[LE ROMAN DE L’ÉTÉ] Opération Asgard – De la ville à la campagne

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C'est l'été et, comme chaque été, c'est le moment de changer un peu d'air, de prendre un peu plus de temps pour lire. BV vous propose, cette année, une plongée haletante dans la clandestinité durant la Seconde Guerre mondiale. L'auteur et l'illustrateur, Saint Calbre et La Raudière, nous racontent l’histoire d’un jeune étudiant d’Oxford, Duncan McCorquodale, issu d’une vieille famille écossaise, qui, en 1940, va être recruté par le Special Operations Executive (le fameux SOE), créé par Churchill cette même année 1940 lorsque toute l'Europe, sauf la Grande-Bretagne, s'effondrait face à Hitler. L’histoire, donc, d’un jeune patriote dont le « bon sang ne saurait mentir », comme naguère on avait encore le droit de dire. Il va se lancer, corps, âme et intelligence, dans la nuit jusqu’à devenir semblable à elle, pour reprendre l’expression de l'Iliade d’Homère. Car c’est dans la nuit qu’agissait le SOE ! Nos deux auteurs, Saint Calbre et La Raudière, tous deux saint-cyriens, « ont servi dans les armées », nous dit laconiquement et, pour tout dire, un peu mystérieusement, la quatrième de couv’ de ce roman publié aux Éditions Via Romana. On n’en sait et on n'en saura pas plus. Au fond, c’est très bien ainsi : « semblables à la nuit », comme leur jeune héros…

Opération Asgard est le premier tome d’une série qui va suivre notre héros sur plusieurs décennies : de la Seconde Guerre mondiale, en passant par la guerre froide, jusqu’à la chute du mur. Le second tome paraîtra cet automne.

Publié par BV avec l'aimable autorisation des Éditions Via Romana.

 

Chapitre 8

De la ville à la campagne

 

Les semaines qui suivirent furent enthousiasmantes.

Duncan, désormais appelé William par ses trois instructeurs, marchait environ vingt kilomètres par jour dans Londres et ses environs. Il laissait des marques à la craie sur des poubelles pour récupérer des messages, laissait des messages dans des paquets de cigarettes écrasés ou dans des boîtes collées sous des bancs publics, cherchait des itinéraires toujours plus anodins et toujours plus compliqués. Le SOE appelait cela « itinéraires de sécurité » : des axes fréquentés, suivis par de petites rues, des magasins aux larges vitres dans lesquels on pouvait facilement entrer ; des stations de métro bondées, à plusieurs sorties, dans lesquelles on devenait introuvable. Tout cela était devenu un jeu particulièrement plaisant.

Il avait toujours une bonne raison d’être là où il était et de faire ce qu’il faisait. Il se promenait dans des magasins ou le long des théâtres, en vérifiant à chaque fois qu’il n’était pas suivi. Ceux avec qui il échangeait des messages pendant les rendez-vous, ou des signaux à la craie, étaient d’autres stagiaires qu’il n’avait jamais rencontrés. Le soir, il dînait seul, jamais deux fois dans le même pub, payait avec l’argent donné par le Service et rentrait à Baker Street. Le SOE possédait un petit immeuble non loin du 64, donnant sur un jardin intérieur, où il logeait ses agents. Duncan entendait parfois quelqu’un rentrer dans les chambres voisines ou en sortir, mais il ne croisait jamais personne. Chaque stagiaire avait un programme différent, et c’était un métier dans lequel - il commençait à le comprendre - on était toujours seul.

 

Il apprit quelques règles de ce qu’il appelait, pour lui-même, « la politesse des espions » : arriver une minute avant un rendez-vous, par exemple ; si le rendez-vous avait lieu dans un café ou un restaurant, on attendait aussi longtemps que nécessaire. Si le rendez-vous était dehors, on partait deux minutes après l’heure indiquée (« moins une, plus deux », disait Gareth). Il y avait aussi des « règles de voyou », comme celle que lui avait apprise John : « il est plus facile de s’excuser que de demander la permission. » En d’autres termes, mieux valait faire quelque chose d’interdit, puis dire que l’on ne savait pas, plutôt que de perdre du temps à essayer d’obtenir légalement une autorisation.

On lui enseigna comment entrer dans un bâtiment sans forcer les portes : avec de l’aplomb, du charme, ou un mélange des deux.

— Voyez-vous cette fenêtre ? lui dit Patrick, un matin.

— Oui, le premier étage de cet immeuble de briques ?

— Exactement. Je voudrais vous voir à cette fenêtre dans dix minutes, une boisson à la main.

Duncan avait raté le premier exercice. Il était trop suspect aux yeux des gens. Son prétexte (il disait avoir perdu ses clés) était mauvais, car facile à vérifier dans un immeuble. « Vous êtes trop honnête, répétait Patrick. Soyez sûr de votre mauvais coup. »

La deuxième tentative, quelques jours plus tard, dans un autre immeuble – il prétexta avoir l’intention d’acheter un appartement juste en face –, fit merveille auprès de la propriétaire de l’appartement désigné. Trois minutes plus tard, une tasse de thé à la main, il était à la fenêtre. Il n’y avait, en vérité, pas de recette miraculeuse. Chaque prétexte devait être adapté aux circonstances.

