[LE ROMAN DE L’ÉTÉ] Opération Asgard – La piste d’audace

ASGARD17

Pour retrouver l'épisode précédent, c'est ici.

C'est l'été et, comme chaque été, c'est le moment de changer un peu d'air, de prendre un peu plus de temps pour lire. BV vous propose, cette année, une plongée haletante dans la clandestinité durant la Seconde Guerre mondiale. L'auteur et l'illustrateur, Saint Calbre et La Raudière, nous racontent l’histoire d’un jeune étudiant d’Oxford, Duncan McCorquodale, issu d’une vieille famille écossaise, qui, en 1940, va être recruté par le Special Operations Executive (le fameux SOE), créé par Churchill cette même année 1940 lorsque toute l'Europe, sauf la Grande-Bretagne, s'effondrait face à Hitler. L’histoire, donc, d’un jeune patriote dont le « bon sang ne saurait mentir », comme naguère on avait encore le droit de dire. Il va se lancer, corps, âme et intelligence, dans la nuit jusqu’à devenir semblable à elle, pour reprendre l’expression de l'Iliade d’Homère. Car c’est dans la nuit qu’agissait le SOE ! Nos deux auteurs, Saint Calbre et La Raudière, tous deux saint-cyriens, « ont servi dans les armées », nous dit laconiquement et, pour tout dire, un peu mystérieusement, la quatrième de couv’ de ce roman publié aux Éditions Via Romana. On n’en sait et on n'en saura pas plus. Au fond, c’est très bien ainsi : « semblables à la nuit », comme leur jeune héros…

Opération Asgard est le premier tome d’une série qui va suivre notre héros sur plusieurs décennies : de la Seconde Guerre mondiale, en passant par la guerre froide, jusqu’à la chute du mur. Le second tome paraîtra cet automne.

Publié par BV avec l'aimable autorisation des Éditions Via Romana.

 

Chapitre 14

La piste d’audace

 

Le parcours serpentait entre les arbres, non loin d’une rivière dont on entendait le chant, au loin. Le temps s’était encore rafraîchi et le ciel, gris, plombé – un ciel typique des Highlands –, annonçait la pluie. Duncan n’avait pas aussi mal aux pieds qu’il l’avait pensé. La volonté commençait-elle déjà à triompher du corps ?

— Voici le parcours, dit Nichols en montrant un premier obstacle de bois. En avant, derrière moi.

Et, joignant le geste à la parole, leste comme un chat, il monta sur une longue poutre et commença à courir. Pas de démonstration, pas de temps à perdre non plus.

 

Les obstacles étaient construits par deux, rigoureusement identi­ques. Les stagiaires s’y jetèrent, en paires désordonnées, sans réfléchir. Il fallait courir sur la poutre, sauter, grimper des espaliers, sauter encore, puis partir dans la forêt.

Là, une série de difficultés dont les futurs agents n’avaient pas la moindre idée s’étiraient jusqu’à la rivière : escalade dans les arbres, saut dans des fossés dont il fallait sortir à la force des bras, échelles de corde, échelles de bois… jusqu’aux tyroliennes, tendues entre deux arbres, à plusieurs mètres de hauteur.

Duncan n’était pas particulièrement sujet au vertige, mais ne s’était jamais déplacé sur une corde lisse, à trois ou quatre mètres du sol, avec un sac sur le dos et un casque de métal sur la tête. Il se retrouva dans une posture de cochon pendu, assez malhabile, le casque ballottant sur le crâne, le sac l’entraînant vers le bas. D’une traction, il se rétablit et se retrouva sur le ventre, la cheville droite sur la corde, la jambe gauche en balancier, comme la queue d’un chat. Il n’avait plus qu’à avancer avec les mains.

 

— Plus vite, bonhomme ! cria une voix en contrebas – celle de Nichols.

— Tu vas voir si je vais aller plus vite… grommela-t-il entre ses dents.

 

Il arriva rapidement au deuxième arbre, dont il descendit par une échelle de corde, et commença à courir dès qu’il toucha le sol. On entendait le bruit de la rivière, de plus en plus proche. Duncan avait pris le départ avec le grand garçon dégingandé qui avait eu peur, tout à l’heure, d’atteindre Arisaig en marchant. Il luttait en ce moment même, avec des gestes d’araignée, contre la gravité. Perdant l’équilibre, il n’arrivait pas à progresser sur la tyrolienne. Duncan ne pouvait pas l’aider ; il continua à courir vers la rivière, le souffle court.

