Le nouveau monde des Tartuffe
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Le dialogue de Créon et d’Antigone redevient d’actualité. Le puissant Créon, qui représente le pouvoir, prétend avoir tous les droits, tandis que la fragile Antigone revendique l’exigence du devoir. Entrée résolument en dissidence contre le roi, elle a raison de rappeler qu’il y a des lois naturelles non écrites qui sont supérieures à celles des humains et qui représentent la noblesse de l’homme. Tout ce qui dégrade la dignité est œuvre de mort. En effet, au-dessus de chaque personne, quelle que soit son importance, il existe deux repères essentiels : d’une part un principe de sincérité dans la droiture, d’autre part le respect et le service des autres qui ne sont jamais indifférents. Certes, il ne s’agit pas d’une perfection, jamais atteinte, mais au moins d’une tension vers le meilleur et le rejet de la turpitude. Il ne s’agit donc pas seulement d’une « transparence » évoquée à titre d’attrape-voix, et pouvant revenir en boomerang, mais d’une « transcendance » qui oblige à changer de comportement lorsqu’on se destine au service du peuple. C’est pourquoi, en république, on ne doit s’approcher du pouvoir que de manière irréprochable, car le peuple qui s’illusionne sur la sincérité des candidats ne peut pas se laisser tromper ou abuser.
Il en résulte des distinctions fondamentales qu’il ne faut pas perdre de vue. Le problème n’est pas de savoir si on agit légalement ou illégalement. La liberté individuelle est, certes, absolue à condition de ne pas nuire aux autres. Celui qui prend le risque de s’engager dans la sphère du service public doit veiller à mettre sa vie privée en harmonie avec sa prétention, son histoire ou sa parole. C’est tout simplement une exigence d’exemplarité dans la propreté et l’honnêteté des attitudes. L’élu ne s’appartient plus, il est le serviteur délégué des électeurs qui conservent des droits sur lui.
De nos jours, hélas, il est surprenant que la caste politique se dresse contre les révélations abusives de la vie privée. Cette solidarité hypocrite est proche d’une compréhension complice. En effet, ne pourrait-on pas dire que si tous ne mouraient pas, une grande partie d’entre eux était contaminée et atteinte par la peur d’être démasquée et par la lâche tentation de jouer aux victimes.
Aujourd’hui, ce phénomène affligeant paraît gagner du terrain. Hier, les malhonnêtetés faisaient l’objet d’un minimum de pudeur, de prudence ou de camouflage, au moins pour éviter de montrer la face cachée des prétendants entraînant des sanctions démocratiques. Dans d’autres pays européens, l’exigence nationale fortement ancrée dans les institutions et surtout dans l’esprit des citoyens entraînait automatiquement l’exclusion des personnalités compromises ou le réflexe de la démission. En France, depuis quelques décennies, dans de nombreux domaines, la presse a été obligée de suivre la pression de l’opinion publique pour s’employer à dénoncer les comportements inacceptables dans la religion, dans le sport, dans la culture, dans le cinéma, dans l’enseignement.
On assiste, en effet, à l’émergence d’une nouvelle société qui ne se confond pas avec un nouveau monde mais qui préconise le retour à la norme de la dignité et de l’honneur. Toutefois, nos contemporains n’ont pas encore pris conscience de l’invention diabolique des réseaux sociaux qui échappent à leur maîtrise en donnant naissance à la dictature de 1984 ou au monstre aux mille têtes qui fait régner la terreur. En conséquence, il appartient au personnel politique de réfléchir avant de franchir, par l’élection, la frontière de la chose publique, car personne ne les y oblige. Il importe de bien se connaître avant de prétendre connaître les citoyens et de se tenir prêt à assumer ses limites, à s’excuser de ses erreurs ou à se retirer. Prendre conscience de sa fragilité, de sa vulnérabilité, implique d’acquérir une bonne dose d’humilité.
La révolution du dégoût, enclenchée par les gilets jaunes, a fait savoir que c’est au fond du puits que l’on peut revoir les étoiles.
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