[LE ROMAN DE L’ÉTÉ] Opération Asgard – L’escalier de Neptune

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C'est l'été et, comme chaque été, c'est le moment de changer un peu d'air, de prendre un peu plus de temps pour lire. BV vous propose, cette année, une plongée haletante dans la clandestinité durant la Seconde Guerre mondiale. L'auteur et l'illustrateur, Saint Calbre et La Raudière, nous racontent l’histoire d’un jeune étudiant d’Oxford, Duncan McCorquodale, issu d’une vieille famille écossaise, qui, en 1940, va être recruté par le Special Operations Executive (le fameux SOE), créé par Churchill cette même année 1940 lorsque toute l'Europe, sauf la Grande-Bretagne, s'effondrait face à Hitler. L’histoire, donc, d’un jeune patriote dont le « bon sang ne saurait mentir », comme naguère on avait encore le droit de dire. Il va se lancer, corps, âme et intelligence, dans la nuit jusqu’à devenir semblable à elle, pour reprendre l’expression de l'Iliade d’Homère. Car c’est dans la nuit qu’agissait le SOE ! Nos deux auteurs, Saint Calbre et La Raudière, tous deux saint-cyriens, « ont servi dans les armées », nous dit laconiquement et, pour tout dire, un peu mystérieusement, la quatrième de couv’ de ce roman publié aux Éditions Via Romana. On n’en sait et on n'en saura pas plus. Au fond, c’est très bien ainsi : « semblables à la nuit », comme leur jeune héros…

Opération Asgard est le premier tome d’une série qui va suivre notre héros sur plusieurs décennies : de la Seconde Guerre mondiale, en passant par la guerre froide, jusqu’à la chute du mur. Le second tome paraîtra cet automne.

Publié par BV avec l'aimable autorisation des Éditions Via Romana.

 

Chapitre 24 (suite)

L'escalier de Neptune

 

À 21 heures, après son heure de calligraphie cyrillique, Duncan sortit de sa chambre, à la recherche d’un moyen de locomotion. La nuit était très épaisse, ce qui arrangeait bien ses affaires. Il avait repéré, près de l’aile du château opposée à celle des chambres, une sorte d’abri à vélos. Le rythme des cours ne lui avait cependant pas permis de vérifier que les cadres d’Arisaig laissaient les bicyclettes en place après les heures de service. Souple, invisible, il s’approcha et constata avec satisfaction que trois engins, dont un flambant neuf, étaient encore attachés à une gouttière par une chaîne, que fermait un cadenas. Duncan sortit ses outils : en une poignée de secondes, le cadenas céda. Le plus simple était de prendre le moins neuf des trois vélos : un éven­tuel choc y passerait plus volontiers inaperçu.

Après avoir opté pour une bicyclette noire déjà passablement usagée, ôté le fil de la dynamo pour pouvoir rouler tous feux éteints, remis le cadenas en place et traversé les taillis, pied à terre, pour rejoindre la route, Duncan s’élança dans une obscurité presque totale.

L’escalier de Neptune, une impressionnante suite de huit écluses, verrouillait l’eau du Loch Lochy, au nord de Fort William, jusqu’au Loch Eil. C’était un majestueux ouvrage qui, par un système de cabestans, permettait aux bateaux de traverser le canal en un peu plus d’une demi-journée. « Vous neutraliserez l’ouvrage en vous assurant de la plus totale discrétion », disait la lettre de mission dactylographiée. Il y avait une grosse vingtaine de kilomètres pour s’y rendre depuis Arisaig. Dans la campagne déserte, malgré un peu de relief au début, l’essentiel du parcours, à partir du moment où on commençait à longer le Loch Eil, était plat. Et puis, de toute façon – même Vaughan en était convenu – Duncan, physiquement, ne se « planquait » pas.

Tout en pédalant, il révisait ce qu’il dirait en cas d’arrestation : « prétexte, couverture, légende, dans cet ordre », comme disait Gareth lors de son instruction en ville. Le prétexte était la couche superficielle, la raison pour laquelle on est là, en cet instant précis, et pour laquelle on fait ce que l’on fait. La couverture, plus importante, était la fonc­tion que l’on est censé exercer. Enfin, la légende était la fausse identité, avec tout ce qu’elle comporte de détails biographiques inventés ou fabriqués. Il aurait prétexté avoir perdu quelque chose, sous couvert de faire du camping dans les Highlands en profitant de l’absence d’un professeur, être étudiant en histoire à Saint Andrews et s’appeler William Mac Allan – dont il connaissait désormais bien la légende, depuis sa brève arrestation. Cela valait ce que cela valait, mais cela suffirait très certainement.

Il fut à l’escalier de Neptune peu après 22 heures. En vérité, la reconnaissance ne faisait pas ressortir de difficulté particulière. Le plus simple était de faire sauter l’avant-dernière écluse, à hauteur du cabes­tan. Les agents pourraient arriver par différents chemins de traverse, chacun à une heure différente de la journée, chacun avec un prétexte différent, jusqu’à la mise en place autour de l’objectif. Duncan mémorisa encore quelques détails sommaires. La nouvelle lune ne facilitait pas la prise de repères.

À minuit et demi, il enfourcha de nouveau sa bicyclette et fit le chemin en sens inverse jusqu’à Arisaig. Se mêlaient en lui l’excitation de monter sa propre mission, pour la première fois… et la nécessité de trouver un moyen de s’absenter pendant la journée. Cela faisait probablement partie du jeu.

Si, en remontant la route pour retourner au centre, avant de passer une courte nuit, Duncan avait pris un petit sentier à gauche, à un certain embranchement, il aurait résolu, d’un coup, beaucoup des mystères qui entouraient Arisaig. Le temps viendrait…

***

Du côté de cet embranchement, justement, une faible lumière était allumée dans une cabane de bûcheron. Dans un coin, une combi­naison de plongée, pendue au mur, gouttait sur le sol de pierre. Le plus grand des trois occupants de cette maison, un homme brun, l’air jovial et plein d’énergie, au visage méditerranéen, venait de remettre une tenue civile après s’être séché.

— Avez-vous entendu, commandant ? fit, en allemand, l’un de ses acolytes.

— Quoi donc, docteur ? répondit l’homme-grenouille, dans la même langue, avec un fort accent italien.

— Ce n’était probablement rien. Il m’avait semblé… laissons cela. Comment s’est passée votre reconnaissance ?

— Impeccable. Les possibilités de débarquement offertes par l’île de Skye sont impressionnantes. Nous entrerons au Royaume-Uni comme dans du beurre et j’y mettrai la pagaille avec mes nageurs de combat. Où en est votre projet de torpille ? Vous pensez toujours développer un prototype allemand ?

Celui que le commandant avait appelé « docteur » regarda l’Italien.

— Si l’Italie en est capable, fit-il avec une once de mépris, le Reich ne devrait pas rencontrer de difficulté.

Le plongeur ne releva pas l’offense. Les Germains manquaient d’humour et d’élégance, ce n’était pas la peine d’insister. Encore quel­ques semaines de reconnaissance, passées à éviter la police et à préparer des dossiers d’objectif, et l’officier italien retournerait écumer la mer au service du Duce.

À suivre...

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