[LE ROMAN DE L’ÉTÉ] Opération Asgard – Cas non conforme n° 8

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Pour retrouver l'épisode précédent, c'est ici.

C'est l'été et, comme chaque été, c'est le moment de changer un peu d'air, de prendre un peu plus de temps pour lire. BV vous propose, cette année, une plongée haletante dans la clandestinité durant la Seconde Guerre mondiale. L'auteur et l'illustrateur, Saint Calbre et La Raudière, nous racontent l’histoire d’un jeune étudiant d’Oxford, Duncan McCorquodale, issu d’une vieille famille écossaise, qui, en 1940, va être recruté par le Special Operations Executive (le fameux SOE), créé par Churchill cette même année 1940 lorsque toute l'Europe, sauf la Grande-Bretagne, s'effondrait face à Hitler. L’histoire, donc, d’un jeune patriote dont le « bon sang ne saurait mentir », comme naguère on avait encore le droit de dire. Il va se lancer, corps, âme et intelligence, dans la nuit jusqu’à devenir semblable à elle, pour reprendre l’expression de l'Iliade d’Homère. Car c’est dans la nuit qu’agissait le SOE ! Nos deux auteurs, Saint Calbre et La Raudière, tous deux saint-cyriens, « ont servi dans les armées », nous dit laconiquement et, pour tout dire, un peu mystérieusement, la quatrième de couv’ de ce roman publié aux Éditions Via Romana. On n’en sait et on n'en saura pas plus. Au fond, c’est très bien ainsi : « semblables à la nuit », comme leur jeune héros…

Opération Asgard est le premier tome d’une série qui va suivre notre héros sur plusieurs décennies : de la Seconde Guerre mondiale, en passant par la guerre froide, jusqu’à la chute du mur. Le second tome paraîtra cet automne.

Publié par BV avec l'aimable autorisation des Éditions Via Romana.

 

 

Chapitre 26 (suite)

Cas non-conforme n° 8

 

 

Duncan consulta sa montre. 22 h 40. Le sentier serpentait dans les collines qui surplombaient Fort William. Au loin, plus bas, on voyait quelques lumières. Ils seraient à l’heure. Vêtus comme des marcheurs et coiffés de bonnets, avec des sacs légers contenant de l’eau et des vêtements chauds, ils n’attiraient aucunement l’attention. Des amis en vacances, c’était vraiment ce dont ils avaient l’air, et personne n’aurait pu deviner ce qu’ils préparaient. C’était probablement l’une des plus grandes satisfactions de ce métier, songea l’agent secret : ressembler au plus ordinaire des quidams, en étant le seul à savoir que l’on effectuait une mission capitale.

Harry, Diana et Duncan arrivèrent à l’écluse, éclairée par la lune, cinq minutes avant l’heure. Ils dépassèrent l’objectif et longèrent un poteau qui portait, à la craie blanche, à hauteur de la taille, une croix. La charge, confectionnée par Shannon et McCorquodale, posée par Deborah Stuart et John Gordon, était donc en place.

À 23 heures précises, Harry et Diana faisaient mine de se désal­térer, à quelques dizaines de mètres de l’avant-dernière écluse, leurs sacs posés sur un banc. En réalité, ils observaient les environs. Duncan, lui, mit un genou à terre, au pied du cabestan, pour renouer son lacet, et constata que la charge – un boudin de plastic factice – était effectivement posée, invisible pour qui l’ignorait. De sa chaussette, il sortit un crayon de métal entouré d’une bague jaune, en écrasa l’extré­mité sous sa semelle et planta l’autre extrémité dans la masse molle qui faisait, sous le sol, le tour de la roue dentée. Il venait de libérer une capsule d’acide qui allait ronger le fil de l’explosif primaire, pendant environ quatre heures, plus ou moins sept minutes. D’ici là, ils seraient loin.

Au moment où il allait rejoindre ses camarades, le bruit de quatre semelles ferrées résonna le long du canal désert. Harry et Diana s’inter­rompirent un instant, puis rangèrent leur matériel. Duncan, utilisant le signal convenu, passa sa main autour de son cou en les regardant. Sans hâte, ils prirent un chemin de traverse, entre deux maisons, pour rejoindre la lisière du bois, puis le camion, comme le prévoyait le plan. Ils furent très vite hors de vue. Soit Duncan les rattraperait, soit…

— Hé, vous, là-bas !

