[LE ROMAN DE L’ÉTÉ] Opération Asgard – Préparatifs

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C'est l'été et, comme chaque été, c'est le moment de changer un peu d'air, de prendre un peu plus de temps pour lire. BV vous propose, cette année, une plongée haletante dans la clandestinité durant la Seconde Guerre mondiale. L'auteur et l'illustrateur, Saint Calbre et La Raudière, nous racontent l’histoire d’un jeune étudiant d’Oxford, Duncan McCorquodale, issu d’une vieille famille écossaise, qui, en 1940, va être recruté par le Special Operations Executive (le fameux SOE), créé par Churchill cette même année 1940 lorsque toute l'Europe, sauf la Grande-Bretagne, s'effondrait face à Hitler. L’histoire, donc, d’un jeune patriote dont le « bon sang ne saurait mentir », comme naguère on avait encore le droit de dire. Il va se lancer, corps, âme et intelligence, dans la nuit jusqu’à devenir semblable à elle, pour reprendre l’expression de l'Iliade d’Homère. Car c’est dans la nuit qu’agissait le SOE ! Nos deux auteurs, Saint Calbre et La Raudière, tous deux saint-cyriens, « ont servi dans les armées », nous dit laconiquement et, pour tout dire, un peu mystérieusement, la quatrième de couv’ de ce roman publié aux Éditions Via Romana. On n’en sait et on n'en saura pas plus. Au fond, c’est très bien ainsi : « semblables à la nuit », comme leur jeune héros…

Opération Asgard est le premier tome d’une série qui va suivre notre héros sur plusieurs décennies : de la Seconde Guerre mondiale, en passant par la guerre froide, jusqu’à la chute du mur. Le second tome paraîtra cet automne.

Publié par BV avec l'aimable autorisation des Éditions Via Romana.

 

Chapitre 20
Préparatifs

 

Un soleil prometteur illumine les ponts de Ratisbonne – Regensburg, en allemand. Le mois de février se termine. La ville entière, propre, luisante, industrieuse, ressemble à l’idée que Rudolf Hess se fait de l’âme germanique, immémoriale et cependant technologique, à la pointe du développement. Des bâtiments anciens, presque médiévaux, des ponts de pierre, jetés sur le Danube – et là-bas, au loin, modernes et terribles, les usines de son ami Willy Messerschmitt, dans lesquelles dorment de redoutables avions de chasse.

Justement, Hess, qui roule à vive allure, dans un coupé Mercedes, vers les bâtiments de la société aéronautique, a besoin de l’un d’entre eux pour mener à bien la mission qu’il s’est fixée. Le Bf 110, un oiseau de tôle, léger, agile, est la machine qu’il lui faut. Messerschmitt est un ingénieur remarquable, un chef d’entreprise génial, mais il n’a pas la moindre idée de ce que signifie, d’une manière philosophique, métaphysique même, la sauvegarde du Reich. Il devra le convaincre, ou lui forcer la main.

Majestueuse et accueillante comme une maison de famille bavaroise, l’usine Messerschmitt se dresse désormais au bout de l’allée. La Mercedes décélère progressivement et s’immobilise devant le perron. Déjà, Messerschmitt vient à la rencontre de celui que l’on surnomme « le dauphin du Führer ». Hess est plutôt apprécié dans les cercles du pouvoir : ce n’est pas un intrigant narcissique comme Göring, ni un raté mystique comme Himmler. Hess est ce qu’il est, irréfragablement : un colosse idéaliste. Messerschmitt ne l’en respecte que davantage. Il s’avance à sa rencontre en descendant les marches.

— Rudolf, mon cher ami, comment allez-vous ? Quel plaisir de vous voir ici !

— Bonjour, Willy, c’est un plaisir pour moi également, un plaisir et un honneur.

— Entrez, entrez, venez avec moi, je vous emmène voir nos jouets, poursuit Messerschmitt, d’un ton faussement léger.

Brillant, inventif, concentré, l’ingénieur Messerschmitt devine en partie ce qui amène son ami Hess, qui est lui-même un pilote de chasse aguerri. Il y a une légitime curiosité pour le Bf 110, version prototypique, ressemblant un peu au mythique Junkers Ju 88, certes, mais il y a autre chose. Messerschmitt sent que Hess va lui demander un service. Il s’est montré particulièrement évasif au téléphone.

Brièvement passés par le bâtiment principal, Hess et Messerschmitt se dirigent ensuite vers les hangars, dans lesquels sont fabriqués les avions. Ils s’attardent sur une dizaine d’engins qui viennent d’être terminés. Alignés comme à la parade, avec leur allure de guêpe menaçante, ils dégagent une vivacité qui se devine, même au sol, même à l’arrêt. En connaisseur, Rudolf Hess marche lentement parmi cette armée métallique.

