[LE ROMAN DE L’ÉTÉ] Opération Asgard – Un simple exercice

asgard20

Pour retrouver l'épisode précédent, c'est ici.

C'est l'été et, comme chaque été, c'est le moment de changer un peu d'air, de prendre un peu plus de temps pour lire. BV vous propose, cette année, une plongée haletante dans la clandestinité durant la Seconde Guerre mondiale. L'auteur et l'illustrateur, Saint Calbre et La Raudière, nous racontent l’histoire d’un jeune étudiant d’Oxford, Duncan McCorquodale, issu d’une vieille famille écossaise, qui, en 1940, va être recruté par le Special Operations Executive (le fameux SOE), créé par Churchill cette même année 1940 lorsque toute l'Europe, sauf la Grande-Bretagne, s'effondrait face à Hitler. L’histoire, donc, d’un jeune patriote dont le « bon sang ne saurait mentir », comme naguère on avait encore le droit de dire. Il va se lancer, corps, âme et intelligence, dans la nuit jusqu’à devenir semblable à elle, pour reprendre l’expression de l'Iliade d’Homère. Car c’est dans la nuit qu’agissait le SOE ! Nos deux auteurs, Saint Calbre et La Raudière, tous deux saint-cyriens, « ont servi dans les armées », nous dit laconiquement et, pour tout dire, un peu mystérieusement, la quatrième de couv’ de ce roman publié aux Éditions Via Romana. On n’en sait et on n'en saura pas plus. Au fond, c’est très bien ainsi : « semblables à la nuit », comme leur jeune héros…

Opération Asgard est le premier tome d’une série qui va suivre notre héros sur plusieurs décennies : de la Seconde Guerre mondiale, en passant par la guerre froide, jusqu’à la chute du mur. Le second tome paraîtra cet automne.

Publié par BV avec l'aimable autorisation des Éditions Via Romana.

 

Chapitre 17

Un simple exercice

 

Plus vite, se relever, continuer à courir. La tyrolienne au-dessus de la rivière. Un bruit de grenade. BOUM. Sauter, se réceptionner.

Duncan se réveilla en sursaut dans le hangar humide, sur le toit duquel la pluie faisait entendre des percussions métalliques, et consulta les aiguilles luminescentes de sa montre : trois heures du matin. Il dormait par terre depuis une semaine, enchaînant les parcours d’obstacles, le tir de jour comme de nuit, l’escalade des falaises et les marches topographiques.

Une des pires choses qui puissent arriver à un soldat en formation, à cause de la fatigue, est de rêver une nouvelle fois de la journée qu’il vient de vivre. C’est exactement ce qui venait d’arriver à Duncan, après des jours d’épuisement physique et de surprise psychologique. Il lui semblait toutefois que ce bruit de grenade, dans le lointain, n’appartenait pas au rêve, mais à une forme de réalité diffuse, loin de lui. Il reposa la tête sur sa veste de treillis, posée à même le parquet, et essaya à nouveau de dormir.

BOUM.

La deuxième explosion était nettement plus proche et fit trembler le bâtiment. Il n’y avait plus beaucoup de doute sur la réalité de la menace. Duncan se releva immédiatement, enfila à la hâte sa veste encore trempée et jeta un regard circulaire à ses camarades. Presque tous, instinctivement, s’étaient dressés hors de leur couchage de fortune. Une ou deux silhouettes, déjà debout, s’habillaient dans un demi-sommeil.

— Rassemblement ! Une minute ! cria, dehors, la voix du sergent-major Nichols.

Posément mais rapidement, Duncan laçait ses brodequins. Il n’y avait certes rien de pire que de dormir tout habillé, mais quelle perte de temps tout de même, pesta-t-il intérieurement.

