[LE ROMAN DE L’ÉTÉ] Opération Asgard – Retour à Phantelean

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C'est l'été et, comme chaque été, c'est le moment de changer un peu d'air, de prendre un peu plus de temps pour lire. BV vous propose, cette année, une plongée haletante dans la clandestinité durant la Seconde Guerre mondiale. L'auteur et l'illustrateur, Saint Calbre et La Raudière, nous racontent l’histoire d’un jeune étudiant d’Oxford, Duncan McCorquodale, issu d’une vieille famille écossaise, qui, en 1940, va être recruté par le Special Operations Executive (le fameux SOE), créé par Churchill cette même année 1940 lorsque toute l'Europe, sauf la Grande-Bretagne, s'effondrait face à Hitler. L’histoire, donc, d’un jeune patriote dont le « bon sang ne saurait mentir », comme naguère on avait encore le droit de dire. Il va se lancer, corps, âme et intelligence, dans la nuit jusqu’à devenir semblable à elle, pour reprendre l’expression de l'Iliade d’Homère. Car c’est dans la nuit qu’agissait le SOE ! Nos deux auteurs, Saint Calbre et La Raudière, tous deux saint-cyriens, « ont servi dans les armées », nous dit laconiquement et, pour tout dire, un peu mystérieusement, la quatrième de couv’ de ce roman publié aux Éditions Via Romana. On n’en sait et on n'en saura pas plus. Au fond, c’est très bien ainsi : « semblables à la nuit », comme leur jeune héros…

Opération Asgard est le premier tome d’une série qui va suivre notre héros sur plusieurs décennies : de la Seconde Guerre mondiale, en passant par la guerre froide, jusqu’à la chute du mur. Le second tome paraîtra cet automne.

Publié par BV avec l'aimable autorisation des Éditions Via Romana.

 

Chapitre 9

Retour à Phantelean

 

On se doute que les quinze jours qui suivirent furent, pour notre jeune héros, des vacances plus précieuses qu’il n’en avait jamais connu.

Dès qu’il fut sorti de Baker Street, avec sa valise, il appela ses parents, d’une cabine téléphonique, pour les prévenir de son retour. Ce fut sa mère qui décrocha le téléphone.

— Bonsoir, Mère.

— Bonsoir, Duncan, fit la voix douce et tendre de Lady McCorquodale, qui gardait une ombre imperceptible d’accent allemand. Comment vas-tu ?

— Très bien, merci, Mère. Je voulais vous dire que j’allais revenir demain, à Phantelean, à la maison. Nous fêterons Noël ensemble.

— C’est une excellente nouvelle ! répondit Lady McCorquodale avec enthousiasme. Nous avions imaginé que tu reviendrais peut-être. Quelle joie ! Tes sœurs seront tellement heureuses ! Je vais donner des instructions à Susan.

— Merci, Mère, moi aussi je suis très heureux, répondit Duncan, peut-être avec plus d’émotion qu’il n’aurait voulu en montrer.

 

Il informa sa mère de son heure d’arrivée. Elle préviendrait le chauffeur, Donald, qui l’attendrait à la gare. Mère et fils se souhai­tèrent affectueusement une bonne nuit.

Duncan prit le train de nuit le soir même, à la gare de Euston, à Londres, en direction de Fort William. Épuisé par le rythme des deux dernières semaines, il dormit rapidement du sommeil du juste, qui est aussi le sommeil des agents secrets.

Au matin, il fut réveillé par la lumière du jour, qui se levait sur le paysage magnifique de l’Écosse endormie. À perte de vue, les collines, d’un vert kaki ourlé de brun, étaient baignées par le soleil. Il repensa à la dernière fois qu’il avait vu le jour se lever par la fenêtre du train, c’est-à-dire peu avant son arrestation, peu avant le début de sa première formation. Cela lui semblait très loin. Il laissa vagabonder son esprit.

