Le pape François en Corse : l’ombre de Napoléon et la mémoire de Pie VII

© Jean-Pol GRANDMONT
© Jean-Pol GRANDMONT

Le 15 décembre prochain, la Corse accueillera, pour la première fois de son Histoire, un pape sur son sol. Cette visite du pape François est l'occasion de rappeler les liens délicats entretenus entre la papauté et celui qui demeure l’une des grandes figures de l'île de Beauté : Napoléon Bonaparte. L’Empereur incarne un personnage dont l'histoire est intimement liée à celle de l'Église catholique au début du XIXe siècle. Sa relation avec le pape Pie VII, oscillant entre respect mutuel, tensions politiques et manipulations réciproques, illustre une période où le pouvoir spirituel et temporel se sont affrontés et influencés comme rarement auparavant.

Les débuts d'une collaboration prometteuse

Lorsque Bonaparte prend le pouvoir en 1799 en tant que Premier consul, la France sort d'une décennie révolutionnaire marquée par des bouleversements sociaux et religieux profonds. Le clergé a été persécuté, les églises pillées et le catholicisme a été considérablement affaibli. Conscient de l'urgence de rétablir la paix au sein d’une société française fracturée et divisée, Bonaparte voit en l'Église un outil de pacification et un moyen de rassembler les Français autour d'un socle commun. Comme il le résume : « Une société sans religion est comme un vaisseau sans boussole. » Ainsi, afin de redonner un cap à la France, Bonaparte engage avec le pape Pie VII des négociations aboutissant au concordat, signé le 15 juillet 1801. Ce texte constitue alors une avancée majeure dans les relations entre la France et le Saint-Siège : il établit en France le catholicisme, non pas comme religion d'État, mais comme « la religion de la grande majorité des citoyens français ». Cela permet à Bonaparte de consolider son autorité et sa légitimité. Pie VII, de son côté, y voit une chance de restaurer en France l'influence perdue de l'Église.

 

Le sacre de Napoléon : le début de la fracture

La relation entre Napoléon et Pie VII atteint son apogée symbolique le 2 décembre 1804, lors du sacre de l'Empereur à Notre-Dame de Paris, dont nous fêtons prochainement le 220e anniversaire. Cette cérémonie, minutieusement orchestrée, mêle collaboration et affirmation d'autorité. En effet, en invitant Pie VII à y assister, Napoléon cherche à conférer à son pouvoir une dimension sacrée, dans la lignée des rois de France. Cependant, dans un geste de défi sans précédent, il se couronne lui-même, affirmant ainsi que son autorité ne provient que de lui et non de l'Église. Pour Pie VII, ce sacre, pour lequel il a traversé l'Italie et la France, représente un moment délicat, voire humiliant, où il se retrouve relégué au rang de spectateur soumis à un nouvel empereur autoproclamé et dont l’ambition ne semble pas avoir de bornes.

 

Tensions croissantes

Dès lors, les relations entre Napoléon et Pie VII se détériorent rapidement. L'Empereur, dans sa quête de domination européenne, empiète de plus en plus sur les prérogatives de l'Église. En 1806, il exige du pape qu'il rompe ses alliances avec les ennemis de la France et qu’il participe au blocus continental. Lorsque Pie VII refuse, Napoléon écrit : « Votre Sainteté est souveraine de Rome, mais j'en suis l'Empereur. Tous mes ennemis doivent être les siens. » Face à l’obstination de Rome et en représailles, Napoléon annexe les États pontificaux en 1809 et fait arrêter le pape, le transférant dans une prison dorée au château de Fontainebleau. Dépossédé de son pouvoir temporel, Pie VII conserve néanmoins sa puissance spirituelle. Il décide ainsi d’excommunier Napoléon ainsi que tous ceux qui l'ont assisté dans cette entreprise contre l'Église. Cet affrontement exacerbe les critiques contre l'Empereur, que certains de ses opposants qualifient désormais d'Antéchrist. Cependant, la chute de Napoléon en 1814 ouvre une nouvelle phase dans leurs relations. Libéré après l'abdication de l'Empereur, Pie VII fait preuve d'une grande magnanimité et d’une infinie miséricorde envers les Bonaparte. Il autorise même Letizia Bonaparte, la mère de Napoléon, à trouver refuge à Rome, sous sa protection, pour échapper aux représailles des ennemis de l'Empire.