Trente secondes plus tard, la petite troupe était rassemblée dehors, en ordre impeccable. Certaines vestes, toutefois, étaient mal bouton­nées, certains sacs mal sanglés, et certains semblaient ne pas savoir que faire de leur fusil, qui pendait à leur cou, inerte. Les traits étaient tirés, les yeux à la fois absents et – Duncan le nota avec surprise – trempés d’une volonté nouvelle, qu’il n’avait pas remarquée jusque-là. Les phares de deux véhicules militaires, des Chevrolet 30 CWT, dont les moteurs étaient éteints, éclairaient violemment la terre sur laquelle tombait la pluie, dans la nuit profonde, glacée et humide. Un chauffeur était au volant de l’un d’eux. Le sergent-major se tenait devant l’autre.

Nichols avait repris sa voix nonchalante. Rasé, reposé, il semblait aussi professionnel et indifférent qu’en plein jour.

— Cette nuit, repérage et surveillance en vue d’une opération. Monsieur Hendricks prend le commandement de l’équipe pour la durée de la mission. Je vais lui communiquer le dossier d’objectif. Arrangez votre équipement pendant ce temps, conclut-il d’un air désapprobateur en regardant les tenues approximatives.

Hendricks sortit des rangs. Les autres stagiaires remirent leur tenue en ordre, avec des gestes gourds. La fatigue s’était accumulée pendant la journée et ce bref répit ne leur avait évidemment pas permis de récupérer. À quelques mètres, Duncan voyait Hendricks et Nichols, qui regardaient une carte d’état-major sur le capot de l’une des voitures. Nichols semblait entourer des points caractéristiques avec un crayon rouge. Hendricks regardait avec attention. Jamais de papier, bien sûr. Cela ne dura que quelques minutes. Puis :

— Venez à ma hauteur, fit simplement Hendricks, avec un mouvement de la tête.

Ses camarades vinrent le retrouver, dans un arc de cercle appro­ximatif autour de la carte. Nichols s’était écarté du capot et observait la scène, les bras croisés.

— Nous sommes ici et nous avons une heure pour nous trouver en observation, dans cette anse, près de la plage de Rhu Point.

Il montrait une petite crique, à quatre kilomètres environ, au sud-ouest de leur position.

— À partir de 4 heures du matin et jusqu’à ce que l’on nous relève, poursuivit calmement Hendricks, nous devrons observer les mouve­ments suspects des embarcations ou d’éventuels promeneurs, en vue de monter une opération de neutralisation dont on nous précisera les modalités plus tard. Au retour, nous rendrons compte du nombre et du type de bateaux, du physique des personnes s’il y en a. Nous pouvons prendre des notes cette fois-ci. Nous disposons de jumelles, à l’arrière du véhicule. Pas de radios, pour ne pas être interceptés, sauf pour le sergent-major, qui assurera la liaison avec le château en cas de problème. Je choisis de prendre les véhicules, que nous laisserons à l’écart, sous des branches. Nous prendrons cette route, puis nous nous garerons ici, finirons le parcours à pied et je vous disposerai en observation. Avez-vous des questions ?

Tous hochèrent la tête négativement. Duncan était sincèrement impressionné par cette leçon de commandement : cinq minutes de préparation, pas de notes, une compréhension parfaite, une manœu­vre rapide, pas un mot plus haut que l’autre. Il se promit d’apprendre auprès de Harry Hendricks l’art de donner des ordres. Justement, l’ancien lieutenant se tournait vers Nichols, apparemment pour demander s’il avait quelque chose à ajouter. Le sergent-major fit un geste de la main, comme s’il refusait une tasse de thé. Il avait même esquissé une sorte de sourire – ou était-ce la lumière des phares ?

— Parfait, sac au dos, aux véhicules, conclut Hendricks, d’une voix toujours égale.

La dizaine de futurs agents se répartit rapidement dans les deux Chevrolet.

