[LE ROMAN DE L’ÉTÉ] Opération Asgard – Hors exercice

ASGARD22

Pour retrouver l'épisode précédent, c'est ici.

C'est l'été et, comme chaque été, c'est le moment de changer un peu d'air, de prendre un peu plus de temps pour lire. BV vous propose, cette année, une plongée haletante dans la clandestinité durant la Seconde Guerre mondiale. L'auteur et l'illustrateur, Saint Calbre et La Raudière, nous racontent l’histoire d’un jeune étudiant d’Oxford, Duncan McCorquodale, issu d’une vieille famille écossaise, qui, en 1940, va être recruté par le Special Operations Executive (le fameux SOE), créé par Churchill cette même année 1940 lorsque toute l'Europe, sauf la Grande-Bretagne, s'effondrait face à Hitler. L’histoire, donc, d’un jeune patriote dont le « bon sang ne saurait mentir », comme naguère on avait encore le droit de dire. Il va se lancer, corps, âme et intelligence, dans la nuit jusqu’à devenir semblable à elle, pour reprendre l’expression de l'Iliade d’Homère. Car c’est dans la nuit qu’agissait le SOE ! Nos deux auteurs, Saint Calbre et La Raudière, tous deux saint-cyriens, « ont servi dans les armées », nous dit laconiquement et, pour tout dire, un peu mystérieusement, la quatrième de couv’ de ce roman publié aux Éditions Via Romana. On n’en sait et on n'en saura pas plus. Au fond, c’est très bien ainsi : « semblables à la nuit », comme leur jeune héros…

Opération Asgard est le premier tome d’une série qui va suivre notre héros sur plusieurs décennies : de la Seconde Guerre mondiale, en passant par la guerre froide, jusqu’à la chute du mur. Le second tome paraîtra cet automne.

Publié par BV avec l'aimable autorisation des Éditions Via Romana.

 

Chapitre 19

Hors exercice

 

Neuf stagiaires attendaient désormais aux véhicules. Ils étaient postés tout autour du point de ralliement, braquant chacun son arme dans une direction, dans un silence absolu, seulement interrompu par le bruit des vagues et, de temps à autre, une bourrasque côtière. Il manquait Philip Newham, le pickpocket, et David Sands, le médié­viste, qu’Hendricks avait apparemment postés tout au bout de la crique.

Nichols revint en courant. Il était légèrement essoufflé mais avait conservé son flegme apparent. Une antenne dépliée dépassait de son sac à dos. On entendait, à l’intérieur, le crachotement caractéristique d’un émetteur radio.

— Vos deux camarades sont blessés par balle, sans gravité particu­lière, commença-t-il. L’un au bras, l’autre à la jambe. Ils ont été immédiatement récupérés par l’encadrement et les premiers soins leur ont été prodigués. Ils vont être évacués vers l’infirmerie d’Arisaig, par une ambulance, dans les prochaines minutes. Le sous-marin de poche et les hommes que vous avez vus cette nuit ne faisaient pas partie de l’exercice. Vous auriez dû observer, vers cinq heures, d’autres événe­ments. Surpris par la présence de vos camarades à proximité du sentier qu’ils empruntaient, les intrus leur ont tiré dessus. Événement hors exercice, mais enseignements probablement plus intéressants. On ne sait rien de plus sur les visiteurs de cette nuit. Les autorités vont être alertées. Ce sera tout.

Une consternation mêlée d’inquiétude régnait autour de lui. Nichols fit un signe de tête à Hendricks qui comprit.

— Aux véhicules, dit-il simplement.

 

Personne ne parla sur le bref trajet qui menait vers Arisaig. Tout cela semblait irréel, à commencer par la perspective de mourir pendant un exercice. D’où pouvaient venir ces hommes, ce sous-marin, et pourquoi ? Où avaient-ils disparu après avoir tiré les coups de feu ?

Rapidement, les deux Chevrolet rejoignirent les hangars. Duncan constata qu’au loin, la plupart des fenêtres d’Arisaig étaient allumées. Hendricks donna quelques ordres sommaires pour le lendemain. Nichols ne reprit pas la parole.

Profitant de la confusion et de la fatigue, Duncan décida d’aller voir du côté du château si l’ambulance était arrivée, avec les blessés à son bord. Prenant garde de ne pas être vu, tandis qu’un à un, ses camarades regagnaient leur couche, il courut d’abord vers les abords d’Arisaig House puis, en vue des buissons bien taillés, s’accroupit.

