[LE ROMAN DE L’ÉTÉ] Opération Asgard – Fin d’interrogatoire

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C'est l'été et, comme chaque été, c'est le moment de changer un peu d'air, de prendre un peu plus de temps pour lire. BV vous propose, cette année, une plongée haletante dans la clandestinité durant la Seconde Guerre mondiale. L'auteur et l'illustrateur, Saint Calbre et La Raudière, nous racontent l’histoire d’un jeune étudiant d’Oxford, Duncan McCorquodale, issu d’une vieille famille écossaise, qui, en 1940, va être recruté par le Special Operations Executive (le fameux SOE), créé par Churchill cette même année 1940 lorsque toute l'Europe, sauf la Grande-Bretagne, s'effondrait face à Hitler. L’histoire, donc, d’un jeune patriote dont le « bon sang ne saurait mentir », comme naguère on avait encore le droit de dire. Il va se lancer, corps, âme et intelligence, dans la nuit jusqu’à devenir semblable à elle, pour reprendre l’expression de l'Iliade d’Homère. Car c’est dans la nuit qu’agissait le SOE ! Nos deux auteurs, Saint Calbre et La Raudière, tous deux saint-cyriens, « ont servi dans les armées », nous dit laconiquement et, pour tout dire, un peu mystérieusement, la quatrième de couv’ de ce roman publié aux Éditions Via Romana. On n’en sait et on n'en saura pas plus. Au fond, c’est très bien ainsi : « semblables à la nuit », comme leur jeune héros…

Opération Asgard est le premier tome d’une série qui va suivre notre héros sur plusieurs décennies : de la Seconde Guerre mondiale, en passant par la guerre froide, jusqu’à la chute du mur. Le second tome paraîtra cet automne.

Publié par BV avec l'aimable autorisation des Éditions Via Romana.

 

 

Chapitre 5 (suite)

 

— Monsieur l’inspecteur, dit-il d’une voix suppliante, je ne sais pas de qui vous parlez. Ma mère est aussi anglaise que vous. Je ne connais pas de Gobbins ou Gubbins, je ne sais pas de quoi il s’agit ! J’ai pris le train à Slough parce que je suis sorti hier soir. Je suis étudiant à Oxford, c’est vrai, mais nous avons passé la soirée avec des amis dans un bar de la ville de Slough, Ye Old Red Cow Inn. J’ai raté le dernier train pour Oxford, alors j’ai dormi sur un banc et je m’apprêtais à aller visiter le British Museum à Londres parce que nous n’avons pas cours aujourd’hui.

— Mouais, fit l’inspecteur.

— Ensuite, je serais revenu à Oxford par le premier train du soir.

— Ben voyons… Et vous dites que ce pub s’appelle ?

— Ye Old Red Cow Inn ; c’est le plus vieux pub de la ville, monsieur. Je vous en prie, vous devez me croire !

 

Un camarade de Balliol, Percival Fitz-Smith, lui avait un jour parlé de ce pub, dont le nom (La Taverne de la vieille vache rouge, en anglais) l’avait fait rire. Son prétexte était donc à peu près bon – du moment que l’inspecteur ne téléphonait pas au pub pour vérifier.

 

Duncan continua son récit, ajouta quelques détails sur sa vie per­sonnelle – c’est-à-dire celle de William McAllan. Il parla de l’Écosse, qu’il connaissait réellement comme sa poche et où son personnage était né lui aussi, de ses vacances en Suisse (il décrivit avec beaucoup de détails un paysage qu’il avait effectivement vu, mais lors d’un voyage en Autriche). En un mot, il raconta tranquillement l’histoire qu’il avait inventée pendant le trajet du matin en train. L’inspecteur semblait l’écouter avec attention. Enfin, Duncan s’interrompit.

— Je reviens, dit l’inspecteur Higgins plus calmement.

 

Il prit l’escalier et Duncan entendit la porte claquer. Pourvu qu’il ne vérifie pas, pensa le jeune homme. Un temps assez long, que McCorquodale estima à une heure, s’écoula, puis des pas se firent enten­dre dans l’escalier. C’était un des policiers qui l’avaient arrêté à la gare. Il détacha ses menottes et lui dit en français, avec un fort accent anglais : « Je vous apporte le déjeuner. »

Duncan faillit lui répondre « Merci ! » avec son meilleur accent, mais s’arrêta juste à temps. Les inspecteurs savaient peut-être que leur suspect parlait français.

