[LE ROMAN DE L’ÉTÉ] Opération Asgard – Le rapide pour Arisaig

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C'est l'été et, comme chaque été, c'est le moment de changer un peu d'air, de prendre un peu plus de temps pour lire. BV vous propose, cette année, une plongée haletante dans la clandestinité durant la Seconde Guerre mondiale. L'auteur et l'illustrateur, Saint Calbre et La Raudière, nous racontent l’histoire d’un jeune étudiant d’Oxford, Duncan McCorquodale, issu d’une vieille famille écossaise, qui, en 1940, va être recruté par le Special Operations Executive (le fameux SOE), créé par Churchill cette même année 1940 lorsque toute l'Europe, sauf la Grande-Bretagne, s'effondrait face à Hitler. L’histoire, donc, d’un jeune patriote dont le « bon sang ne saurait mentir », comme naguère on avait encore le droit de dire. Il va se lancer, corps, âme et intelligence, dans la nuit jusqu’à devenir semblable à elle, pour reprendre l’expression de l'Iliade d’Homère. Car c’est dans la nuit qu’agissait le SOE ! Nos deux auteurs, Saint Calbre et La Raudière, tous deux saint-cyriens, « ont servi dans les armées », nous dit laconiquement et, pour tout dire, un peu mystérieusement, la quatrième de couv’ de ce roman publié aux Éditions Via Romana. On n’en sait et on n'en saura pas plus. Au fond, c’est très bien ainsi : « semblables à la nuit », comme leur jeune héros…

Opération Asgard est le premier tome d’une série qui va suivre notre héros sur plusieurs décennies : de la Seconde Guerre mondiale, en passant par la guerre froide, jusqu’à la chute du mur. Le second tome paraîtra cet automne.

Publié par BV avec l'aimable autorisation des Éditions Via Romana.

 

 

Chapitre 11

Le rapide pour Arisaig

 

 

Les vacances de Noël avaient passé comme un dernier adieu à l’enfance. En ce petit matin du lundi 6 janvier 1941, peu avant 6 heures, alors qu’il prenait sa mère dans ses bras et serrait la main de son père, Duncan sentit, avec beaucoup de clarté quoique sans pouvoir se l’expliquer tout à fait, que quelque chose avait changé, à tout jamais, et qu’il était désormais entré dans ce que Diana appelait « le monde des grandes personnes ».

Aucun des rites traditionnels que l’on associe généralement à la fin de l’adolescence ne lui avait jamais fait cet effet. Ni la considération des adultes, ni les virées dans les pubs d’Oxford, ni les responsabilités au lycée ne lui avaient fait perdre sa belle insouciance. Peut-être était-ce la gravité de l’enjeu ? La possibilité de mourir, quoique cette idée n’évoquât pour l’instant rien de concret ?

Tandis qu’il prenait place dans la Bentley, qui décrivit sur les graviers de Phantelean un lent et irréprochable arc de cercle, il cessa de s’attarder sur ce qu’il n’arrivait pas encore à saisir. La réponse viendrait, comme souvent, quand il n’y penserait plus. À la place, il songea avec excitation à la suite de l’entraînement qui l’attendait. Le fait qu’il ne sût pas à quoi s’attendre lui paraissait décidément une excellente formation. « Ready for anything », disaient les instructeurs – c’est-à-dire non pas « prêt à tout » mais « prêt quoi qu’il arrive ». C’était la différence entre un mercenaire et un combattant, se dit-il. Dans le rétroviseur central, il put voir ses petites sœurs qui lui faisaient de grands signes de la main. Ready for anything, se redit-il, ému par leur simple tendresse.

En termes d’anything, d’ailleurs, il était largement servi, en ce glacial matin écossais. Deux jours plus tôt, en effet, le téléphone de Phantelean avait sonné dans l’office. Une voix d’homme, froide et professionnelle, avait demandé à parler à Duncan.

— Bonjour Duncan, avait dit l’homme. Je vous appelle de Baker Street. Avez-vous passé de bonnes vacances ?

— Très bonnes, je vous remercie, avait répondu le jeune homme, avec une prudente réserve.

— C’est très bien. Nous souhaiterions vous inviter à la campagne. Pouvez-vous vous présenter lundi, à 8 heures juste, à la gare de Fort William ?

Duncan avait senti ses forces se rassembler, avec un enthousiasme qui commençait à lui devenir familier. À la différence de la vie quo­tidienne, qui ne mobilisait jamais plus de la moitié de ses ressources, physiques comme intellectuelles, la vie d’agent secret, depuis deux mois, réclamait de lui un investissement total, permanent, une mobilisation générale qui donnait à sa vie du poids et du sens.

— Avec joie, avait-il répondu d’une voix égale. Dois-je prendre un billet pour une destination ?

— Ne vous en faites pas, avait dit la voix. Tout est arrangé.

— Parfait. À lundi, alors.

— À lundi.

Et ce fut tout.

 

Conduite avec une silencieuse maestria par le chauffeur, la Bentley avait parcouru les vallées des Highlands, comme désencombrées par la morsure du froid humide, et scintillant sous un ciel sans nuages. On arrivait à vue de la gare. Il était 7 h 50. Duncan, afin de ne pas arriver en avance, demanda à Donald de traîner un peu. Il descendit de la voiture à quelques dizaines de mètres de la gare, afin d’arriver à pied, salua chaleureusement le chauffeur, qui ne comprenait pas son étrange manège, et franchit la porte du bâtiment une minute avant 8 heures. Il s’assit sur un banc de bois, sa valise à la main. Il n’avait plus qu’à attendre.

À 8 h 10, un vieux monsieur s’arrêta à sa hauteur.

— Pardonnez-moi, jeune homme, êtes-vous William ?

— En effet, répondit Duncan, retrouvant immédiatement l’usage de son pseudonyme.

— Fort bien. Je dois vous remettre ceci de la part de Penelope, dit l’homme en lui tendant un billet de train. Bonne journée.

— Bonne journée, répondit Duncan machinalement, en regardant la destination qui figurait sur le billet. On y lisait : Glenfinnan. L’homme s’était déjà éloigné.

 

Les McCorquodale connaissaient bien la région de Glenfinnan. C’était là que le prince écossais Charles Stuart, « Bonnie Prince Charlie », avait débarqué pour reconquérir le trône d’Écosse et d’An­gleterre, en 1745. Un an plus tard, sévèrement battu, il rembarquait dans la tristesse, presque au même endroit, pour ne plus jamais revenir. Lord Alastair McCorquodale, un des aïeux du clan, était mort entre-temps, au service du prince, contre les Anglais, à la terrible bataille de Culloden. Cette révolte de la noblesse catholique écossaise avait profondément marqué Duncan dans sa jeunesse. Culloden était une cicatrice familiale, Alastair un héros et Glenfinnan un lieu de mémoire.

Duncan trouva rapidement sa place dans le train. Il ne prêta même pas attention au sifflement de la locomotive lorsqu’elle quitta Fort William. Commencer un stage qu’il imaginait éreintant par un voyage en train confortable, non loin de ses terres, voilà qui était assez surprenant. Il avait fait plusieurs fois le voyage de Fort William à Glenfinnan ; il savait que le train allait longer le Loch Eil puis s’engager sur l’imposant viaduc, chef-d’œuvre du début du siècle, qui surplombait la côte. Le paysage était à vous couper le souffle.

À suivre...

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