[LE ROMAN DE L’ÉTÉ] Opération Asgard – La mission

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C'est l'été et, comme chaque été, c'est le moment de changer un peu d'air, de prendre un peu plus de temps pour lire. BV vous propose, cette année, une plongée haletante dans la clandestinité durant la Seconde Guerre mondiale. L'auteur et l'illustrateur, Saint Calbre et La Raudière, nous racontent l’histoire d’un jeune étudiant d’Oxford, Duncan McCorquodale, issu d’une vieille famille écossaise, qui, en 1940, va être recruté par le Special Operations Executive (le fameux SOE), créé par Churchill cette même année 1940 lorsque toute l'Europe, sauf la Grande-Bretagne, s'effondrait face à Hitler. L’histoire, donc, d’un jeune patriote dont le « bon sang ne saurait mentir », comme naguère on avait encore le droit de dire. Il va se lancer, corps, âme et intelligence, dans la nuit jusqu’à devenir semblable à elle, pour reprendre l’expression de l'Iliade d’Homère. Car c’est dans la nuit qu’agissait le SOE ! Nos deux auteurs, Saint Calbre et La Raudière, tous deux saint-cyriens, « ont servi dans les armées », nous dit laconiquement et, pour tout dire, un peu mystérieusement, la quatrième de couv’ de ce roman publié aux Éditions Via Romana. On n’en sait et on n'en saura pas plus. Au fond, c’est très bien ainsi : « semblables à la nuit », comme leur jeune héros…

Opération Asgard est le premier tome d’une série qui va suivre notre héros sur plusieurs décennies : de la Seconde Guerre mondiale, en passant par la guerre froide, jusqu’à la chute du mur. Le second tome paraîtra cet automne.

Publié par BV avec l'aimable autorisation des Éditions Via Romana.

 

Chapitre 16

La mission

 

— Si vous voulez bien attendre ici, prononce l’aide de camp. Le Führer va vous recevoir.

Berchtesgaden, dans les Alpes bavaroises, à la frontière de l’Autri­che, qui, elle aussi, appartient au Reich depuis 1938.

L’hiver n’empêche pas un brillant soleil d’illuminer les sommets. L’homme qui vient de demander audience connaît bien les lieux : il a même aidé le chancelier allemand à y rédiger la fin de son livre, Mein Kampf. Le Berghof dans lequel il se trouve est un luxueux chalet d’alti­tude, de forme rectangulaire, sans grâce particulière, tout en haut d’un piton. La terrasse offre une vue à couper le souffle sur la chaîne de montagnes.

Le Führer s’est installé pour la première fois dans cette villa il y a plus de quinze ans. Il l’a fait redécorer à grands frais pour y recevoir ses familiers et les chefs d’État d’Europe.

Le visiteur, lui, est une sorte de colosse. Solide, le visage brutal, il a un regard illuminé dans lequel, sous d’épais sourcils, on peut lire de la détermination, la flamme de l’idéal et, peut-être, une pointe de folie. Son nom est Rudolf Hess. C’est un confident, un fidèle absolu. Il s’avance lentement, avec respect, dans le grand salon.

Il règne dans ce chalet une ambiance qui n’a rien à voir avec la villégiature. On sent, dans cette pièce sobre, décorée dans le goût de l’époque, quelque chose de bizarre, qui inspire à Hess - qui n’est pour­tant pas impressionnable - une sorte d’inquiétude diffuse. Quelle est cette mystérieuse présence, oppressante, vertigineuse ? Hess décide de ne pas y penser. Il traverse le salon et parvient à la terrasse.

Adolf Hitler, face aux montagnes, regarde le paysage. Il porte un costume civil de bonne coupe et n’a rien de la raideur martiale qu’il adopte en uniforme. Sa silhouette est celle d’un homme d’affaires entre deux âges.

Il se retourne vers son visiteur. Hess a beau connaître le Führer depuis bien longtemps, il ne peut s’empêcher d’être à nouveau impres­sionné. Le visage creusé d’Hitler, avec son étrange moustache courte, semble habité. Ses yeux fixes expriment une détermination qui n’est pas humaine. Il semble faire l’objet d’une métamorphose progressive, constate Hess. Il s’avance pourtant vers Rudolf Hess en souriant, le salue chaleureusement et lui fait signe de s’asseoir. Cela l’encourage un peu, car ce qu’il a à dire n’est pas évident.

