pas. Monsieur Ogras, je pensais parler entre personnes civilisées mais je découvre avec déception que vous êtes sous influence étrangère. Ces deux personnes qui vous imposent leur vision de la France et de l’islam ont été interdites de séjour, il y a deux ans. Vous êtes bien mal entouré et votre légitimité est morte en même temps que votre crédibilité et votre courage.

Il fit un pas en avant. Elle crut qu’il allait la gifler, mais il se reprit et quitta précipitamment la salle. Elle partit aussi, suivie de son officier qui s’était tenu prêt à intervenir, laissant les deux imams. Elle était dans ses pensées, l’homme qui l’avait menacée n’avait pas tort. Dans un régime si instable, quelle que soit la solidité des institutions, un Président pouvait tomber en quelques mois si le peuple le voulait. La chute de Macron avait créé un précédent dont la Ve République aurait du mal à se relever. Il allait falloir penser à la suite, créer les conditions pour que la politique qu’elle menait soit prolongée ensuite par ses successeurs. Il fallait qu’elle y réfléchisse. Elle arriva devant la meute de journalistes...

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