Le nucléaire, nouveau marqueur politique entre une droite nationaliste et une gauche « wokiste »

Cinquième vague oblige, depuis la mi-décembre, les grands sujets de société ont à nouveau été escamotés du débat politique. Personne, dans les médias, ne parle plus de la flambée des prix de l’énergie. Plombant le pouvoir d’achat des français, elle représente pourtant une bombe sociale à retardement qui pourrait, à moyen terme, plonger la France dans une nouvelle crise des gilets jaunes.

Ayant fait de la question écolo-énergétique l’un des fers de lance de sa campagne, Jean-Luc Mélenchon fait exception à la règle. Mais personne n’est dupe. Ce verdissement de circonstance lui permet surtout de concurrencer les écologistes sur leur propre terrain. Sous couvert de chiffres bien souvent interprétés à son avantage, sa démarche sacrifie sans vergogne l’honnêteté scientifique sur l’autel de l’idéologie. Une stratégie (elle se lit en filigrane) venue du groupe Négawatt dont les scénarios décroissantistes reposent principalement sur la sobriété énergétique, le rejet du nucléaire et la promotion du 100 % renouvelable. Pour justifier la sortie du nucléaire, son argument principal repose sur le marché de la peur : « Le nucléaire est d’autant plus dangereux que, d’ici 2050, certaines centrales situées dans le golfe d’Aquitaine se retrouveront sous les eaux. » En revanche, il passe sous silence la flambée des prix de l’énergie, s’inquiétant for peu de la dépendance croissante européenne vis-à-vis du gaz russe.

L’antinucléarisme de Jean-Luc Mélenchon est symptomatique du changement de logiciel de la gauche. Trotskiste dans ses jeunes années, l’Insoumis a défendu l’atome bec et ongle jusqu’à un passé récent. Mais la vague verte portée par les écologistes a eu raison de lui comme d’Anne Hidalgo, qui s’est aussi rangée du côté des « anti-nuk ». On ne compte plus, aujourd’hui à gauche, que l‘insignifiant Fabien Roussel (1 % des voix) pour défendre le nucléaire.

Avant de s’intéresser à Dame Nature, les écologistes ont d’abord été pacifistes en s’opposant frontalement à la prolifération des armes nucléaires et à la guerre du Vietnam. Leur anti-nucléarisme civil a émergé de la « contre-culture » venue d’outre-Atlantique. Promue en France par des intellectuels comme Jean-Paul Sartre, Jacques Derrida, Michel Foucault ou Simone de Beauvoir, cette contre-culture pacifiste et anti-impérialiste intégra, dès les années 1960, les grandes valeurs indigénistes, féministes, homophiles et racialiste prônées par l’actuel mouvement « wokiste ».

Qualifiés de « gauchistes », les premiers écolos allaient, au cours des années 1960, être progressivement disqualifiés au sein d’un Parti communiste favorable au nucléaire civil car synonyme d’emploi, d’énergie bon marché pour les plus précaires et d’indépendance énergétique. Ce schisme des gauches se cristallisa, socialement, à partir de mai 1968 quand Georges Marchais traita le « gauchiste allemand Cohn-Bendit » de « fils de grand bourgeois pseudo-révolutionnaire ayant la prétention de donner des leçons au mouvement ouvrier ».

La scission fut surtout sociologique, opposant un monde ouvrier attaché au communisme historique à un monde davantage intellectuel foisonnant dans les universités et le monde enseignant. Confronté à ses contradictions à partir du début des années 1980, laminé par l’effondrement du bloc soviétique et siphonné de ses ouvriers par la mondialisation le communisme de Marchais allait perdre la partie face au gauchisme de Cohn-Bendit.

Tout en continuant à promouvoir l’égalitarisme marxiste, le gauchisme allait progressivement substituer la lutte des classes traditionnelle à une lutte de races et des genres intergénérationnelle. Ce phénomène historique a complètement rébattu les cartes sociologiques : les classes populaires plutôt rurales et victimes de la mondialisation ont progressivement migré vers la droite nationaliste, tandis que la gauche se reconstituait presque exclusivement autour de « bobos » citadins, principale base électorale des maires écologistes plébiscités dans les grandes villes lors des municipales de 2020.

La sortie du nucléaire n’est qu’une expression supplémentaire de la dérive « wokiste » d’une gauche devenue sans le dire décroissantiste. Issus de ce gauchisme dissident dont l’histoire se confond avec celle du mouvement pacifiste contre la bombe atomique, les écologistes n’ont jamais accepté de différencier le nucléaire civil du nucléaire militaire. Si EELV utilise aujourd’hui de façon tactique des arguments sécuritaires (risque nucléaire, traitement des déchets) ou économiques (coût des EPR et du grand carénage), leur antinucléarisme vient surtout de leur chromosome pacifiste et multiculturaliste : « Au sein du mouvement écologiste [accepter le nucléaire] c’est comme renier la Bible pour un chrétien », écrivait récemment Brice Lalonde.

Aujourd’hui principalement reconstituée autour du sentiment nationaliste, la droite française continue quant à elle de supporter le nucléaire synonyme d’indépendance énergétique et d’outil performant pour lutter contre le réchauffement climatique. Tous les candidats de droite sans exception, de Marine Le Pen à Valérie Pécresse en passant par Éric Zemmour, supportent le grand carénage, la construction des nouveaux EPR et les Small Modular Reactors.