 

Ainsi, si l'histoire entre Napoléon et Pie VII semble appartenir au passé, elle peut encore influencer, aujourd'hui, les relations entre le Vatican et la France. La décision du pape François de se rendre en Corse, mais pas de venir à Notre-Dame de Paris, résonne peut-être comme un écho de cet héritage historique. En refusant de participer à l'inauguration de la cathédrale, prévue le 8 décembre, peu après le 220e anniversaire du sacre de Napoléon, le souverain pontife envoie possiblement un message subtil au Président Emmanuel Macron. La papauté semble ainsi rappeler qu'elle ne soutiendra pas un chef d'État sourd aux messages de l'Église, comme François l'avait souligné à Marseille en critiquant la constitutionnalisation de l'IVG et la législation sur l'euthanasie. L'histoire complexe entre Pie VII et Napoléon, tout comme les choix du pape actuel, nous invite à méditer sur les défis éternels des relations entre pouvoir spirituel et pouvoir temporel.

Eric de Mascureau
Eric de Mascureau
Chroniqueur à BV, licence d'histoire-patrimoine, master d'histoire de l'art

Vos commentaires

13 commentaires

  1. « …Cependant, dans un geste de défi sans précédent, il se couronne lui-même, affirmant ainsi que son autorité ne provient que de lui et non de l’Église. Pour Pie VII, ce sacre, pour lequel il a traversé l’Italie et la France, représente un moment délicat, voire humiliant, où il se retrouve relégué au rang de spectateur soumis à un nouvel empereur autoproclamé… »
    Peut être que Francois a eu peur qu’Emmanuel lui arrache le goupillon des mains pour s’auto bénir… ?

    • Oh, c’est bien dit mais comme c’est rare, c’est cher et les Corses se doivent d’apprécier à sa juste valeur l’honneur que leur fait le pape. Quant à Macron, à lui de digérer ce véritable soufflet quelque peu mérité, tout chanoine honoraire de Latran soit-il et pourra-t-il aller s’en consoler, s’il y va, lors de la « messe pour la France » du 13 décembre.

  2. Cet article me laisse perplexe tellement il « ravive » le délire des « puissants » ou prétendus qui veulent régenter la planète ! …
    Les EGO de chacun n’est pas là pour « servir le peuple » mais bien pour dominer les gueux ! …
    Deux choses :
    1 – Le christianisme a perdu toute crédibilité lorsque « Benoist XVI » a démissionné du poste de « pape » ! … Un « pape » à la retraite et un « pape » qui cautionne la traite mondialiste des peuples « ça » fait deux raisons de trop pour que les chrétiens se fassent respecter par une religion en particulier ! … C’est vérifiable tous les jours dans de nombreux pays dont malheureusement la France …
    2 – Le « Président-des-cercueils » ne s’arrêtera pas de fracasser tout ce style français qui a fait justement de la France « un pays des lumières » ! … Il a massacré le système nucléaire électrique français en y transmettant un message subliminal : « Moi macron, je vais éteindre la France ! … »
    Il est en passe d’y réussir en poussant la France dans un troisième conflit militaire mondial; ce qui parachèvement sa fin de règne car il aurait « sa guerre » lui aussi à son actif ! …

      • Je ne vois pas pourquoi la démission de Benoît XVI aurait fait perdre toute crédibilité au catholicisme. Le pape n’est que l’humble et HUMAIN serviteur de Dieu. Notre seul Seigneur est Dieu, père fils et saint esprit.

  3. N’oublions pas que pour beaucoup de catholiques royalistes contemporains de Pie VII,son élection au conclave de Venise s’est faite sous l’influence française ( Pie VII avait été un des rares évêques à exprimer de la sympathie pour la Révolution),et en particulier du cardinal Maury dont Bonaparte fera l’archevêque ( illégitime ) de Paris.

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