Comme il l’avait imaginé, le moteur de l’ambulance tournait encore dans la cour. Newham et Sands venaient probablement d’être transportés à l’infirmerie. Duncan brûlait de savoir si l’un d’entre eux avait pu voir les tireurs en face. Il n’avait pas la moindre idée de la façon d’y parvenir, ni même de la position exacte de l’infirmerie. Il n’y avait pourtant pas de temps à perdre.

Il sentait confusément que, s’il n’essayait pas d’aller parler à ses camarades, pour peu qu’ils fussent conscients, ni Vaughan ni Nichols ne leur donneraient d’explications sur le déroulement des événements. Il était déjà bien assez « non conforme » que des ennemis arrivent en sous-marin sur les côtes d’Écosse. Les stagiaires devaient rester, autant que possible, concentrés sur leur stage, et leur encadrement mènerait l’enquête. Cela ne le satisfaisait pas. « Audaces fortuna juvat », murmu­ra-t-il pour lui-même : « la chance sourit aux audacieux », comme disait Virgile dans l’Énéide.

Et, avec aplomb mais sans perdre de temps, il entra dans Arisaig House par la porte principale.

***

Aller rapidement. Marcher naturellement, se tenir naturellement. Donner l’impression de savoir parfaitement où on va. Minimum de bruit.

Le cœur de Duncan battait à tout rompre. S’il était découvert, il serait probablement renvoyé pour avoir essayé d’en savoir plus. La curiosité, cependant, était plus forte. Il n’avait pas, à la différence de Hendricks, appris d’une quelconque formation militaire à obéir aux ordres pour le bien commun. En l’occurrence, cette indépendance d’esprit lui était bien utile.

Sur sa droite, une flèche indiquait, en caractères écrits au pochoir, l’infirmerie. La lumière était allumée, mais il n’y avait pas un bruit. Duncan était allé trop loin pour reculer désormais. Il retenait son souffle. Le parquet lui semblait grincer horriblement sous ses brode­quins trempés. Quelqu’un s’apercevrait-il des traces de pas qu’il laissait ? Il entra dans la salle de repos.

Sur deux des huit lits identiques de la pièce, les blessés étaient allongés. Newham, blessé à la jambe, avait sans doute reçu une forte injection de morphine, car il dormait. Sands, lui, était dans un état de semi-conscience, l’œil vague et mi-clos, le bras droit en écharpe. Il faillit laisser échapper un son en voyant Duncan. Celui-ci lui fit signe de se taire et, jetant un regard circulaire, s’approcha de lui.

— David, que s’est-il passé ? Qui était-ce ? murmura-t-il.

Sands donnait l’impression de délirer.

— Le sous-marin… les lumières… Othello…

Quel rapport pouvait-il y avoir entre les visiteurs du soir, leurs coups de feu et la pièce de Shakespeare ?

— Que voulez-vous dire ? insista Duncan.

— Othello… répéta Sands. Othello auf Deutsch natürlich… ajouta-t-il avec un sourire.

Des pas claquaient dans le couloir. Duncan devait se cacher ou fuir. Il fit de nouveau signe à Sands de rester silencieux, puis avisa une fenêtre. Les pas se rapprochaient. À en juger par le bruit, Duncan n’aurait pas le temps de se cacher convenablement. Il ouvrit résolu­ment la fenêtre et sortit. Immédiatement, pour éviter de montrer son ombre, il se plaqua au sol, au pied de la fenêtre restée entrouverte.

— Cette fenêtre ! soupira une voix féminine qu’il ne connaissait pas, probablement celle de l’infirmière.

Le nez toujours collé au sol, il entendit les talons se rapprocher, puis une odeur de parfum, assez agréable d’ailleurs, enfin le bruit de la fenêtre que l’on refermait.

Prudemment, Duncan rampa de nouveau jusqu’aux buissons, à plat ventre cette fois. Quand il se jugea hors de portée, prenant garde à ne pas faire de bruit, il se leva progressivement, puis courut dans les sous-bois, en direction des hangars. À sa montre, il était 5 heures du matin. Il ne dormirait pratiquement pas cette nuit, mais après tout, c’était ainsi. Et, même s’il ne savait pas quoi en faire, il détenait un indice de plus. Othello auf Deutsch. Othello en allemand. Il n’était, pour le moment, guère plus avancé.

À suivre...

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