Au fond du hangar, deux mécaniciens s’affairent sur un Bf 110 presque terminé. L’avion est au milieu de la pièce. Fuselé, léger, il semble attendre l’ancien pilote. Hess ralentit le pas.

— Ainsi, c’est lui, prononce-t-il lentement sans détacher ses yeux de la carlingue.

— C’est bien lui, oui, acquiesce Messerschmitt, non sans fierté. Le Bf 110. Il est plus facile à manier que le 109, il devrait être plus rapide. Il nous prendra probablement un peu plus de temps à construire, mais…

— Quelle serait son autonomie ? interrompt Hess.

Messerschmitt hésite à comprendre. Le Führer aurait-il chargé son ami d’évaluer la faisabilité d’une attaque éclair ? Les décisions d’Hitler sont parfois irrationnelles. Son entourage ne s’en formalise plus guère.

— Il devrait avoir mille kilomètres d’autonomie, peut-être. Cela dépendra des réservoirs.

— Mmmh…

Hess tourne autour de l’avion. Les mécaniciens ont arrêté de s’affairer pour laisser passer le prestigieux visiteur.

— Vous devriez pouvoir enlever un peu de poids dans l’habitacle, commence Hess ; et, ajoute-t-il en montrant les deux mitrailleuses situées sous le ventre de l’avion flambant neuf, si on ôte l’armement de bord, on devrait pouvoir gagner encore de la vitesse…

Messerschmitt regarde son ami avec un air d’incompréhension totale. Un avion de chasse sans mitrailleuses, à quoi bon ? Il marmonne une approximation technique. Cent kilos, peut-être cent cinquante.

Hess s’est arrêté. Il se tourne vers Messerschmitt avec l’air badin qu’il adopte naturellement en civil.

— Willy, dit Hess en posant sa grosse main sur l’épaule de son ami, j’ai besoin d’un Bf 110. J’en ai besoin pour le mois de mai. Disons pour le 1er mai. Il faudra que je l’essaie auparavant.

— Rudolf, je…

— Écoutez, Willy, c’est vraiment très important. Croyez-moi, dit Hess, même si je ne puis vous en dire plus. Croyez-moi sur parole : j’ai vraiment besoin d’essayer votre avion. J’ai besoin de m’en servir et j’ai besoin que vous me le laissiez quand je vous l’indiquerai.

L’ingénieur fixe Rudolf Hess avec une courtoise incrédulité. Il y a un silence. Hess sourit toujours.

— J’hésite à vous comprendre, soupire enfin l’ingénieur, mais je présume que c’est pour le bien du Reich et la grandeur de notre peuple.

— C’est exactement ce que j’allais vous dire en effet, répond Hess avec un sourire ironique, que démentent ses yeux fixes.

— Eh bien, soit ! Venez à l’usine d’ici quinze jours. Indiquez-moi vos modifications dès maintenant. Nous ferons ce qu’il faut. Mais j’ai besoin d’en savoir un peu plus.

— C’est bien naturel. Allons dans votre bureau, si vous voulez bien. Et merci, pour moi – et pour ce que nous entreprenons.

Hess et Messerschmitt se serrent la main pour sceller l’accord. Sous l’œil des deux mécanos, qui, à distance, n’ont pas bien saisi l’entretien, ils s’éloignent vers le bâtiment principal.

Une dizaine de minutes plus tard, Hess remonte dans son coupé Mercedes, démarre en trombe et quitte les usines Messerschmitt dans un nuage de poussière. L’ingénieur, sur le perron, regarde s’éloigner son ami – à la fois admiratif et un peu inquiet. Il est désormais au courant d’une partie du projet fou du « dauphin d’Hitler ». Il ne lui reste plus qu’à le mettre en œuvre, et ce ne sera pas facile, mais le jeu semble largement en valoir la chandelle.

À suivre...

Cet article a été mis à jour pour la dernière fois le 19/08/2024 à 12:57.

Vos commentaires

3 commentaires

  1. Depuis’40 ans les priorités de ces gouvernents sont à l’égard des nuisibles et des minorités délinquantes qu il faut gâter pour conserver la paix sociale, le français moyens lui doit bosser et se faire taxer sans ménagement pour couvrir toute cette gabegie

  2. Hess n’était pas le dauphin d’Hitler, il était son « stellvertreter » c’est à dire celui qui remplaçait Hitler lorsque celui-ci était absent des cérémonies officielles.

    • Et la traduction en français de Stellvertreter n’est-elle pas « Dauphin » ? Car peut-être n’existe t’il pas de mot en français pour traduire Stellvertreter ? Quoi qu’il en soit, merci pour cette précision.

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