Duncan McCorquodale faisait désormais partie du SOE. Il allait servir sa patrie, en dépit de son jeune âge, dans les conditions les plus difficiles, et cela le remplissait de fierté. Il allait participer à la libération de l’Europe qui souffrait sous la griffe des Allemands, il allait aussi se montrer, du moins l’espérait-il, à la hauteur de son père et de ses ancêtres.

 

Le clan McCorquodale remontait à l’Histoire la plus ancienne de l’Écosse. En 1295 déjà, un baron McCorquodale avait fait partie de la délégation qui avait signé, à Paris, le traité de la Vieille Alliance entre les Français et les Écossais – la plus vieille alliance du monde. Par ce traité, chacun des deux royaumes s’engageait à aider l’autre en cas de guerre contre l’Angleterre. Malgré l’annulation de ce traité par les Anglais, l’amitié entre l’Écosse et la France était restée bien réelle jusqu’à ce jour, dans le cœur des habitants des deux pays.

Duncan avait entendu dire, en surprenant une conversation dans un couloir de Baker Street, que le SOE laissait à ses agents la possibilité de choisir où ils seraient envoyés en mission. On n’était pas certain d’avoir gain de cause, mais on pouvait faire une ou plusieurs demandes. En ce qui le concernait, il espérait bien avoir la chance d’être envoyé en France pour prolonger cette amitié séculaire ; ce serait sa manière de continuer à faire vivre l’Histoire. Comment irait-il ? Par bateau, par avion ? En parachute ? Cette dernière possibilité lui faisait peur autant qu’elle l’enthousiasmait. Sauter d’un avion…

Les parachutes avaient été essayés dès la Première Guerre mondiale. Il avait même entendu dire que les parachutistes russes devaient sortir de leurs petits avions, s’asseoir sur l’aile pendant qu’il volait et se laisser glisser comme sur un toboggan, directement dans le vide…

 

De manière générale, bien sûr, il ne pensait pas à la suite de son parcours sans une certaine appréhension. En effet, bien qu’il fût courageux et en très bonne forme physique, bien qu’il fût entre autres un excellent boxeur et un rameur infatigable, il imaginait, sans savoir exactement comment et dans quelles proportions, que son passage « à la campagne », comme l’avait dit Penelope, serait exigeant et même éprouvant physiquement. C’était le fait de ne pas savoir qui lui faisait un peu peur – ce qui était tout à fait normal. Cela doit faire partie de la méthode d’apprentissage, se dit-il. Apprendre à ne pas avoir peur de ce qu’on ne connaît pas.

Ce que Duncan ne savait pas, c’était que les premières semaines de sa formation n’étaient qu’une entrée en matière, et qu’elles avaient surtout servi à l’évaluer. Ses instructeurs avaient pris des pages entières de notes sur sa personnalité, sa façon de remplir les différentes missions, ses qualités et ses défauts. Peut-être même avaient-ils déjà un avis sur le pays dans lequel il serait le plus utile.

Mais pour l’instant, laissons-le contempler paisiblement le superbe et austère paysage écossais, tandis que le train de nuit, dans la vapeur et le hurlement des freins, entre en gare de Fort William…

 

Duncan McCorquodale descendit de son wagon parmi les derniers, en prenant soin de repérer son environnement. Il aurait exactement pu dire, presque instinctivement, qui portait une valise, qui avait l’air de savoir se battre, quelle femme aurait pu avoir besoin d’aide et, surtout, s’il était surveillé ou si la police l’attendait. C’est que la leçon avait porté ! Cependant, au lieu de la police, c’était un homme de taille moyenne, vêtu d’un long manteau noir, coiffé d’une casquet­te, et dont la barbe grise cachait le visage buriné, qui l’attendait sur le quai. Duncan marcha vers lui :

— Bonjour, Donald ! dit-il avec chaleur.

— Bonjour, monsieur, répondit le chauffeur en se découvrant. Avez-vous fait bon voyage ?

— Excellent, merci. Allons ! J’ai hâte de retourner à Phantelean.