Quant au président de la République, fidèle à son « en même temps », il navigue entre deux eaux. Proposant initialement, dans son programme électoral de 2017, de réduire le nucléaire à 50 % en 2025, il a dans un premier temps repoussé la date butoir de dix ans. Mais depuis septembre 2021, effrayé par la flambée des prix du gaz, il a changé diamétralement sa stratégie et rejoint les ténors de la droite. Grand artisan de l’entrée du nucléaire dans la taxonomie verte européenne, il défend aujourd’hui le grand carénage, les EPR et les SMR qui, sauf imprévisible revirement, feront partie de son programme 2022.

Philippe Charlez
Philippe Charlez
Chroniqueur à BV, ingénieur des Mines de l'École polytechnique de Mons (Belgique), docteur en physique de l'Institut de physique du globe de Paris, enseignant, expert énergies à l’institut Sapiens

Vos commentaires

21 commentaires

  1. « Le pire fléau de l’humanité n’est pas l’ignorance, mais le refus de savoir. »
    (Simone de Beauvoir)…

  2. Couler dans des terres arables des milliers de m3 de béton armé, pour y planter des éoliennes qui ne produisent rien ; multiplier les panneaux solaires non recyclables, fabriqués avec des métaux polluants extraits dans des conditions abominables par des gamins de 12 ans, fermer des centrales non polluantes pour en ouvrir qui fonctionnent à la lignite… Opérer (charcuter) des hommes pour en faire des femmes et inversement… et ça se dit « écolos », proches de la nature.

    • Des progressistes, rétrogrades et accaparant un créneau politique porteur du fait de la crainte climatique.

  3. « « Au sein du mouvement écologiste [accepter le nucléaire] c’est comme renier la Bible pour un chrétien », écrivait récemment Brice Lalonde. » Malraux avait raison : le XXIè siècle est devenu religieux. Mais il n’avait pas prévu le triomphe de l’imposture et des fausses religions, telles l’écologie et le wokisme.

  4. Bravo monsieur. Excellent résumé qui montre bien que la gauche française nationaliste et défenseur du monde ouvrier a complétement disparu du paysage. La gauche d’aujourd’hui n’est plus la gauche mais bien un rassemblement hétéroclite de petits bourgeois égoïstes, nantis et incohérents. Et ce que vous écrivez si justement sur le nucléaire pourrait se décliner pour la société toute entière ou ce qu’il en reste.

  5. La « pandémie » à, et aura « bon dos » pour augmentée de façon astronomique les prix de l’énergie et tous les autres d’ailleurs. Mais pensez vous que ces prix redescendront une fois cette pandémie terminée du moins si elle l’est un jour ? L’Allemagne qui gouverne l’europe veille au grain ! Bien que je ne sois pas énarque il y a des choses que l’on peut comprendre avec un peu de vécu et voyant ce que peuvent être les politiques et autres financiers leurs mentors.

  6. Qu’il commence par rouvrir Fessenheim, cela restituera 1000 emplois d’un coup , sans compter tous les emplois dérivés dans une région sinistrée.

    • Fessenheim ne peut plus être remise en fonctionnement. Trop de sécurité et des circuits vitaux ont déjà été mis hors service. Non, il faut construire dans l’emprise de Fessenheim le premier réacteur à neutrons rapides de 4e génération.

      • Je suis sûr que les ingénieurs français sont à la hauteur. Ce sont les politiques qui trainent la patte et qui démolissent autant qu’ils peuvent. Quel gâchis !

  7. Un proverbe dit qu’il n’y a que les imbéciles qui ne changent pas d’avis. Il se trouve qu’en matière de nucléaire, c’est exactement le contraire, ceux qui changent souvent d’avis ce sont certains de nos « dirigeants », au gré des réalités énergétiques et économiques, tout ça fait un peu gribouille et ne donne pas envie de leur confier les clés de la destinée de la France.

  8. J’ai des difficultés à comprendre la stratégie énergétique. On paie au prix du gaz l’électricité Nucléaire. Où va la différence ? Il s’agit De fortunes. EDF ou l’europe Se gavent. Ce serait bien qu’un journaliste enquête sur ce sujet. Quand on sera tous électrifiés on sera esclaves de ces pouvoirs parallèles.

    • Non EdF ne se gave pas en vendant par obligation légale (le dispositif AREHN) un quart de son électricité nucléaire à ses concurrents à 42 euros le MWh quand le marché atteint 300 euros et en l’obligeant à fermer Fessenheim. Les responsables sont à l’Elysée et à la Commission européenne.

    • Je pense que ceux qui se gavent et se sont gavés, ce sont les fournisseurs « alternatifs », dont la plupart ne produisent aucun Kw/h, mais pour qui bruxelles a imposé à EDF de leur vendre à des prix scandaleusement bas de l’énergie nucléaire, afin que ceux-ci fassent une concurrence déloyale au producteur national. Bravo à cette europe qui démantèle les fleurons Français et il y a hélas d’autres exemples.

  9. Excellent article. Mélenchon est aussi roublard et dangereux qu’un Lénine, un Staline ou un Trotski. Les communistes, enfin ce qui reste du PCF ne peuvent que lui être opposés sur le nucléaire, et Roussel, sur ce point, a raison d’être candidat, quand bien même ça ne changera rien à l’effacement définitif du communisme. Pour rappel le PCF était pour l’extension du camp militaire du Larzac, ce en quoi il se differenciait aussi des gauchistes et des écolos. Idem pour la drogue et l’immigration.

  10. Rien qu’avec Flamenville la dénucléarisation civile a entraîné l’hiver- dernier des ruptures d’approvisionnement énergétique que les moulins-à-vent et panneaux-solaires , aussi nombreux soient-ils, ne peuvent compenser qu’aléatoirement . Se passer de l’atome qui a permis les 30 glorieuses c’est vouloir s’éclairer à la bougie comme en 1944 . Un seul avantage : nous ne subirons plus la télévision élyséenne.

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