Le roman inédit de l’été : Derrière le mur (22)
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Cet été, Boulevard Voltaire vous propose une fiction inédite, jamais publiée auparavant. Embarquez avec Fadi, Sybille, Jean et Tarek dans un pays qui n’existe plus.
- Mais ce n’est pas de cela qu'il est question ce soir. Aujourd’hui, vous devez poser un choix, mon jeune ami. Et celui-ci risque d’être brutal, je vous préviens. À partir de ce soir, mon cher, il n’y a plus de retour possible. La liberté a un prix, ceci est la première leçon du soir. Elle implique une radicalité absolue et assumée. Faites votre choix. Vous pouvez partir maintenant et oublier toute notre conversation. Sinon, je vais vous prier de rester encore un peu car mes invités arrivent.
Partir ? Fadi en aurait été incapable. Défiant le vieil homme du regard, il affermit sa voix du mieux qu’il put. Il s’adressa à lui avec une voix résonnante d’autorité. Une voix qu’il ne s’était jamais entendu employer avant :
- Qui êtes-vous réellement, Jean ? Un ami ou un ennemi ?
- Par rapport à Fadi Saïf ? C’est davantage à vous d’y répondre mon ami.
Malgré son trouble, Fadi ne put s’empêcher d’esquisser un sourire. Jean avait changé de ton. Il s’était adouci au fur et à mesure. Son timbre de voix devenait plus apaisé et en même temps plus grave.
- Au fond, je suis persuadé que vous le savez depuis le départ. Je suis l’un des acteurs de cette guerre Fadi. Avec une poignée de camarades, je m’efforce de faire survivre cette nation qui peuple nos rêves et notre imaginaire. Ce grand pays que nous n’avons jamais connu mais dont nous nous acharnons à faire perdurer le souvenir dans l’espoir qu’il renaisse.
À peine eut-il achevé de parler que le soupirail s’ouvrit à la volée et deux ombres, l’une leste et agile, l’autre plus pesante, s’engouffraient dans le réduit.
Cette dernière prit les devants et s’avança à la lumière. C’était un homme d’environ trente-cinq ans. Une carrure athlétique et un visage exceptionnellement doux atténuait son aspect imposant. Il émanait de lui une force intérieure et une autorité naturelle qui même dans ce réduit crasseux en imposait. Avant de saluer Jean, il lui fit un signe de tête en désignant Fadi.
Le vieil homme leva le pouce l’air de dire il est des nôtres, tout en ne quittant pas le jeune homme des yeux comme s’il guettait une réaction inadéquate de sa part. La deuxième ombre restait en retrait. Elle referma soigneusement le réduit et resta en arrière. Vêtue d’un pantalon de treillis et d’un sweat-shirt ample dont la capuche était rabattue, un foulard masquait son visage et seuls ses yeux perçants et sombres étaient visibles. Fadi était intrigué, la silhouette devait être celle d’un adolescent rachitique, tant il semblait flotter dans ses vêtements.
Se redressant, l’homme ôta le long manteau qui le recouvrait. Fadi eut le souffle coupé, il était vêtu d’une robe noire et d’un col blanc. C’était un prêtre.
Tandis que le nouvel arrivant s’affairait à ses valises avec son curieux garde du corps, Jean s’approcha de Fadi et lui glissa dans l’oreille :
- Je place toute ma confiance en vous mon ami, quoi qu’il se passe ne me trahissez pas. Ni auprès des vôtres ni auprès de mes amis.
Voyant que l’autre se tournait vers eux, Jean se détacha de Fadi et redressa le buste dans une raideur que Fadi ne lui avait jamais vue.
- Bienvenue en France, Monsieur le Ministre des Cultes.
Dans la même mimique cérémoniaire, le prêtre fit de même :
- Merci, Monsieur le Ministre. Permettez-moi de vous féliciter pour cette organisation irréprochable à tout point de vue.
Et puis il se passa quelque chose qui dépassa complètement le jeune homme. Jean et le nouveau venu se toisèrent pendant quelques secondes puis se mirent à rire silencieusement, leurs épaules se secouant à un rythme saccadé. Fadi n’était pas au bout de ses surprises, il vit Jean s’agenouiller. Le prêtre leva la main et prononça une parole de bénédiction.
Lorsque Jean se fut relevé, il se tourna vers le jeune homme et le montra du bras.
