Le temps du mépris

De tous côtés, des marques de mépris : tombées du plus haut de l’État, sans même rappeler "ceux qui ne sont rien", dignes successeurs des "sans-dents", affichées naguère sur le mur des cons, rabâchées par les journalistes et, de manière générale, par les intellectuels et innombrables bonnes consciences du show-biz – comme on dit dans ce sabir qui se répand, franglais, globish, auquel peu échappent, même les éditorialistes des sites réputés mal-pensants.

Plus sérieux et plus grave : le mépris revendiqué comme résistance à « l’infâme », à la manière du Monde annonçant "Jean-Marie Le Pen va sortir le premier tome de ses mémoires". Reste à savoir s'ils trouveront des lecteurs, car "les électeurs du FN ne sont pas réputés être de gros lecteurs. Il y a un décalage entre électorat et lectorat…". Le démenti est arrivé très vite, mais ils pensent sans doute, au Monde, que les bas-du-front, fans de Jean-Marie Le Pen, n’achètent que pour décorer leur table de salon : il va de soi qu’ils n’ont pas de bibliothèque.

Et le pire : le mépris comme forme de gouvernement. Quand le chef de l’État envoie balader les journalistes qui ont fait son élection, ne récompensant que les plus soumis, c’est une véritable jouissance pour le spectateur de voir snobée cette engeance si imbue d’elle-même. Mais qu’il méprise ouvriers et retraités, petits et sans-grade, aussi bien dans la façon dont il les traite que dans la façon dont il leur parle, c’est insupportable. Retour sur la hausse de la CSG : interpellé par des retraités, le Président se fait pédagogue. À Châlons-en-Champagne d’abord, et tout récemment à Tours : constatant "Je sais que ça râle", il détaille la solidarité intergénérationnelle, l’espérance de vie, la patience nécessaire pour voir le fruit des sacrifices, les transferts qui équilibrent la balance… Pour conclure, en souriant (ironiquement ?) : "C’est ça, la France, vive la France !" J’apprécie particulièrement le « ça » répété. Et « ça » me rappelle la brillante blague sur les Comoriens : "Mais le kwassa-kwassa pêche peu, il amène du Comorien, c’est différent." Il aime le neutre, cet homme - une forme bien établie de mépris, en français. 

Si nous étions quelque chose au lieu de rien, nous comprendrions : les retraités ne sont pas si maltraités qu’ils le croient, ils disent aider enfants et petits-enfants, mais l’État sait beaucoup mieux qu’eux qui doit être aidé. Et la famille, c’est dépassé et surfait. Ils verront plus tard les bienfaits de ces réformes, patience patience… dans leurs EHPAD à l’abandon. À moins qu’ils ne bénéficient des progrès de l’euthanasie : c’est alors de l’au-delà qu’ils contempleront ces fruits de leur sacrifice et ils comprendront enfin, et ils se réjouiront d’avoir voté, pour la majorité d’entre eux, en faveur de ce Président si séduisant, si intelligent, si inventif.

Parlerons-nous de l’abandon de la France périphérique, de l’indifférence à la détresse, à la misère, au désespoir des paysans ? Des campagnes sacrifiées au profit des banlieues (ZEP) ? Une enquête du Point, le 1er mars, titrait : "Éducation : Blanquer déshabille-t-il Paul pour habiller Jacques ?" Comprendre : "déshabille-t-il Jacques (nom traditionnel des paysans) pour habiller Ahmed » ?

Qui, déjà, disait "Le fascisme, c’est le mépris. Inversement, toute forme de mépris, si elle intervient en politique, prépare ou instaure le fascisme" ? Même s’il est bon d’éviter tous ces mots trop typés qui amènent vite au point Godwin, ici, eu égard à l’auteur (Camus) et à la date (1951), acceptons l’expression. Nous avons déjà le mépris, la suite se profile.

Olga Le Roux
Olga Le Roux
Professeur

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