— Rapide, rapide ! continuait Nichols, d’une voix à présent beau­coup moins nonchalante.

 

Un filet d’abordage, qu’on aurait dit sorti d’un bateau de pirates, permettait d’accéder à ce qui semblait être la dernière épreuve : tout en haut, à près de cinq mètres au-dessus de la rivière, il y avait un pont de singe. Duncan grimpa prestement en haut et commença son parcours, en regardant loin devant, vers l’autre rive. Avec la course du matin et l’enchaînement ininterrompu d’obstacles, sans avoir déjeuné, il était fourbu. « Loin devant vers l’autre rive », prononça-t-il pour lui-même. Ses lèvres étaient sèches.

Il vit Nichols tirer sur un objet qu’il tenait à la main et le lancer dans sa direction. L’objet atterrit dans le cours d’eau avec un « plouf » sonore. Instinctivement, Duncan accéléra la cadence, sans chercher à comprendre ce qu’il se passait. Bien lui en prit : la grenade – car c’en était une – explosa à ses pieds, soulevant une énorme gerbe d’eau et faisant tanguer le pont de corde.

Chancelant, haletant, trempé, les tempes battantes, les oreilles sifflant à cause de l’explosion, il descendit aussi vite que possible sur l’autre rive et courut de toutes ses forces vers Nichols. Trois agents étaient déjà arrivés, deux garçons athlétiques, plus âgés que lui, et De­borah Stuart, qui semblait décidément avoir beaucoup de ressources. Il était parti cinquième. Il avait dû y avoir un abandon.

 

— Un brin paresseux, mon garçon, jeta le sergent-major Nichols en regardant le chronomètre qu’il tenait à la main.

Pour éviter une grossièreté, Duncan ne répondit pas. Ce n’était pas le moment d’être insolent.

L’estomac retourné par une forte envie de vomir, le souffle désormais complètement coupé, il tituba jusqu’à la petite clairière dans laquelle ses trois camarades l’attendaient, à peu près dans le même état. Sans un mot, courbé en deux, l’un des deux garçons lui tendit un quart en métal et lui désigna un jerrican vert. Duncan se servit de l’eau, qu’il savoura lentement.

 

Les suivants arrivaient, au fur et à mesure, dans le même état. Certains vomissaient de douleur en arrivant. Tous avaient le visage rougi ou terriblement pâle, creusé par l’effort. L’un après l’autre, ils prenaient place et Nichols leur exprimait, en peu de mots, sa décep­tion. Manquait le grand escogriffe qui avait pris le départ avec Duncan.

Quand les autres furent arrivés, le sergent-major attendit trois ou quatre minutes, en silence, sans regarder quiconque. Puis il se redressa, et, les fixant dans les yeux :

— Rassemblement, laissa-t-il tomber de sa voix redevenue tranquille.

 

Instinctivement, la petite troupe se rangea, d’une manière quasiment militaire, sur trois rangs, face au sous-officier.

— Trop lent. Dispersez-vous. Rassemblement dans une minute.

 

Les douze agents coururent dans les taillis.

— C’est un jeu que nous avions à l’armée, murmura l’un de ceux qui étaient arrivés devant Duncan, et qui semblait connaître son affaire. Il attend que nous soyons impeccablement rassemblés.

— Il n’a que ça à faire, dit tout bas un garçon un peu gras, à l’air plutôt jeune.

Suivant l’idée de leur camarade, ils coururent se ranger dans un ordre parfait, figés dans un garde-à-vous de parade que certains d’entre eux n’avaient vu qu’en photographie.

Nichols les regarda, sans qu’un muscle de son visage bougeât. Sa bouche seule s’ouvrit :

— Aux obstacles, dit-il simplement.

Et il s’élança en courant vers le départ.

À suivre...

Cet article a été mis à jour pour la dernière fois le 10/08/2024 à 13:06.

Vos commentaires

Un commentaire

  1. Est-ce que Duncan aurait fait autant d’efforts s’il avait su qu’en août 2024, un Premier Ministre travailliste, mettrait des Anglais en prison – trois ans quand même ! – leur photo publiées comme s’ils étaient de dangereux criminels ? Le Patriotisme n’est-il respectable que s’il s’exprime contre l’Allemagne nazie ?

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