Les semelles ferrées appartenaient à deux policiers en patrouille, coiffés de leur casque et armés de matraques. Ils n’avaient pas vu partir Diana Bullingdon et Harry Hendricks. Duncan, en revanche, était bien visible. Dans ce village endormi, on ne voyait même que lui.

— Hé, arrêtez-vous !

Duncan ne répondait pas. Il marchait, rapidement, dans la direction opposée à celle qu’il devait emprunter, comme s’il savait parfaitement où il allait.

Les pas, à présent, accéléraient la cadence.

Duncan, brusquement, s’arrêta et se tourna vers les policiers d’un air rassuré.

— Dieu soit loué ! C’est vous que je cherchais !

Les policiers le regardèrent, sans comprendre son manège.

— J’ai repéré deux individus aux abords du commissariat. J’ai eu peur qu’ils ne me suivent pour essayer de me voler quelque chose. Ils ont l’air particulièrement louches.

— Que voulez-vous dire par là ? fit le premier bobby, un peu désarçonné.

— Eh bien, ils tournent autour du bâtiment, et ils se sont cachés quand ils m’ont vu passer. Je ne sais pas ce qu’ils mijotent. Il y en a deux, un homme et une femme. À mon avis, conclut Duncan avec un air candide, ils préparent quelque chose de pas très net.

Les policiers échangèrent un coup d’œil : ils tenaient leurs agents secrets en exercice, ceux dont le commissaire leur avait parlé le soir même.

— Où sont-ils, actuellement ? demanda l’autre bobby.

— Toujours au commissariat, je pense. Mais il va falloir être discrets.

— La discrétion est notre affaire, jeune homme, reprit le premier policier. Allons-y.

Duncan ouvrit la marche, en prenant la rue qui menait vers le commissariat tout proche. Dans sa main, il tenait une lampe de poche, qu’il alluma droit devant lui, puis éteignit, deux fois de suite.

— Je vous demande pardon, murmura le jeune homme d’un air gauche, mais j’y vois très mal…

Le premier agent soupira mais ne dit rien. L’autre, déjà, lui saisissait le bras.

— Regarde ! Ce sont eux ! Un homme et une femme ! Ils… ils s’enfuient ! Hé ! Hé, vous ! Arrêtez immédiatement !

John et Deborah venaient de détaler en direction des bois. Ils seraient au premier point de récupération. Les policiers s’élancèrent à leur poursuite, en donnant de furieux coups de sifflet.

Avec satisfaction, le jeune homme s’arrêta net. Les agents de police ne faisaient plus attention à lui. Il fit demi-tour. Cas non conforme n° 8 : la police arrête l’un des agents de l’équipe C. Réaction : dérouler l’histoire d’un vol en préparation dont il a été témoin, les emmener vers le commissariat. Signal : deux coups de lampe, brefs, à deux cents mètres du bâtiment. Diversion de l’équipe B qui prend la fuite. Décrochage de l’agent, au mieux vers le PR2, au pire vers le point de raccroc. La procédure avait été scrupuleusement appliquée.

Quant à lui, trop court pour le premier point de recueil, il était à l’opposé du second. S’il ne rejoignait pas Inverskinavulin dans les quatre heures, il ne lui restait qu’à tenter le tout pour le tout : utiliser le reste de la nuit pour marcher, puis survivre vingt-quatre heures, avant de retrouver Nichols le lendemain matin, à 3 heures, au niveau du Castle Stalker.

Il piqua tout droit jusqu’à la plage, puis prit à gauche, en longeant le rivage. Dès qu’il fut hors de vue, il se cacha dans un recoin, ôta son bonnet et se mit à marcher d’un bon pas, sans se cacher, en direction du Ben Nevis, le sommet de l’Écosse. Il s’abriterait dans les forêts des contreforts pendant la journée, puis se mettrait en marche vers le point de raccroc à la nuit tombée.

Bien qu’il s’estimât heureux d’avoir joué un bon tour à la police, il lui faudrait maintenant attendre une journée entière… et risquer de tout perdre, s’il arrivait en retard à cet ultime point de rendez-vous.

Au loin, il entendit, dans le commissariat central de Fort William, le bruit d’une sirène d’alarme.

À suivre...

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