Massant ses poignets endoloris, il examina la pièce en tournant la tête à gauche et à droite, comme nous l’avons vu plus haut. La douleur disparaissait rapidement. Il en serait quitte pour un léger œil au beurre noir – ce ne serait pas son premier. Il n’avait pas d’objet à portée de la main, plus de valise, plus de lacets ni de cravate (c’était la règle dans la police lorsqu’on arrêtait quelqu’un), plus de montre non plus. La cave était plutôt petite. Il se leva.

Le sol était en terre battue. Derrière lui, il y avait un tas de charbon. Face à l’endroit où il se tenait, il y avait un mur de briques rouges et, à droite, l’escalier qui menait à l’étage. Il n’avait pas ses menottes et le gardien n’allait pas tarder à revenir. Il fallait prendre une décision immédiatement : attendre la fin de l’interrogatoire ou prendre l’initiative et risquer la prison.

Il choisit l’initiative. Il n’était pas question de rester assis à subir.

Il se posta le long du mur, près du bas de l’escalier, et attendit. Quelques minutes plus tard, les pas du policier, qui descendait pro­bablement avec le plateau, se firent à nouveau entendre. Rassemblant son courage, Duncan respira profondément. Quand le policier passa à sa hauteur, il lui assena un magistral direct du droit, directement sur la tempe. Le plateau vola en l’air et l’homme s’effondra comme un paquet de chiffons, assommé net.

McCorquodale souffla et contempla le policier inerte. Il ramassa une pomme par terre. Il devait maintenant s’enfuir et essayer de rejoindre Baker Street par tous les moyens.

 

Il monta l’escalier et tourna la poignée de la porte avec précaution. Il entrouvrit le battant, découvrant un couloir qui ressemblait bien davantage au rez-de-chaussée d’une maison qu’à une prison de Sco­tland Yard. Il n’entendait aucune voix, aucun mouvement. À gauche de la porte, à dix mètres peut-être, on voyait la porte d’entrée. Dehors, c’était la liberté. À droite, sa valise était posée par terre dans un coin, avec un carton contenant sa montre, ses lacets et sa cravate ainsi que son passeport et ses pièces de monnaie.

Il se dirigea à droite, récupéra ses affaires, les mit dans la valise en faisant le moins de bruit possible. Il retenait son souffle et glissa jusqu’au bout du couloir. Il mit la main sur la poignée de la porte d’entrée et tourna le bouton. Personne ne semblait réagir, dans la maison.

Vif comme l’éclair, il ouvrit la porte d’une main, se glissa dehors avec sa valise et laissa le battant légèrement entrouvert pour ne pas faire de bruit. Il dévala les marches du perron et se trouva dans la rue.

Il était libre.

 

Il faisait nuit, dehors. Tournant vivement à gauche pour ne pas rester à proximité, il marcha deux minutes, d’un air parfaitement détaché (ni trop vite, ni trop lentement, pour ne pas attirer l’atten­tion), et s’arrêta à la première cabine téléphonique qu’il vit. Là, il remit ses lacets, sa cravate et sa montre, glissa son passeport dans la poche de sa veste et ses pièces de monnaie dans la poche de son pantalon. Malgré son air calme, son cœur battait à tout rompre. Il en profita pour regarder le nom de la rue dans laquelle il se trouvait.

Il en crut à peine ses yeux : le panneau indiquait Baker Street.

 

Il regarda sa montre. Il était 21 h 52. Presque 10 heures du soir.

Il eut une intuition subite et regarda à nouveau sa montre. Bientôt 10 heures.

Le général Gubbins avait dit « Soyez à l’heure demain matin », en parlant de la gare d’Oxford. En revanche, à aucun moment il n’avait dit « Soyez au 64, Baker Street à 10 heures du matin ».

— Comme un imbécile, je ne le lui ai pas demandé ! s’exclama Duncan à mi-voix.

En anglais, on précise a.m. (ante meridiem, avant midi) ou p.m. (post meridiem, après-midi), pour indiquer le moment de la journée (10 heures a.m. pour 10 heures du matin), mais on dit toujours 10 heures, pas 22 heures. Il était donc 10 heures deux fois par jour.

Il décida de tenter sa chance et se dirigea vers le numéro 64. C’était un petit immeuble gris, de quatre étages, assez terne. Quelques fenêtres étaient éclairées.

Il frappa deux fois, sonna, frappa une fois.

Et il attendit.

À suivre...

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