 

Devant la gare, Duncan mit sa valise dans la malle, prit place à côté de Donald.

— Monsieur, vous êtes déjà un homme ! Vous pouvez monter derrière ! fit Donald en riant dans sa barbe.

— Je suis très bien ici, dit Duncan, comme cela nous pourrons discuter !

 

La voiture était une Bentley 3 litres ½ noire, que Lord Lachlan avait achetée à sa sortie, en 1933. Partant du principe que « ce qu’il y a de mieux coûte toujours moins cher », et conscient du fait que la vie à la campagne requérait une voiture digne de ce nom, le maître de Phantelean avait, sept ans plus tôt, fait jaser sur ses terres quand il était revenu de la ville, conduit par Donald, dans ce superbe bolide. Les paysans, en Écosse et ailleurs, n’aiment pas ceux qui veulent épater leur prochain. Cependant, comme Lord McCorquodale était simple avec tous, et qu’il continuait de se déplacer à cheval pour les courtes distances, on ne lui en avait pas voulu trop longtemps – et la voiture faisait l’admiration des villageois. Duncan aimait beaucoup les rares occasions qu’il avait eues d’en profiter.

Le trajet dura plus de deux heures, ce qui laissa à Duncan le temps de s’enquérir des nouvelles du pays. Les histoires des villages des environs occupèrent tout le temps de la route. La Bentley, conduite avec dextérité par le chauffeur, s’engageait en ronronnant, à vitesse moyenne, sur les petites routes de campagne. Il faisait très froid, bien sûr, mais le soleil faisait resplendir ce paysage plein d’imprévu, d’ombre et de lumière. Au sujet de l’île de Skye, toute proche, les gens du pays disaient qu’elle était la preuve que le Bon Dieu aimait montrer ce qu’Il savait faire de mieux. Cette phrase s’appliquait tout autant aux rives des Highlands, constata le jeune homme.

Soudain, en haut d’une colline, et sans que Duncan s’en fût immédiatement aperçu, le loch Tromlee se découvrit. Il était presque midi et le lac était nimbé d’une lumière dorée, présentant aux regards l’imposant château de pierre. Duncan sentit son cœur s’envoler. Il n’avait pas revu le château, ni sa famille, depuis la rentrée de l’univer­sité. Donald regarda les yeux de son jeune maître s’illuminer avec une affection presque paternelle.

— Nous arrivons, monsieur, dit-il simplement, comme si ce n’était pas évident.

— Je vois, Donald, sourit Duncan.

 

La voiture descendit de la colline, lentement, puis fit le tour du lac et s’engagea sur la presqu’île. Quelques dizaines de mètres encore et on serait vraiment en vacances. Donald klaxonna joyeusement en prenant la petite route qui menait au château. Quelques secondes plus tard, Diana et Claire, les petites sœurs de Duncan, sortirent en courant par la grande porte. Lord et Lady McCorquodale les suivirent quelques mètres plus loin.

— C’est le retour du fils prodigue ! dit Duncan en riant.

 

La Bentley s’immobilisa en crissant sur les graviers blancs. La famille McCorquodale au complet descendait les marches du perron. Duncan jaillit de la belle voiture noire et se jeta au cou de sa mère. Il embrassa ensuite son père, puis ses deux jeunes sœurs.

— Tu as encore grandi, dit Lady McCorquodale en plaisantant.

— Viens vite, mon grand garçon, dit son père, tandis que le jeune homme essayait de répondre aux mille questions de ses sœurs. Ne te laisse pas accaparer par Diana et Claire, dont tu es devenu le héros !

 

Il y avait comme une musique de joie simple et paisible dans le cœur de Duncan. La neige tomberait peut-être dès ce soir. Ce serait un vrai et beau Noël dans ce pays qu’il aimait tant.

Sa valise à la main, il suivit son père dans le manoir de Phantelean.

À suivre...

Cet article a été mis à jour pour la dernière fois le 03/08/2024 à 21:31.

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