[LE ROMAN DE L’ÉTÉ] Opération Asgard – Vol d’essai

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C'est l'été et, comme chaque été, c'est le moment de changer un peu d'air, de prendre un peu plus de temps pour lire. BV vous propose, cette année, une plongée haletante dans la clandestinité durant la Seconde Guerre mondiale. L'auteur et l'illustrateur, Saint Calbre et La Raudière, nous racontent l’histoire d’un jeune étudiant d’Oxford, Duncan McCorquodale, issu d’une vieille famille écossaise, qui, en 1940, va être recruté par le Special Operations Executive (le fameux SOE), créé par Churchill cette même année 1940 lorsque toute l'Europe, sauf la Grande-Bretagne, s'effondrait face à Hitler. L’histoire, donc, d’un jeune patriote dont le « bon sang ne saurait mentir », comme naguère on avait encore le droit de dire. Il va se lancer, corps, âme et intelligence, dans la nuit jusqu’à devenir semblable à elle, pour reprendre l’expression de l'Iliade d’Homère. Car c’est dans la nuit qu’agissait le SOE ! Nos deux auteurs, Saint Calbre et La Raudière, tous deux saint-cyriens, « ont servi dans les armées », nous dit laconiquement et, pour tout dire, un peu mystérieusement, la quatrième de couv’ de ce roman publié aux Éditions Via Romana. On n’en sait et on n'en saura pas plus. Au fond, c’est très bien ainsi : « semblables à la nuit », comme leur jeune héros…

Opération Asgard est le premier tome d’une série qui va suivre notre héros sur plusieurs décennies : de la Seconde Guerre mondiale, en passant par la guerre froide, jusqu’à la chute du mur. Le second tome paraîtra cet automne.

Publié par BV avec l'aimable autorisation des Éditions Via Romana.

 

Chapitre 28

Vol d’essai

 

Le ciel de Regensburg, parfois si lourd, est sans un nuage quand surgit du lointain, en vue de la tour de contrôle, un avion gris, sans immatriculation ni cocarde, qui décrit, comme un patient vautour, un premier cercle autour de la piste.

Le Bf 110 se présente en finale sur l’aérodrome d’essai des usines Messerschmitt. À la radio, la voix de Hess, précise et professionnelle, annonce son arrivée. En expert, il aborde la piste sans pression. Il maîtrise désormais pleinement cet avion léger, maniable – idéal pour la mission qu’il s’est fixée.

Rudolf Hess fait cabrer le petit bolide pour lui donner de la portance. Le Bf 110 s’approche rapidement de la terre ferme. Le train avant heurte le sol exactement au même moment que la roulette. Hess réduit les gaz, freine au maximum. Les déflecteurs sortent. La manœuvre est parfaite.

À présent, l’avion roule au ralenti sur la piste pour regagner le hangar. Hess annonce à la radio qu’il quitte la fréquence. La tour de contrôle accuse bonne réception. Stabilisé, il s’arrête devant les lourdes portes coulissantes. Deux mécanos s’élancent vers la carlingue. Le dauphin du Führer extrait sa puissante carcasse du cockpit et, en descendant par le petit escabeau qu’on lui apporte, donne son casque à l’un des employés de Messerschmitt, comme s’il était son écuyer. Il rayonne d’une sereine fierté.

« Ne voudriez-vous pas essayer le parachute, Herr Hess ? » hasarde le chef d’atelier, à qui Messerschmitt a donné de strictes consignes. Par vanité ou par superstition, Hess refuse. Il déclenchera le parachute sur place. Il n’a jamais eu l’intention d’atterrir, bien qu’il ne l’ait pas dit à l’ingénieur. Il va laisser l’avion s’écraser, pas loin de chez Lord Hamil­ton, à qui il a fait parvenir une lettre par son réseau d’espionnage, en espérant une réponse – qui pour l’instant ne vient pas.

