Le mannequin virtuel Imma annonce-t-il la mort de l’homme ?
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Le Japon moderne, de par son aspect traditionnel et sa propension au progrès, constitue un miroir grossissant du présent ainsi que du futur du monde globalisé. On connaissait en son sein la fétichisation de l’objet (le produit ménager, l’accessoire high-tech et le sextoy), mais aussi celle de l’animal domestique. Voici, maintenant, le mannequin virtuel en vogue Imma, celle-ci étant annoncée comme « la nouvelle influenceuse de synthèse » (sur le site golem13, le 18 janvier). Elle serait en mesure de « promouvoir le monde de la mode auprès des humains ». Imma est la grande star d’Instagram, le réseau social permettant de partager des photos et des vidéos en temps réel (propriété de Facebook).
Seulement, l’idolâtrie de l’objet transforme en objet.
La question fondamentale devant découler de ce phénomène tant sociétal que technologique est celle de la mort de l’homme. Ou bien assiste-t-on à l’émergence d’une nouvelle nature humaine ? La mort de l’homme a été pensée par Foucault dans Les Mots et les Choses (1966). L’auteur de la déconstruction avait fait le pari que les valeurs humanistes devaient tôt ou tard s’annihiler. Celui qui fut accusé d’antihumanisme avait pourtant perçu l’atomisation du psychisme humain sous-tendu par le déploiement de plusieurs personnalités. C’est dans cette schizophrénie ambiante que l’individu ne sait plus ni ce qu’il veut ni ce qu’il est. Une âme fragmentée qui façonne un corps atrophié. Le phénomène Imma dévoile bien à sa manière l’ordre transhumaniste.
Dès lors, le Japonais de 20 à 40 ans ne nourrit aucun projet de vie. Derrière son écran, il fait état de ses tourments (nayami), qui résonnent parfaitement avec ses angoisses (kunô). Il s’enferme dans les images et les sons : bandes dessinées, jeux vidéo, etc. Un darwinisme social drastique passant par-là, cet homme minimal s’enferme dans un tout petit monde pour se sentir virtuellement protégé (hikikomori). « L’enfer, c’est les autres », disait Sartre. En l’occurrence, un malaise social qui va de pair avec un malaise sexuel. Puis le cadre supérieur sort épuisé de son lieu de travail, s’enivre et échoue dans un bar à hôtesses. L’individu est ainsi devenu l’homme malade de la civilisation.
L’incommunicabilité des êtres s’étend d’un bout à l’autre de la planète. En pensant à la France de 1941, Cioran avait conclu : « L’épuisement spirituel conduit à la momification d’une culture. » Les sociétés hautement développées n’entendent ni les voix de l’immanence ni celles de la transcendance. Voilà pourquoi le Japonais lambda ne croit ni aux divinités (kami) ni à Dieu. Débordé par l’économie de marché, il considère l’alter ego comme un outil ergonomique qui doit absolument marcher. Son inconscient collectif a accompli un grand écart entre le chamanisme et l’utilitarisme.
Les rapports humains devenus impossibles, les classes sociales et les genres sexuels sont appelés à se désagréger. Au cœur d’un cyclone civilisationnel, le Japonais n’apprécie guère d’être observé comme un rat de laboratoire. Il s’angoisse parce qu’il ne s’aime pas. Il ne veut pas voir que le japonologue réalise un chemin de croix. Pourtant, ce dernier perçoit que l’individu n’aspire plus qu’à vivre avec un robot. Le drapeau de l’Empire japonais manifestait un soleil flamboyant alors que celui du Japon d’aujourd’hui ne laisse envisager qu’un soleil aussi rouge qu’un soleil couchant. Le Japon n’est plus que le pays de l’Amour couché.
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