Le roman inédit de l’été : Derrière le mur (29)
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Cet été, Boulevard Voltaire vous propose une fiction inédite, jamais publiée auparavant. Embarquez avec Fadi, Sybille, Jean et Tarek dans un pays qui n’existe plus.
Fadi voulut hurler mais aucun son ne sortit de sa bouche. Son sang se glaça. Immobile, les yeux écarquillés par la révolte, il vit les assassins tirer et Arbini s’effondrer. Choqué, il se laissa entraîner par Sybille à travers la rue. Ils couraient au milieu des premiers badauds paniqués et des riverains aux fenêtres, réveillés en sursaut. Ils couraient sans se parler, Fadi sentait la panique monter en lui. Que s’était-il passé ? Car Arbini ne pouvait pas être mort, c’était impossible.
Avisant une impasse, ils s’y arrêtèrent. Sybille tentait de reprendre son souffle. Fadi la regardait, un doute l’envahissait :
- Tu savais ?
Elle gardait un calme effrayant.
- Je savais quoi ? C’est quoi, ta question ? Je ne sais qu’une seule chose, nous sommes en guerre. Bienvenue dans la réalité, Fadi. Bienvenue dans le vrai monde.
- Il était innocent ! Fadi hurlait. C’était un homme bon ! En quoi était-il un ennemi au point d’être abattu dans la rue comme un animal ? À quel moment avez-vous considéré qu’il était dangereux pour vous ?
Sybille restait étonnamment calme. Elle s’approcha de lui et lui caressa la joue.
- Cet homme bon faisait pression sur les autorités pour nous massacrer, répliqua-t-elle froidement. C’est ça, la réalité. Mais non, j’ignorais qu’une décision avait été prise à son sujet. Je te le jure.
- Cela aurait changé quelque chose ? Si tu l’avais su, qu’aurais-tu fait ?
- Je me serai portée volontaire pour le tuer moi-même. Parce que cela aurait été lui ou nous. Nous tous. Je te l’ai dit tout à l’heure. Il te faudra choisir un jour.
Le rêve aurait été bref. Que faire ? La pensée que d’autres victimes étaient à craindre le taraudait. Il imaginait Tarek abattu par derrière agonisant dans son sang. Priant pour qu’il ne fasse pas partie des morts, il essaya de prendre de la hauteur. Il n’avait plus vraiment le choix. Il ne pouvait pas l’abandonner ici au risque de le regretter toute sa vie :
- Tu dois toujours aller chez Jean ?
- Oui, il faut que je le fasse sortir d’ici. J’ai peur pour lui. Ils risquent de tout verrouiller.
- Je t’accompagne. Je vous aiderai à vous échapper. Après…
Elle lui prit la main et sourit tristement
- Après n’arrivera sans doute jamais, alors… Merci Fadi.
Ils partirent ensemble. Mais c’était trop tard. Il y avait des barrages partout et les passants devaient montrer patte blanche. Même les femmes devaient soulever leur voile.
Fadi jura.
- Tu ne peux plus passer, il faut te cacher.
- Je n’abandonnerai pas Jean là-bas !
Il la prit par les épaules :
- Je m’en occupe. Je trouverai un moyen pour l’évacuer mais d’abord, il faut te cacher, toi. Il ne me pardonnera pas de t’avoir laissée tomber ; moi non plus, d’ailleurs.
Il fallait faire vite, ils pouvaient se faire interpeller d’un instant à l’autre. Faisant demi-tour, il fit le tour de l’école. Espérant vaguement l’abriter dans l’une des salles de classes ou dans le sous-sol, il pria pour que la porte de service fût ouverte. Il tourna la poignée et jura à nouveau. Fermée. Alors qu’ils rebroussaient chemin, ils faillirent se cogner contre un passant. Foutus, pensa-t-il. Il leva les yeux, c’était le concierge.
- Que fais-tu ici, professeur ?
Il n’avait pas baissé les yeux en lui adressant la parole. À croire que le chaos s’était généralisé jusqu’ici.
Fadi le regarda, il n’avait qu’une poignée de secondes pour se décider. Il lui attrapa le bras. « J’ai besoin d’aide, vous pouvez m’aider ? » Le gardien était interloqué, on l’avait vouvoyé. Ses yeux fuyants se rétrécirent.
- Qu’entendez-vous par là ?
- Il faut cacher cette jeune fille, elle est des vôtres et il vaut mieux que les soldats ne tombent pas dessus.
Il restait silencieux. Lui-aussi semblait être en proie à une intense réflexion. Son regard allait de Fadi à Sybille à une vitesse étonnante.
- S’il vous plaît ! S’ils la trouvent, ils la tueront.
- Vos amis ? Si elle est chrétienne, c’est certain. Je ne peux la cacher chez moi, ils ne vont pas tarder à venir m’arrêter aussi. Il se frappa le front. Venez avec moi.
Il ouvrit la porte et les conduisit au sous-sol.
Ouvrant la porte d’une cave, il les conduisit à l’intérieur.
- Attendez-moi ici, je reviens. Il les quitta.
Dans cette obscurité, seule leur respiration saccadée se faisait entendre.
- Merci, murmura Sybille à Fadi.
- Attends d’être en sécurité avant de me remercier.
- Non, je veux dire : merci de m’avoir aidée. Tu aurais eu le droit de partir. Mes amis ont tué les tiens, ce matin.
- Les tiens, les miens… Ces notions ne me parlent plus beaucoup, en ce moment.
- Je sais. Elle lui prit la main. J’ignore si nous nous reverrons. J’ignore ce qu’il se passera. Mais sache que tu es un homme bien Fadi.
Avant qu’il ne puisse répondre, le concierge était revenu avec un escabeau. Il monta et déplaça une lame du faux plafond. Montez, dit-il, personne ne songera à venir vous chercher.
- Attendez. Fadi l’arrêta. Combien de temps ?
- Je l’ignore. S’ils m’emmènent, je ne sais pas quand je reviendrai, si j’ai cette chance. Il regarda la jeune femme. Si je ne reviens pas, attendez deux jours. Je dois y aller, s’ils ne me trouvent pas dans ma loge, je suis mort. Bonne chance.
- Merci de ton aide, frère…
- Ali. Sa voix changea légèrement, se chargeant d’amertume. Enfin, ce matin, j’ai plutôt envie d’utiliser mon vrai prénom. Je m’appelle Thomas. Adieu.
Fadi s’assura que la jeune fille était raisonnablement bien installée. Alors qu’il s’apprêtait à redescendre, elle lui attrapa la nuque. Il se retourna. Ses deux yeux sombres et brillants emplis d’une lueur qu’il n’avait jamais observée auparavant. Il ne réfléchit pas et l’embrassa. Cela dura une poignée de secondes. Tendant les mains, il lui prit le visage.
- Je reviendrai, je te le jure !
Sortant l’escabeau dans une pièce adjacente, il partit. Une fois dehors, il essaya de rejoindre Jean. Il repensait au concierge. Lui qu’il avait méprisé et humilié avec les autres, le voilà qui venait de lui donner une leçon de courage. Simple et magnifique à la fois. Curieux bonhomme à la fois soumis et courageux. Courbé et droit. Avec quelle placidité il avait envisagé son arrestation. Un pauvre type ? Pas davantage que lui, en définitive.
Avec mille précautions, il s’en alla. Tout en se creusant la cervelle pour imaginer un moyen d’évacuer Jean et Sybille au plus vite.
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