Le pape Formose, un condamné post mortem

L’histoire du Saint-Siège ne s’est pas écrite qu’avec des prières, des louanges et de l’eau bénite.
Jean-Paul Laurens, Public domain, via Wikimedia Commons
Jean-Paul Laurens, Public domain, via Wikimedia Commons

Alors que le monde rend hommage à la mémoire du pape François qui vient de nous quitter, il faut se rappeler que tous les papes n'ont pas bénéficié d'une telle reconnaissance posthume. En effet, l’histoire de la papauté ne s’est pas écrite qu’avec des prières, des louanges et de l’eau bénite. Au fil des siècles, certains papes et prélats ont parfois semblé plus proches du pécheur originel que du pêcheur d’hommes qu’était saint Pierre, car derrière les murs vénérables du Vatican, intrigues, complots et luttes de pouvoir n’ont jamais cessé depuis l’aube de la chrétienté. L’un des épisodes les plus saisissants de cette histoire reste, ainsi, celui du pape Formose, victime d’une machination non pas de son vivant… mais après sa mort.

Une course au trône de saint Pierre

Né vers 816, Formose mène une vie obscure, durant ses premières années. Ce n’est qu’en 864 que les premières mentions précises le concernant apparaissent : il est alors nommé évêque de Porto. Cette élévation fait de lui un papabile, un objectif qui va devenir son obsession.

À cette époque, le trône de saint Pierre est déjà un enjeu hautement politique. La fin du IXe siècle est marquée par une instabilité extrême : depuis l’an 800, treize papes se succèdent à un rythme effréné, certains ne régnant même pas une année entière. Cette brièveté favorise les candidatures répétées, tant les sièges sont éphémères. Après de longues années de luttes et d’attente, Formose accède ainsi, enfin, au pontificat en devenant le 111e pape de l’Église catholique, le 3 octobre 891.

Son règne est alors principalement tourné vers l’arbitrage des conflits dynastiques en Occident. Il intervient, notamment, dans la querelle qui oppose Eudes, comte de Paris et fondateur de la dynastie des Robertiens, ancêtres des Capétiens, au carolingien Charles III le Simple, pour lequel Formose prend clairement parti. Cependant, le pape s’éteint le 4 avril 896, à l’âge de 80 ans, après cinq années de pontificat. Sa mort ne met pourtant pas un terme à son histoire. Bien au contraire…

Le concile cadavérique : l’abomination des abominations

À peine Formose inhumé, Boniface VI lui succède… pour seulement quinze jours. Puis, en 897, Étienne VI monte sur le trône de Pierre. Cet homme n’est pas, alors, un simple successeur : il est un adversaire résolu de Formose, animé par une haine tenace ainsi que par des intérêts politiques et familiaux. Au lieu de clore les querelles avec la mort de son rival, Étienne VI décide de les raviver d’une manière inédite dans toute l’Histoire de l’Église : il fait exhumer le corps de Formose pour le soumettre à un procès.

Ce simulacre de justice, resté célèbre sous le nom de concile cadavérique, marque un sommet de barbarie institutionnelle. Le corps décomposé de Formose est extrait de sa tombe, revêtu des ornements pontificaux et installé sur un trône où l’on se met à le juger comme s’il était encore en vie. Formose est alors accusé de tous les maux : d’avoir conspiré contre la papauté, contre les intérêts de la chrétienté, etc. Un clerc est désigné pour répondre à sa place, mais l’issue du procès est connue d’avance.

Formose est ainsi déclaré indigne d’avoir occupé la chaire de saint Pierre et tous ses actes pontificaux sont annulés. Selon Daniel-Rops dans son Église des temps barbares, une scène hallucinante suit le verdict : « Une cérémonie abominable suivit, où le mort fut dégradé, dépouillé des vêtements pontificaux auxquels collaient les chairs putréfiées, jusqu'au cilice que portait ce rude ascète ; les doigts de sa dextre furent coupés, ces doigts indignes qui avaient béni le peuple. » Le corps mutilé fut ensuite jeté dans le Tibre afin que le fleuve lave les prétendus péchés de Formose ainsi que son souvenir.

Une réhabilitation tardive mais décisive

Il faudra attendre l’élection de Jean IX en 898, après la mort successive d’Étienne VI et de ses successeurs Romain et Théodore II, pour que justice soit rendue à Formose. Le corps de ce dernier est retrouvé par des pêcheurs dans leur filet et conservé précieusement avant de pouvoir être inhumé à nouveau dignement dans les grottes du Vatican. Jean IX condamne solennellement le concile cadavérique, interdit tout nouveau procès posthume et réhabilite les décisions prises par Formose. Cette affaire fera jurisprudence : on admet, désormais, que les morts doivent reposer en paix, à l’abri des procès des vivants.

Cependant, l’affaire Formose reste une tache indélébile sur l’histoire du Saint-Siège. Elle est aussi, à bien des égards, un avertissement pour notre temps où, encore aujourd’hui, les condamnations posthumes se multiplient. Tel Étienne VI, on déboulonne, on renomme, on efface et on juge, à l’aune de critères contemporains et d’idéologies partisanes, les monuments et les noms d’hommes et de femmes d’un autre temps.

Picture of Eric de Mascureau
Eric de Mascureau
Chroniqueur à BV, licence d'histoire-patrimoine, master d'histoire de l'art

Vos commentaires

Un commentaire

  1. Histoire hallucinante où la folie et la haine se répercutent même sur les cadavres. De nos jours, des fanatiques déboulonnent les statues pour ce qu’elles pouvaient représenter à une époque bien différente de la nôtre, où les mentalités, les us et coutumes étaient différents. Qu’à cela ne tienne, tel personnage historique sera honni, détesté. Va-t-on déterrer un jour Napoléon ?
    Réécrire l’histoire avant tout, la réinstaller dans un présent, woke, idéologique, haïr dans ce passé tout ce qui ne se marie pas avec la doxa antiraciste, inclusive, progressiste de l’époque moderne. Cette plongée haineuse dans le passé relève plutôt de la psychiatrie que de la raison objective.
    Certains personnages sont incapables de maîtriser leurs émotions, leurs tourments, leurs ressentiments, leur capacité à raisonner. Il fut un temps où l’on apprenait à l’école la manière d’aborder avec le plus de calme et d’objectivité possible les sujets : thèse, antithèse et… synthèse !
    Tiens, un sujet que France inter, Bfm, LCI, pourrait proposer sur ses ondes ou antennes : « L’homme est-il capable d’objectivité et de sagesse ? »
    L’Arcom pourrait-elle participer au débat ?

Laisser un commentaire

Pour ne rien rater

Les plus lus du jour

La France est championne… des demandes d’asile
Gabrielle Cluzel sur CNews
Lire la vidéo

Les plus lus de la semaine

Les plus lus du mois