[LE ROMAN DE L’ÉTÉ] Opération Asgard – Une équipe

ASGARD18

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C'est l'été et, comme chaque été, c'est le moment de changer un peu d'air, de prendre un peu plus de temps pour lire.BV vous propose, cette année, une plongée haletante dans la clandestinité durant la Seconde Guerre mondiale. L'auteur et l'illustrateur, Saint Calbre et La Raudière, nous racontent l’histoire d’un jeune étudiant d’Oxford, Duncan McCorquodale, issu d’une vieille famille écossaise, qui, en 1940, va être recruté par le Special Operations Executive (le fameux SOE), créé par Churchill cette même année 1940 lorsque toute l'Europe, sauf la Grande-Bretagne, s'effondrait face à Hitler. L’histoire, donc, d’un jeune patriote dont le « bon sang ne saurait mentir », comme naguère on avait encore le droit de dire. Il va se lancer, corps, âme et intelligence, dans la nuit jusqu’à devenir semblable à elle, pour reprendre l’expression de l'Iliade d’Homère. Car c’est dans la nuit qu’agissait le SOE ! Nos deux auteurs, Saint Calbre et La Raudière, tous deux saint-cyriens, « ont servi dans les armées », nous dit laconiquement et, pour tout dire, un peu mystérieusement, la quatrième de couv’ de ce roman publié aux Éditions Via Romana. On n’en sait et on n'en saura pas plus. Au fond, c’est très bien ainsi : « semblables à la nuit », comme leur jeune héros…

Opération Asgard est le premier tome d’une série qui va suivre notre héros sur plusieurs décennies : de la Seconde Guerre mondiale, en passant par la guerre froide, jusqu’à la chute du mur. Le second tome paraîtra cet automne.

Publié par BV avec l'aimable autorisation des Éditions Via Romana.

 

Chapitre 15

Une équipe

 

Ils refirent le parcours tout l’après-midi. Haletant en permanence, le cerveau insensibilisé, ces jeunes gens qui n’avaient jamais vu un pont de lianes ou une tyrolienne acquéraient, peu à peu, une sorte de mémoire musculaire. Il fallait, de toute façon, terminer, ne pas flancher, faire mieux.

Au fur et à mesure, Duncan sentait qu’avec l’épuisement, son corps trouvait instinctivement le moyen le plus simple, le plus sûr, le plus économique pour lui, de surmonter les difficultés du parcours, les unes après les autres.

Dès l’arrivée d’un stagiaire, Nichols commentait le temps en regardant son chronomètre. « Trop lent » ; « trop mou » ; « pas assez fluide ». Puis, invariablement, sitôt le quart d’eau avalé : « Aux obsta­cles ». Il faisait un froid humide, rendu encore plus pénible par le vent. Le jour commençait rapidement à baisser.

 

Alors que l’on n’y voyait presque plus rien, Duncan franchit la ligne d’arrivée, épuisé, une fois de plus. Il avait mal aux pieds, aux mains, les tempes bourdonnantes. Il n’avait pas le souvenir, même après plusieurs rounds de boxe, d’avoir été aussi profondément vidé de son énergie. Nichols arrêta le chronomètre et dit simplement : « Assez pour aujourd’hui, mettez-vous sur le côté. » Un à un, à mesure qu’ils arrivaient, ses camarades vinrent également se ranger. La leçon du matin avait porté : ils s’étaient immédiatement alignés dans un ordre parfait, au garde-à-vous. Le SOE préférait recruter, pour des raisons évidentes, des agents qui comprenaient vite.

— Bien, dit Nichols d’une voix légèrement traînante, voilà pour la mise en train. Les obstacles que vous venez de traverser – avec plus ou moins de bonheur, je dois le dire – seront le quotidien du terrain sur lequel vous allez évoluer en opérations. Grimper à des murs, traverser des lacs, subir des tirs de grenades, de jour mais aussi – nous en reparlerons – de nuit. Il y a des boîtes de conserve et de l’eau dans la voiture. Récupérez-les.

Au pas de course, la petite équipe s’exécuta, se répartissant les charges sans presque se parler, et revint se ranger.

 

— L’un d’entre vous nous a quittés. Jambe cassée. Nous verrons s’il vous rejoint plus tard. En attendant, je vais vous montrer vos bâtiments pour la nuit. Prenez les provisions. Derrière moi.

