[LE ROMAN DE L’ÉTÉ] Opération Asgard – Autour d’un verre de whisky

WHISKY

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C'est l'été et, comme chaque été, c'est le moment de changer un peu d'air, de prendre un peu plus de temps pour lire. BV vous propose, cette année, une plongée haletante dans la clandestinité durant la Seconde Guerre mondiale. L'auteur et l'illustrateur, Saint Calbre et La Raudière, nous racontent l’histoire d’un jeune étudiant d’Oxford, Duncan McCorquodale, issu d’une vieille famille écossaise, qui, en 1940, va être recruté par le Special Operations Executive (le fameux SOE), créé par Churchill cette même année 1940 lorsque toute l'Europe, sauf la Grande-Bretagne, s'effondrait face à Hitler. L’histoire, donc, d’un jeune patriote dont le « bon sang ne saurait mentir », comme naguère on avait encore le droit de dire. Il va se lancer, corps, âme et intelligence, dans la nuit jusqu’à devenir semblable à elle, pour reprendre l’expression de l'Iliade d’Homère. Car c’est dans la nuit qu’agissait le SOE ! Nos deux auteurs, Saint Calbre et La Raudière, tous deux saint-cyriens, « ont servi dans les armées », nous dit laconiquement et, pour tout dire, un peu mystérieusement, la quatrième de couv’ de ce roman publié aux Éditions Via Romana. On n’en sait et on n'en saura pas plus. Au fond, c’est très bien ainsi : « semblables à la nuit », comme leur jeune héros…

Opération Asgard est le premier tome d’une série qui va suivre notre héros sur plusieurs décennies : de la Seconde Guerre mondiale, en passant par la guerre froide, jusqu’à la chute du mur. Le second tome paraîtra cet automne.

Publié par BV avec l'aimable autorisation des Éditions Via Romana.

 

Chapitre 6 (suite)

 

Ce fut au tour de la femme de prendre la parole. Elle avait une quarantaine d’années et, bien que son visage ne fût pas sublime, elle donnait une forte impression de majesté.

— Bonsoir, monsieur. Mon pseudonyme est Penelope. Ici, nous n’utilisons que des pseudonymes. J’ai reçu tous les comptes-rendus de ces messieurs de la section « entraînement » et j’accepte désormais de vous intégrer à mon équipe pour la durée de votre instruction de base. Bienvenue.

Penelope lui tendit une longue main sèche.

— Ce sera tout, messieurs.

Les hommes se levèrent, rangèrent leurs verres, laissèrent la bouteille et serrèrent chacun la main de Duncan en lui souhaitant la bienvenue, mais sans donner leurs noms ou leurs pseudonymes.

Lorsque le dernier eut refermé la porte, Penelope prit la parole :

— Vous avez encore un peu de travail ; ainsi, par exemple, vous avez tout raconté à votre père ; vous avez été trop confiant à la gare, trop obéissant avec les policiers, trop orgueilleux avec l’inspecteur.

— Comment savez-vous que…

— Pour votre père ? coupa Penelope sans sourire. Eh bien, il vous a dit lui-même hier soir que le téléphone n’était pas le meilleur moyen pour parler de votre activité. Il avait raison, car les téléphones peuvent être écoutés.

Duncan baissa la tête.

— En résumé, continua Penelope, vous vous êtes conduit comme un gentleman : confiant, poli, courageux, obéissant. Mais vous savez ce qu’on dit du rugby : c’est un sport de voyous joué par des gen­tlemen. Eh bien, voyez-vous, être agent secret, c’est pareil : c’est un métier de voyous fait par des gentlemen. Les Allemands disent : Nachrichtendienst ist Herrendienst – le renseignement est un métier de seigneurs. Vous êtes déjà un jeune seigneur, monsieur McCorquodale.

Penelope se leva, alla chercher deux verres et les remplit de whisky. Elle en tendit un à Duncan.

— Et nous allons faire de vous un voyou.

Ils trinquèrent.

— À votre formation ! dit Penelope.

— À ma formation ! répéta Duncan.

Ils burent une gorgée.

— Bien, reprit Penelope. Vous allez dormir ici ce soir. Demain, on vous présentera les gens que vous avez besoin de connaître. Ensuite, vous partirez sur le terrain. Avez-vous des questions ?

— Oui, madame.

— Penelope. Pas de formalisme, ici. On n’est pas chez le roi, on est tous dans le même bateau.

— Oui, Penelope.

— Feu à volonté, alors.

— D’abord, pourquoi ne me présentez-vous pas à tout le personnel du service ? Et où est ce terrain ?

Penelope eut un regard aimable.

— Mon garçon, vous faites partie des premiers agents que nous recrutons. C’est vous qui allez apprendre aux prochains ce que je vais vous dire ; alors, écoutez bien.

« D’abord, une règle : celle du besoin de connaître. Si une personne n’a pas besoin de savoir quelque chose, on ne le lui dit pas. Si ça lui fait plaisir de savoir des choses secrètes, c’est une personne curieuse : on ne dit rien. Si elle trouve cela intolérable qu’il y ait des secrets, c’est une personne vaniteuse et idiote : on ne lui dit rien. Et ainsi de suite. Avez-vous besoin de connaître tous les agents du service ? Leurs noms, leurs visages, leur métier au sein du Service ? Bien sûr que non ! Alors, croyez-moi, si vous n’en avez pas besoin, ne le demandez pas. C’est toujours ça que vous ne direz pas aux nazis s’ils vous arrachent les ongles.

« Ensuite, le terrain. Avec ce que je viens de vous dire, avez-vous besoin de savoir où vous allez ?

— Non, mad… je veux dire, non, Penelope.

— C’est exact. Mais, dit-elle plus doucement, pour cette fois, je vais faire une exception. Vous allez commencer par apprendre à vous déplacer en ville. Gareth – celui qui s’est présenté comme l’inspecteur Higgins – vous emmènera vous promener dans Londres pendant quelques semaines. Il vous apprendra ses petits trucs.

— Très bien.

— Ensuite, vous irez vous mettre au vert, à la campagne, notre jolie campagne anglaise. On vous apprendra à marcher dans les bois, sauter, courir, ce genre de chose.

— Parfait.

— Non, je ne dirais pas cela, non, fit Penelope en souriant pour la première fois. Enfin, reprit-elle, si vous avez survécu à tout cela, ce qui serait méritoire, eh bien, vous finirez votre formation en ville. Les hivers sont un peu rudes, mais enfin, il faut ce qu’il faut, n’est-ce pas ?

— Tout à fait.

— Eh bien, bonsoir, Duncan, bonsoir. Margaret vous a installé un lit de camp au rez-de-chaussée. Dormez bien. Gareth vous attendra devant l’immeuble à 8 heures demain matin pour vous présenter son équipe.

— Bien, Penelope. Bonne nuit.

Penelope sortit. Margaret entra et amena Duncan jusqu’à la pièce qui lui servirait de chambre. Puis elle partit, toujours sans un mot.

« Première journée, se dit Duncan une fois qu’il eut fait sa toilette et rangé ses affaires. Eh bien… »

Ce n’était pas facile de devenir un agent du SOE. Cela allait sans dire mais cela allait encore mieux en le vivant.

Il dormit bien ce soir-là, rêvant qu’il se cachait contre des murs de brique, qu’il échappait à mille agents de police allemands lancés à sa poursuite, et qu’il faussait compagnie à ses poursuivants à bord d’un train conduit par un clochard…

À suivre...

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