[LE ROMAN DE L’ÉTÉ] Opération Asgard– Un courant d’air

CHAP7ASGARD

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C'est l'été et, comme chaque été, c'est le moment de changer un peu d'air, de prendre un peu plus de temps pour lire. BV vous propose, cette année, une plongée haletante dans la clandestinité durant la Seconde Guerre mondiale. L'auteur et l'illustrateur, Saint Calbre et La Raudière, nous racontent l’histoire d’un jeune étudiant d’Oxford, Duncan McCorquodale, issu d’une vieille famille écossaise, qui, en 1940, va être recruté par le Special Operations Executive (le fameux SOE), créé par Churchill cette même année 1940 lorsque toute l'Europe, sauf la Grande-Bretagne, s'effondrait face à Hitler. L’histoire, donc, d’un jeune patriote dont le « bon sang ne saurait mentir », comme naguère on avait encore le droit de dire. Il va se lancer, corps, âme et intelligence, dans la nuit jusqu’à devenir semblable à elle, pour reprendre l’expression de l'Iliade d’Homère. Car c’est dans la nuit qu’agissait le SOE ! Nos deux auteurs, Saint Calbre et La Raudière, tous deux saint-cyriens, « ont servi dans les armées », nous dit laconiquement et, pour tout dire, un peu mystérieusement, la quatrième de couv’ de ce roman publié aux Éditions Via Romana. On n’en sait et on n'en saura pas plus. Au fond, c’est très bien ainsi : « semblables à la nuit », comme leur jeune héros…

Opération Asgard est le premier tome d’une série qui va suivre notre héros sur plusieurs décennies : de la Seconde Guerre mondiale, en passant par la guerre froide, jusqu’à la chute du mur. Le second tome paraîtra cet automne.

Publié par BV avec l'aimable autorisation des Éditions Via Romana.

 

 

Chapitre 7

Un courant d’air

 

Une fine pluie froide tombait sur Londres le lendemain matin, lorsque Duncan franchit la porte du 64, Baker Street. Il ne vit personne. Il était pourtant exactement 8 heures.

À 8 h 01, le dénommé Gareth arriva du coin de la rue avec deux acolytes que Mac Corquodale n’avait encore jamais vus.

— Bonjour, Duncan.

— Bonjour Gareth.

— Je vous présente John et Patrick, vos deux autres formateurs.

— Bonjour messieurs, dit Duncan, en serrant la main des deux autres agents.

— Allons boire un café, ne restons pas là, dit Gareth en traversant la rue.

Tout le monde lui emboîta le pas.

Ils marchèrent quelques minutes, puis trouvèrent un café quelques pâtés de maisons plus loin.

— Bien, commença Gareth quand les quatre petites tasses fumè­rent devant eux. Dans les semaines qui viennent, nous allons vous apprendre à vous déplacer dans une grande ville occupée par l’ennemi. John vous apprendra à transmettre des informations sans contact. Patrick vous apprendra à organiser un rendez-vous. Quant à moi, je vous apprendrai à ne pas vous faire arrêter. Cela vous sera utile la prochaine fois.

Duncan sourit. C’était de bonne guerre.

— Nous allons commencer par des choses très générales, et nous allons en discuter ici, avant que vous ne partiez en ville avec moi.

Gareth parlait d’une voix tout à fait normale, comme s’il avait dit des choses anodines. Baisser la voix comme un conspirateur eût été particulièrement suspect. John déplia un plan de Londres, qui était déjà marqué et plié en plusieurs endroits, et comportait des traces de crayon et de feutre autour de plusieurs bâtiments.

— Nous étions tous policiers ou détectives dans une autre vie, expliqua John à Duncan, qui avait l’air étonné. Ce que nous allons vous apprendre, nous l’avons déjà travaillé des dizaines de fois. Sur ce plan comme sur d’autres.

— Pour commencer, enchaîna Gareth, vous devez savoir que le fait de vous déplacer en ville, comme vous allez le faire, est une chance. Dans un village ou une zone découverte à la campagne, il serait plus difficile de vous cacher, de semer vos poursuivants ou d’avoir une bonne raison de vous promener.

— Je comprends.

— Par ailleurs, en ville, les gens sont beaucoup plus habitués à ce qu’on leur parle. La serveuse qui nous a apporté les cafés, par exemple, vous souvenez-vous d’elle ? Ne vous retournez pas pour la regarder.

— Oui, je crois, Gareth, répondit Duncan sans se retourner. Quarante ans, brune, cheveux attachés, yeux marron, plutôt grande.

— Un signe particulier ? dit Patrick, une bague, une marque caractéristique ?

— Une alliance, je crois…

— Vous croyez ou vous êtes sûr ? dit John.

— Je…

— En tout cas, dit Gareth, comme je vous l’ai dit, en ville, les gens sont plus bavards. Par conséquent, cette serveuse vous répondra sûrement si vous l’interrogez.

— Oui, mais…

— Duncan, reprit Gareth plus calmement, dans dix minutes, je veux tout savoir de cette serveuse. Levez-vous, allez lui parler ; trouvez un prétexte pour entamer la conversation et obtenez le maximum d’informations.

 

Duncan était surpris. Et le fait de se déplacer dans les rues, alors ?

