Le Pont-Neuf empaqueté : encore un « cadeau » de l’art contemporain

JR, La Grotte du Pont Neuf. Collage 2024. Atelier JR. Photo: Courtesy Atelier JR. © 2024 JR
JR, La Grotte du Pont Neuf. Collage 2024. Atelier JR. Photo: Courtesy Atelier JR. © 2024 JR

Avez-vous, dans votre entourage, quelqu’un qui vous offre régulièrement le même cadeau, cravate ou autre bougie parfumée ? Eh bien, en septembre prochain, le Pont-Neuf deviendra « The Pont Neuf Wrapped », le Pont-Neuf « empaqueté » ou « emballé ». Comme un air de déjà-vu…

« De grandes formations rocheuses reliant temporairement les rives droite et gauche de la Seine » : l'annonce en a été faite par la Fondation Christo et Jeanne-Claude. L’installation du plasticien JR sera « une installation immersive inspirée de l'héritage du couple d’artistes » pour fêter les 40 ans de l’emballage du monument par Christo. Derrière ce côté Luna Park, l’auteur de Art contemporain, manipulation et géopolitique, Aude de Kerros, voit d’abord du business : « Cet événement va faire vivre la cote de Christo et celle de JR, explique-t-elle à BV. Tout un microcosme a un intérêt au montage. »

L’art contemporain systémique

Qui est ce JR ? Pour être lui-même, l’homme porte en permanence un petit chapeau et des lunettes de soleil et se revendique « photograffeur ». Il colle, partout sur la planète, des photos en faveur des femmes, des jeunes de banlieue et des migrants. Il embrasse tout le spectre du conformisme, écriture inclusive comprise : « Déplacé∙e∙s » se donne actuellement à Stockholm. JR est un poulain d’Emmanuel Perrotin, propriétaire de galeries à Paris, Hong Kong, New York, Séoul, Tokyo, Shanghai et Los Angeles. « Depuis quelques années, l’art contemporain récupère des artistes un peu moins "produit financier", travaillant dans le street art ou l’art brut - mais jamais l’art où la forme et le sens sont liés », commente Aude de Kerros.

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Nous sommes là en plein dans le système « art contemporain » : art mondialisé et répondant à des injonctions idéologiques, fonctionnant à base de galeries internationales, de foires (internationales, elles aussi) et de reconnaissances institutionnelles. En 2017, François Hollande a inauguré, à Clichy-Montfermeil, une œuvre de JR, réalisée avec le virulent Ladj Ly et qui vient d’entrer dans les collections du Centre Pompidou. Avec cette opération Pont-Neuf, « JR confirme qu’il passe du rang de street-arter au rang d’artiste officiel, selon Aude de Kerros. Il entre dans la catégorie des produits financiers dans lesquels on peut investir. En résumé, nous avons là un modèle de fabrication d'une marque, de sa cote et de sa valeur. »

Le soft power en action

En commémorant l’emballage de 1985, l’art contemporain se célèbre lui-même. « Emballer le Pont Neuf, on peut trouver cela rigolo, relevant d’une autodérision proprement européenne, mais au fond, en 1985, c’était se moquer de Paris », analyse Aude de Kerros. On touche au domaine politique, qui explique aussi l’emballage du Reichstag (1995). Alors que Berlin redevenait la capitale allemande, des craintes existaient : le monument avait des résonances historiques embarrassantes. « En acceptant que Christo emballe le Reichstag en 1995, les Allemands ont cassé les fantasmes autour de ce monument, pour qu’on ne les prenne pas au sérieux », décrypte Aude de Kerros.

De même, lorsque Macron accepte l’emballage de l’Arc de Triomphe (2021), œuvre posthume de Christo, il fait passer un message, selon elle : « La France doit s’effacer derrière l’Union européenne. Il y a une humiliation de la France. » L’art conceptuel cumule le business et le soft power (stratégie d’influence par le biais de la culture). Mais qu’importe, le maire de Paris est ravi. « Je me réjouis de ce cadeau offert à Paris et à tous ceux qui l’aiment », a réagi Anne Hidalgo, inconsciente ou complice de ce nouveau #SaccageParis.

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Samuel Martin
Journaliste

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45 commentaires

  1. L’emballage du Pont Neuf respecte au moins le Protocole de Venise. Ce n’est pas comme le saccage de la cathédrale Notre Dame de Paris : la maison de vente aux enchères Orne Enchères, en Alençon, qui avait glissé, pour rire, une des chasubles utilisée pour la cérémonie, dans les lots de sa vente du 13 décembre dernier, a reçu dans la foulée une lettre de l’avocat de l’association diocésaine de Paris:  » La chasuble, lot 160, était ainsi présentée : “chasuble de forme pseudo-antique en laine écrue semée d’éclats de velours polychrome. Au centre, croix dorée réappliquée. Fabrication normande typique des années 80; modèle désuet (provenance : chapelle de banlieue aujourd’hui désaffectée)“. Avec une estimation de 10-20 euros, très faible donc.

  2. Il fût un temps où les véritables artistes n’étaient reconnus qu’une fois morts. Maintenant, ils encaissent de leur vivant pour des soit-disant œuvre qui n’ont aucun sens, ou qui sont laides, ou vulgaires et grossières. Polluantes, par dessus le marché.

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