- Père Louis-Marie, voici Fadi. Fadi, je vous présente le père Louis-Marie, prêtre catholique qui arrive à l’instant pour nous assister.
- Enchanté, le père s’approcha de Fadi et lui tendit une poignée de main rude et franche. Vous devez être un saint jeune homme pour supporter ce vieil acariâtre. Mes félicitations. Quant à cette jeune personne qui m’accompagne et me guide depuis ce matin…
Jean s’approcha du jeune rebelle et posa sa main parcheminée sur son épaule.
- Mon Père, Fadi, je vous présente ma nièce Sybille.
L’ombre baissa sa capuche et son foulard. Ce n’était pas tant le fait de voir une fille dans cette pièce qui le surprenait, mais plutôt une sorte de saisissement. Rien dans cette créature n’obéissait aux canons de la femme qu’il se représentait. Le pantalon, les cheveux à l’air libre… Il baissa les yeux par réflexe pudique. Les cheveux bruns qui descendaient en cascade jusqu’à mi-dos le troublaient intensément. Un sentiment curieux se logeait au creux de sa poitrine, comme une créature qui ronronnait doucement. Elle le regardait avec une insistance qui le mettait mal à l’aise ; à son grand désespoir, il rougissait devant cette attaque subite. Elle continuait de le regarder sans ciller, le jaugeant et le soupesant. Implacablement. Sans qu’il ne puisse l’expliquer, il avait la sensation que cette fille lisait jusqu’au tréfonds de son esprit. Qu’elle jouait avec chacune de ses émotions, touchait ses pensées d’homme et ses sentiments, ce qui ne put que le troubler davantage. Au bout de quelques secondes, elle détourna le regard et alla saluer Jean au grand soulagement du jeune homme.
Profitant du fait qu’elle s’adressait au vieil homme, Fadi tenta de l’observer davantage à la dérobée. Sous le treillis trop ample, il pouvait deviner les courbes de son corps. Elle ne devait pas avoir plus que son âge à lui. Sa voix était grave et posée. Elle aussi - cela semblait être une variable systématique chez ceux qu’il rencontrait depuis quelques temps - semblait être animée d’une force et d’une autorité peu communes. La dureté de ses traits laissait tout de même présager un passé difficile, comme un chagrin solidement ancré. Traversant la pièce, elle alla se planter devant lui. Croisant les bras, elle le toisa, les sourcils haussés.
- Alors, c’est toi, le nouvel ami de Jean ?
- Oui.
Fadi se forçait à la regarder mais ses joues le brûlaient.
- Il m’a beaucoup parlé de toi, il paraît que tu lis ses livres. C’est courageux de ta part.
Le compliment ne le touchait pas. Il était également troublé. C’est bien la première fois qu’une fille si peu couverte était aussi proche de lui. Jean et le prêtre étaient absorbés par leurs conversations. Tirant un fauteuil, elle s’assit, le visage toujours aussi proche de celui du jeune homme.
- Jean m’a dit que tu venais d’une famille de croyants…
Fadi, encore une fois, ne répondit rien, il ne saisissait même pas le courage auquel elle faisait allusion.
Sans doute guettait-elle une réponse de sa part. Mais le jeune homme n’en fit rien. Chaque fois qu’un interlocuteur le mettait mal à l’aise, il avait pris le parti de se taire, considérant que c’était un moyen comme un autre de ne pas tendre le bâton pour se faire battre. Mais cette fille l’attirait. Sa défiance naturelle se muait en curiosité. Elle appartenait à cette catégorie d’humains à qui l’on brûlait d’envie d’exposer son âme et avouer ses secrets les plus enfouis. Ce n’était pas une affaire de confiance, c’était autre chose, cela se jouait dans une autre dimension peut-être animale. Fadi éprouva, à sa grande surprise, le besoin de se livrer.
Il parvint à lui sourire. Une sorte de grimace timide et forcée. Il la regardait avec moins de précaution à présent. La taille fine, le nez droit et les yeux sombres. Les plis contractés de son visage s’accordaient parfaitement à la sauvagerie de son apparence. Elle semblait baigner dans un halo de chaleur. Fadi y aurait presque approché les mains pour les réchauffer. Cette pensée le fit sourire à nouveau, cette fois ci spontanément.
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