 

Tous les soirs, après avoir été débriefé sur sa journée par l’un des trois instructeurs, il rentrait épuisé dans sa chambre, prenait une douche froide, faisait sa toilette et, une dernière fois avant de dormir, regardait le plan de Londres, dont les pliures commençaient à se déchirer à force d’avoir été trop marquées.

 

Pendant ce temps, l’Allemagne continuait d’étendre sa griffe de fer sur l’Europe. La France avait réussi, à la différence des autres pays, à obtenir de garder la moitié de son territoire libre. Les autres pays, eux, avaient été soumis sans pitié. Duncan regardait les titres des journaux en passant devant les kiosques. Tout allait de mal en pis. Les nazis continuaient à bombarder l’Angleterre – et l’Angleterre résistait avec un courage admirable. Parfois, Duncan saisissait des conversations en français dans les couloirs de l’immeuble où il dormait ; il savait que quelques dizaines de Français avaient suivi un obscur général, que personne ne connaissait mais dont le nom était facile à retenir : de Gaulle.

Il n’y avait pas de dimanches, au SOE. Tout le monde travaillait, et Duncan, quoiqu’il se débrouillât toujours pour trouver une messe, regrettait de ne pas pouvoir avoir une journée vraiment libre. De temps à autre, il téléphonait à Phantelean, pour dire à ses parents que tout allait bien. La leçon avait porté : il ne disait plus que des choses anodines, de peur d’être intercepté.

Il préparait minutieusement tous ses exercices, afin de pouvoir les mettre en pratique comme un véritable professionnel une fois qu’il serait livré à lui-même, en plein territoire ennemi.

 

Le 22 décembre, soit près d’un mois après son recrutement par le général Gubbins, il rentrait d’un exercice de transmission de renseignements sans contact particulièrement difficile. Il devait faire semblant de se cogner contre un autre agent à la gare de Charing Cross ; les deux agents en profiteraient pour échanger deux exem­plaires du Times, en apparence rigoureusement identiques. Ce type d’échange nécessitait beaucoup de sang-froid pour faire comme si de rien n’était, ainsi que de vrais talents manuels, à la manière d’un magicien. Duncan avait déjà fait le même exercice avec deux valises identiques, à côté d’un autre agent, à un arrêt de bus, mais là, c’était encore plus difficile. Il s’en tira toutefois, d’après ce qu’il lui sembla, assez bien.

Après avoir marché deux heures dans Londres pour s’assurer qu’il n’était pas suivi, Duncan, satisfait de son travail, se rendit au débriefing, au premier étage du 64, Baker Street.

Dans la pièce anonyme qui avait servi tant de fois à reprendre, chaque soir, ce qu’il avait bien ou mal fait, ses trois instructeurs l’attendaient. D’habitude, il n’y en avait qu’un à la fois.

— Asseyez-vous, William, dit Gareth.

Duncan s’exécuta. Son pseudonyme était devenu un deuxième prénom.

— Vous avez bien travaillé, aujourd’hui. Patrick vous a perdu dans la foule. Vous avez pris un itinéraire à contresens de la circulation des voitures, ce qui est très malin, car j’ai moi aussi, dans ma voiture, perdu votre trace. Quant à John…

— Quant à moi, dit John, je suis très satisfait de votre exercice à la gare. Vous avez été parfaitement naturel et votre accrochage avec l’autre stagiaire était sans faute.

Il y eut un silence. Les deux autres instructeurs regardèrent Gareth, qui reprit la parole.

— Il est donc temps de poursuivre votre formation. Mais d’abord, nous allons vous libérer pour Noël.

Un immense soulagement s’empara de notre héros. Il allait bientôt revoir le manoir tant aimé, embrasser ses parents et ses sœurs, profiter de la douceur d’un Noël en famille.

— Vous partez demain matin pour deux semaines, en direction de l’endroit où vous voudrez aller – l’Écosse, je suppose.

— En effet, Gareth. Je voudrais retrouver ma famille.

— C’est bien normal et vous l’avez mérité. Vous êtes devenu un excellent agent…

— Merci.

— …en ville, du moins. Nous considérons – et par « nous », je veux également parler de Penelope – qu’il est temps pour vous de vous former au combat proprement dit. D’aller un peu prendre l’air à la campagne.

Duncan ne dit rien.

— Par conséquent, allez chez vos parents. Fêtez dignement Noël avec eux. Et, le 6 janvier au matin, on vous indiquera à quel endroit vous devrez vous rendre pour la suite de votre formation.

Il y eut un silence. Pour la première fois, les trois instructeurs du SOE sourirent à leur jeune élève.

— Eh bien, William, allez préparer vos affaires ! Ne restez pas là ! dit Patrick en riant.

Vos commentaires

3 commentaires

  1. Qui a imposé un exode rural vers les villes ! Si de n’est pas la politique suivit à la foi par la droite RPR UMP et la gauche Socialiste et communiste ! C’est bien vous ! Et maintenant vous voulez l’inverse ! Alors qu’en même temps vous avez supprimé tous les services publique en milieux rural ! Ne vous étonnez pas si les gens préfèrent rester en ville ! Nous avons ut plus de 50 ans de Politique aburde ! Hervé de Néoules !

  2. Merci du fond du cœur à Boulevard Voltaire pour le délice de cette lecture et la suave torture d’attendre la suite !

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