Hess a arrêté, en secret, la date de sa mission métaphysique : le 10 mai prochain, soit dans exactement un mois, jour pour jour. La conjoncture des astres est favorable. Là-haut, dans la mythique demeu­re des dieux, l’œil d’Odin, père de la sagesse, de la guerre et de la ruse, l’observe peut-être. C’est d’ailleurs le nom de la terre divine, dans le panthéon germanique, « Asgard », que le fidèle camarade de combat a choisi, pour baptiser sa tentative. Toutes les opérations militaires portent un nom : celle-ci sera l’Opération Asgard.

Rudolf Hess a quitté l’usine. Il a chaleureusement remercié Willy Messerschmitt pour son aide au service du Reich. Bien qu’il n’ait pas précisément eu le choix, l’ingénieur a fait contre mauvaise fortune bon cœur. Cette mission hasardeuse, irrationnelle même, n’est pas de son goût, mais l’irrationnel n’est-il pas un des ressorts du régime ?

À présent, tandis qu’il roule dans son luxueux coupé, le dauphin d’Hitler a tout le loisir de réfléchir, de mettre, intérieurement du moins, ses affaires en ordre. Va-t-il tout dire à sa femme, la douce Ilse, à son fils unique, Wolf Rüdiger, qui n’a que trois ans ? Bien que fanatique au dernier degré, serviteur fidèle et absolu du Reich, Hess est aussi un mari dévoué et un père attentif. Son cœur se serre – mais qu’importe le cœur, se dit-il, dans de telles circonstances ? Il a encore un mois pour expédier les affaires courantes. Plus besoin de voler : il se concentrera désormais, et jusqu’au 9 mai, sur ses fonctions auprès de Hitler.

Le voici rentré chez lui. Dans son vaste bureau, où Ilse n’ose pas le déranger, il rédige un, puis deux brouillons. Il relit. Il rature. Ensuite, sur une feuille immaculée, il écrit quelques mots tendres pour sa femme et son petit garçon. Il signe, plie la lettre et la glisse dans une enveloppe. Ce n’est pas encore tout. La dernière lettre, s’il devait ne pas revenir – mais pourquoi ne reviendrait-il pas ? – est pour le Führer, pour l’homme qui, selon lui, a relevé l’Allemagne éternelle et la guide fermement sur le chemin de son destin. Cette fois, il n’hésite pas. Les mots lui viennent facilement, car il est ici question de devoir et de sacrifice :

Mein Führer,

Peut-être cette lettre ne vous parviendra-t-elle pas, et peut-être (du moins je l’espère) viendrai-je en personne vous rendre compte du succès de ma mission. Si toutefois ce n’était pas le cas, sachez que tout ce que j’ai accompli, je l’ai accompli au service du Reich et pour la grandeur du peuple allemand.

Le ciel a pour nous des projets dont nous ne mesurons pas la portée, comme des enfants qui ne comprennent pas tout ce que leurs parents leur demandent, et dont le destin s’éclaire à mesure que leur esprit s’élève. Pour moi, je serai convaincu d’accomplir un devoir sacré, à l’heure de m’embar­quer pour ce voyage en pays ennemi, convaincu qu’une paix est possible, et que nous pourrons alors affronter sans frémir les bolcheviques, qui affûtent leurs sabres en ce moment même, comme les esclaves assoiffés de sang qu’ils ont toujours été.

Si je devais être pris ou tué, je vous demande de garder dans votre mémoire une place pour nos combats de jeunesse. J’ai toujours, vous le savez, été celui qui ose quand d’autres hésitent. La victoire est une femme qui ne se donne qu’au plus fort. Ilse et Wolf Rüdiger seront, j’en suis sûr, éduqués par la patrie. Je ne vous demande qu’une chose en ce qui me concerne : qu’on inscrive sur ma tombe quatre mots, quatre mots seulement. « Je l’ai osé ».

Heil Hitler,

Votre toujours fidèle,

Rudolf Hess

 

Ainsi se termine la publication du roman de l'été 2024 sur BV. Pour lire la suite d'Opération Asgard...

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