Le « pognon de dingue » des réseaux d’éducation prioritaire, pour quels résultats ?

Dans une lointaine vie antérieure, j’ai été prof de musique. Trois ans d’Éducation nationale avant de m’enfuir en courant… René Haby venait de supprimer les « classes de transition », soupçonnées – parce qu’elles conduisaient à l’apprentissage – de fournir de la main-d’œuvre au grand patronat. Advint alors cette merveille appelée « collège unique ». Programme à long terme : nivellement par le bas. Et pour ceux qui n’avaient pas encore touché le fond, on mit en place des classes « à programme allégé », comme la margarine du même nom.

En 1981, Alain Savary, voulant « lutter contre l’échec scolaire », crée les ZEP, les « zones d’éducation prioritaire ». Vingt ans plus tard, on décide, vu l’ampleur du désastre, d’ajouter un étage à la fusée : les « réseaux d’éducation prioritaire » (ou REP). Las, ça ne s’arrange pas… Pour résumer d’une image, le taux des illettrés croît en même temps que les budgets, si bien qu’en 2006, on rebidouille le machin : en lieu et place des ZEP et des REP naissent les RAR et les RRS, respectivement « réseaux ambition réussite » et « réseaux de réussite scolaire ».

Et ça va mieux ? Non, docteur, ça empire !

Alors, vite ! un remède miracle : c’est le programme ECLAIR, pour « écoles, collèges, lycées pour l’ambition, l’innovation et la réussite ». Tout un programme, en effet, « en faveur de l’égalité des chances ».

Et maintenant, ça va mieux ? Pas vraiment… Aujourd’hui, on a les REP+, pour « réseau d’éducation prioritaire renforcée ». Depuis 2017, 10.800 classes de CP et de CE1 en REP+ et REP ont été créées. On a dédoublé les effectifs, offert le petit déjeuner aux enfants, le menu bio à la cantine…

En octobre 2018, la Cour des comptes enfonçait une porte ouverte : « L'Éducation prioritaire, telle qu'elle a été mise en œuvre jusqu'à présent, n'a pas atteint son objectif », disaient les sages. Concrètement : « Les écarts de niveaux entre le 1,7 million d'élèves de REP et les autres, qui devaient se limiter à 10 %, s'élèvent à 20 ou 35 % selon les disciplines. » Bref, 1,7 milliard d’euros de dépense annuelle pour des prunes.

Et les sages en leur sagesse de pointer aussi « l’absence de mixité sociale ». Ces gens qui ont tous fait passer leurs enfants par Stanislas, l’École alsacienne et autres boîtes privées les plus huppées du marché, de dénoncer « des parents [qui] fuient les établissements concernés et préfèrent inscrire leur enfant ailleurs ». On se demande bien pourquoi ! En conclusion, la Cour des comptes proposait de réviser la carte scolaire et la manière dont sont répartis les élèves dans les établissements.

Pas question que les pauvres échappent à la « cancritude » !

C’est ainsi qu’on arrive, en ce 5 novembre, à une énième proposition de réforme. Au menu, nous dit Le Parisien, en finir avec les zones d’éducation prioritaire, « trop stigmatisantes ».

Une réforme qui porterait essentiellement sur le financement. Dans l’objectif de « décentraliser l'éducation prioritaire, les moyens supplémentaires ne seraient plus alloués par l'État, mais confiés à chaque rectorat. À lui de déterminer, localement, les écoles à soutenir et à quel niveau. » Il y aurait évidemment plus urgent, à savoir la refonte du réseau, mais il parait qu’« on mettrait le feu à le faire avant les élections municipales »...

Car les faits sont là : non seulement « le dispositif ne profite qu'à une minorité des élèves défavorisés », puisque 73 % d’entre eux sont scolarisés dans des collèges ordinaires, mais l’absence de résultats sur le niveau des élèves vient en partie « du fait que le label éducation prioritaire stigmatise (sic), et déclenche des phénomènes d'évitement à tous les niveaux, de la part des enseignants et des familles qui sont plus nombreuses à inscrire leurs enfants dans le privé ». Finalement, conclut une éminence, « le surcroît de ressources donné à l'établissement sert juste à compenser ces effets de stigmatisation ».

Bref, ce « pognon de dingue » ne sert à rien !

Marie Delarue
Marie Delarue
Journaliste à BV, artiste

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