— James, dit Harry Hendricks à l’ancien chasseur, si vous voulez bien conduire l’autre voiture et me suivre…

James Erroll acquiesça en silence. Le chauffeur lui céda sa place. Les deux pilotes mirent le contact à quelques secondes d’écart. À l’avant de la première Chevrolet, Patrick Shannon ; Duncan prit place à l’avant de la seconde, de sa propre initiative. L’une derrière l’autre, sans hâte, les deux tout-terrain s’éloignèrent du sol détrempé pour rejoindre, à travers bois, la route qui serpentait, le long de la falaise, jusqu’au point d’observation. Duncan regarda ses passagers : John Gordon et Denise Reynolds s’étaient endormis au bout de quelques minutes. Les autres lui rendirent son regard. Tous se sourirent, comme s’ils sentaient le parfum de l’aventure dans cet entraînement impromptu.

Sourire sous la pluie, une nuit de janvier dans les Highlands, en route pour une mission d’observation dont on ne savait rien, c’était peut-être commencer à former une équipe ?

Quelques mètres encore de cahots entre les arbres, sur un mauvais chemin de terre, puis la route se dévoila. Hendricks ralentit pour diminuer le bruit du moteur. Erroll l’imita. On entendait les vagues toutes proches et on sentait le parfum des embruns. À la différence de la formation en ville, aucune autre bonne raison qu’un exercice mili­taire de nuit n’aurait pu justifier la présence d’une dizaine de jeunes gens dans cette zone désolée.

Les Chevrolet roulèrent quelques minutes, puis prirent à gauche dans un sous-bois. Immédiatement après, les deux paires de phares s’éteignirent et les deux véhicules se rangèrent, l’un derrière l’autre. Hendricks, en murmurant, donna rapidement des ordres pour que ses camarades coupent des branches et les disposent sur le capot et le toit des deux voitures pour casser leurs formes. Erroll et Carver se propo­sèrent immédiatement. Shannon et Duncan répartirent les paires de jumelles. Il y avait deux haches dans chaque voiture, qui permirent d’abattre quelques grandes branches de sapin et de transformer, en un quart d’heure, les deux Chevrolet anguleuses en masses informes. Hendricks, lui, composait les binômes et désignait les objectifs en les pointant du doigt. Il allait rester aux véhicules, à couvert, avec John Gordon et Diana Bullingdon, qu’il identifiait probablement comme les plus faibles.

— Duncan, fit-il en murmurant toujours, vous prenez cette anfractuosité, avec Deborah.

Le hasard arrangeait bien notre héros, qui sourit. Les deux apprentis opérateurs gagnèrent leur poste d’observation, d’abord, en se baissant sous le feuillage, puis en rampant l’un derrière l’autre, aussi lentement que possible. Duncan, arrivé derrière les gros rochers qui devaient les abriter des regards, consulta sa montre : 3 h 45. L’instal­lation était rondement exécutée. Deborah prit place à ses côtés, menue, déterminée. Ils échangèrent un bref regard.

— Je vous propose de prendre le secteur qui va de ce rocher à celui-ci, à moins que vous ne vouliez… commença Duncan à voix basse.

— C’est parfait, l’interrompit-elle sur le même ton.

Duncan ajusta les jumelles, fit la mise au point et commença à regarder la petite crique. Un binôme était passé derrière eux en rampant. Les autres étaient restés à leur gauche. Il devait désormais y avoir, sur ce petit morceau de côte, un chapelet d’opérateurs en formation, sur les hauteurs de la crique. Et il devait aussi, probablement, y avoir quelque chose à attendre d’ici l’aube.

Face à l’océan, faiblement coloré par les reflets de la lune, abrités comme ils pouvaient des bourrasques glacées, ils attendirent donc.

À suivre... 

Cet article a été mis à jour pour la dernière fois le 11/08/2024 à 19:26.

Vos commentaires

Un commentaire

  1. Admirable : Beaucoup d’ intelligences, beaucoup de discipline, un sens affûté de l’action…. Pour faire quoi ? Rien sans aucun doute.

Commentaires fermés.

Pour ne rien rater

Les plus lus du jour

L'intervention média

Lire la vidéo

Les plus lus de la semaine

Les plus lus du mois