— Vous avez souhaité me voir, Rudolf, commence Adolf Hitler sur le ton de la conversation.

— Oui, mein Führer (Hess s’éclaircit la voix). J’ai une proposition à vous faire.

— Eh bien, je suis là et je vous écoute.

Hess aspire de l’air et reste aussi calme que possible.

— Voilà, mein Führer. Vous savez que les Britanniques sont des ennemis sérieux mais qu’ils sont avant tout matérialistes et égoïstes. Ils abritent les Français par opportunisme, mais leur résistance est au point mort. Je pense que la conjoncture se prête à un nouveau projet de paix séparée. Churchill aura l’impression de faire une bonne affaire, alors que nous avons les moyens de les écraser. Ils ont refusé en 1939, mais nous avons des relais, comme vous le savez, dans la haute société britannique : Lord Halifax, Lord Hamilton sont des gens importants sur lesquels nous pouvons compter.

Hitler reste impassible. Hess connaît bien cette apparente indiffé­rence, qu’il interprète comme un encouragement. Il poursuit.

— Je pense m’y rendre moi-même. J’utiliserai un Messerschmitt et je me poserai chez Lord Hamilton, en Écosse. Je le convaincrai de me faire rencontrer Churchill.

Hess marque une pause pour d’éventuelles questions. Hitler regarde les montagnes. Il semble n’avoir rien entendu.

— Avec votre permission, mein Führer, je partirai à la fin du printemps, peut-être au début de l’été. Je m’occuperai de tout. Si ma mission devait échouer, vous pourrez dire qu’il s’agit d’une initiative individuelle. Vous direz que je suis devenu fou. Vous direz ce que vous voudrez.

Hitler sourit avec bienveillance. Son regard métallique s’est apaisé.

— Rudolf, mon vieil ami, j’admire sincèrement votre fidélité. Vous êtes l’un des seuls camarades de combat à ne pas vous commettre dans des jeux de pouvoir. Vous êtes un loyal serviteur de notre projet, un projet qui n’est pas seulement le mien, mais celui de toute la race germanique, et dont je ne suis que l’humble véhicule. (Il marque un temps.) Toutefois, au regard des risques comme de votre valeur pour notre Allemagne, je ne peux pas vous autoriser à effectuer cette opération.

Hess fait un mouvement pour répondre, Hitler l’interrompt d’un geste.

— Je ne peux pas vous y autoriser, reprend le Führer, mais je ne peux pas vous l’interdire non plus. Vous avez la possibilité de monter une telle entreprise sans m’en rendre compte – et c’est ce que vous ferez. Vous avez mon entière confiance et il se peut que vous soyez l’instrument du destin. Je ne sais pas ce que les astres ont prévu pour nous. Je connais votre passion pour les signes du ciel et je crois, moi aussi, qu’une volonté supérieure nous utilise pour faire advenir des temps meilleurs.

Rudolf Hess a compris. Il ira seul, sans appui officiel, comme si cette initiative était une désobéissance. Il se lève pour prendre congé. Hitler se lève, lui aussi. Il serre la main de son ami et la garde dans la sienne, le temps de visser son regard dans celui de Hess, et de lui dire, d’une voix basse, rauque :

— Le temps travaille contre nous, Rudolf. Nous accomplissons une œuvre grandiose et les forces de la décadence sont coalisées contre nous.

L’œil d’Hitler a retrouvé son éclat métallique. Pour la première fois, Hess ressent, face à cette détermination mystique, venue d’ailleurs, quelque chose comme de la peur. Il s’incline respectueu­sement, claque des talons, tend le bras pour saluer et quitte la terrasse.

En passant, il croise l’aide de camp, qui porte un plateau de thé.

À suivre... 

Cet article a été mis à jour pour la dernière fois le 10/08/2024 à 13:12.

Vos commentaires

Un commentaire

  1. Tellement passionnant ce feuilleton de l’été que j’ai carrément commandé le livre pour pouvoir en faire profiter mes enfants.

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