 

Nichols partit droit devant, dans la nuit encore claire, au petit trot. Avec leurs boîtes de conserve et leurs lourds jerricans d’eau, les jeunes agents le suivirent en serrant les dents. Seul l’orgueil les faisait encore courir.

Deux demi-cylindres de tôle, en tout point semblables au magasin d’équipement qu’ils avaient vu plus tôt dans la journée, brillaient faiblement sous la lune naissante, se détachant dans les sous-bois.

 

— Les hommes à gauche, les femmes à droite. Je vous souhaite une excellente nuit, mesdames et messieurs.

Le sergent-major disparut en marchant calmement, dans la direc­tion du rivage. Il fit cent mètres et se retourna vers le petit groupe :

— Une dernière chose : vous allez avoir un peu de temps pour discuter au dîner. C’est l’occasion de mieux vous connaître. Seuls – vous avez pu le mesurer aujourd’hui – vous ne valez pas grand-chose. Vous devez devenir une équipe. Ensemble, vous devez être impossibles à détruire. Bonne nuit.

 

Et, cette fois, Nichols partit pour de bon, laissant la petite troupe avec ses provisions, en pleine forêt. À aucun moment, il n’avait été question de l’heure de rendez-vous du lendemain, ce qui ne laissait rien présager de favorable.

 

Duncan reprit la parole en premier.

— Je vous propose que nous installions nos affaires et que nous nous retrouvions dans une demi-heure ici, pour dîner.

— Bonne idée, approuvèrent quelques autres.

Instinctivement, Duncan s’aperçut qu’il avait cherché le regard de Deborah. Leurs yeux se rencontrèrent dans le crépuscule et elle sourit. Bien qu’il ne fût pas particulièrement timide, l’honorable Duncan Mac Corquodale se sentit rougir légèrement. Cette jeune fille, décidé­ment, lui plaisait bien. Mais pour l’instant, il n’était pas question de dialogues : tous les jeunes agents mouraient de faim.

Rapidement, le jeune homme qui leur avait appris à se mettre en rang alla chercher du bois. Duncan et deux autres l’accompagnèrent. Un cinquième les aida à faire prendre un feu, non loin des bâtiments de fortune. Les trois jeunes filles avaient ouvert les boîtes de conserve et récupéré des gamelles dans leur paquetage pour préparer le début du dîner. Les trois autres – puisqu’ils n’étaient plus que onze – avaient ouvert les deux bâtiments, froids, humides, pour que la chaleur du feu les réchauffât un peu.

 

Assis autour du feu, les onze agents du SOE en devenir se présen­tèrent. Ici, l’usage de pseudonymes aurait été hors de propos. Le premier à parler fut Harry Hendricks, ancien de Sandhurst, lieutenant des Gardes, le seul qui avait une expérience militaire. Vinrent ensuite John Gordon, le plus gros de la bande, un étudiant en mathé­matiques ; Philip Newham, qui déclara, en toute honnêteté, être un ancien pickpocket ; Deborah Stuart, qui étudiait l’histoire de l’art ; Patrick Shannon, un activiste irlandais, qui semblait avoir moins souffert que d’autres de cette journée froide et pluvieuse ; Denise Reynolds, une couturière franco-anglaise. Duncan parla ensuite, suivi de Diana Bullingdon, une jeune fille de bonne famille qui venait de quitter le lycée ; James Erroll, un chasseur de gros gibier venu du Kenya ; David Sands, un spécialiste de la littérature médiévale, et Simon Carver, un alpiniste et explorateur, complétaient cette équipe disparate.

On se doute que les discussions, une fois terminées les présenta­tions d’usage, ne durèrent pas plus longtemps que le temps du dîner : les futurs agents secrets étaient épuisés, naturellement, et, pourquoi ne pas le dire, il y avait entre eux une certaine méfiance. Chacun était, soit par orgueil, soit par timidité, peu enclin à se livrer aux autres. L’équipe dont avait parlé le sergent-major Nichols n’était pas encore formée, loin s’en faut.

 

Mais pour l’instant, laissons nos stagiaires faire brièvement connais­sance, autour de ce campement de fortune et de ce feu qui, malgré le froid et l’humidité, commence à crépiter dans la nuit, tandis qu’à des milliers de kilomètres, d’autres événements se préparent.

A suivre... 

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