— Écoutez, Gareth, je ne crois pas que…

— Neuf minutes trente.

 

« D’accord, se dit-il, ça ne doit pas être très compliqué. Il suffit de ne pas être timide. »

Il se leva et se dirigea vers la serveuse, qui essuyait les verres au comptoir. Duncan s’éclaircit la voix et la femme se retourna.

 

Gareth, Patrick et John faisaient mine de ne pas observer ce que faisait leur jeune élève, mais ils n’en perdaient pas une miette. Duncan semblait gagner la sympathie de la serveuse, et, quand il sembla avoir fini, ils étaient tous les deux en train de rire.

Duncan retourna s’asseoir au bout d’une dizaine de minutes.

— Alors ? fit Gareth.

— Cette dame s’appelle Catherine Williams, elle a quarante-deux ans. Elle est mariée, deux enfants, une fille et un garçon. Elle travaille ici depuis dix ans mais elle habite dans l’East End. Son mari est ouvrier et on peut la joindre au…

— Good Heavens ! sourit Gareth, vous avez récupéré le numéro de téléphone de cette femme ! Pas mal du tout. Quel était votre prétexte ?

— Je lui ai demandé des conseils pour visiter Londres. Je lui ai dit que j’arrivais tout droit d’Écosse et que je ne connaissais pas la ville.

— Quel nom avez-vous utilisé ?

— William McAllan.

— Très bien. Difficile ou pas ?

— Non, pas vraiment. Plutôt drôle.

— Qu’est-ce qui était le plus difficile ?

 

Duncan réfléchit un instant.

— De lui raconter n’importe quoi, d’abord. Parce qu’elle était sympathique.

— C’est normal. Quoi d’autre ?

— De rester à la bonne distance. Ne pas être timide mais faire en sorte qu’elle ne se souvienne pas de moi.

— Excellente remarque. C’est très juste et c’est sans doute cela le plus difficile. Nous aurons largement le temps d’y revenir. Bien, passons aux choses sérieuses.

 

La demi-heure suivante, toujours passée autour de la table, fut consacrée à un apprentissage des déplacements en ville. Duncan apprit qu’il devait évoluer à la même allure que tout le monde, ni trop vite ni trop lentement, comme il avait eu le réflexe de le faire lorsqu’il s’était échappé ; qu’il devait privilégier les lieux fréquentés pour donner ses rendez-vous ou se déplacer ; qu’en revanche, quand il avait l’impres­sion d’être suivi, il devait, sans ralentir ni accélérer, se diriger vers une rue aussi déserte que possible, et de préférence longue et plutôt étroite. Les vieux quartiers étaient parfaits pour cela.

En ville, continua John, celui qui allait lui apprendre à échanger des informations, tout le monde mène sa petite vie ; contrairement à la campagne, on ne veut surtout pas s’intéresser aux affaires des autres. Personne ne ramasse les papiers qui traînent, personne ne nettoie les marques sur les murs. On peut utiliser tout cela. Patrick lui confirma qu’en apprenant à se déplacer sans être suivi et en apprenant à échan­ger des messages ou des informations, on pouvait rencontrer d’autres personnes (des agents anglais ou étrangers) dans des villes occupées par les Allemands, sans attirer l’attention.

— Quand on pense être suivi, dit John, on doit trouver des en­droits qui permettent de s’en assurer sans jamais se retourner : miroirs, vitrines de magasins, coins de murs. On doit pouvoir vérifier au moins deux fois qu’il y a bien un Allemand à nos trousses. Ensuite, il faut trouver un endroit où on peut disparaître.

— Le général Gubbins a dû vous dire que nous devions être des courants d’air, intervint Gareth. Il dit cela à tout le monde.

— En effet, Gareth.

— Eh bien, c’est exactement cela. Vous passez dans la rue. Vous marchez à la vitesse de tout le monde, vous êtes habillé comme tout le monde, ce que vous faites est parfaitement normal. Vous passez comme un courant d’air. Vous n’avez pas l’air d’un soldat, ni l’air d’un voleur. Vous avez une tête normale. Tout ce qu’il y a de plus normal.

— Je comprends.

— Très bien. Prenez le plan et mettez-le dans votre poche.

 

Duncan prit le plan couvert de marques de crayon et le rangea dans la poche de sa veste.

— Il est neuf heures et quart. Je vais vous emmener dans Londres afin de vous montrer à quoi ressemble ce genre de parcours. Ensuite, vous passerez la journée en ville. À 18 heures, vous me rejoindrez à cette même table. 18 heures, cela veut dire que vous arrivez à 17 h 59, pas avant. Dans notre métier, ce n’est pas poli d’être en avance : c’est dangereux. Si vous ne me voyez pas, vous commandez une Guinness – pas autre chose – et vous attendez.

— Je comprends.

— Parfait. Et maintenant, allons-y. John, Patrick, à tout à l’heure.

 

Duncan salua les deux instructeurs et sortit, suivant Gareth.

Quand ils furent dehors :

— Une dernière chose, dit Gareth. À partir de maintenant, vous vous appelez William. Pour tout le monde, même pour les gens du Service. C’est votre alias, votre pseudonyme, ce que vous voulez. Tout le monde vous appellera William.

— Compris, dit « William ».

 

Et ils partirent dans les rues de Londres.

A suivre...

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