[Une prof en France] L’Éducation nationale : princesse ou marâtre ?

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Socrate préconisait, avant toute discussion, que l'on se mît d'accord sur le sens des termes employés. Ce serait une mesure de saine prudence quand on parle de l'école, et plus précisément de l'Éducation nationale. D'un côté, il y a les constats que tout le monde fait, avec plus ou moins d'amertume. Mais de l'autre, il y a une vision fantasmée qui vient prendre la place du réel dès lors qu'il est question du rôle que l'école doit jouer dans la société, que ce soit par sa fonction politique - au sens noble du terme - ou par la place qu'elle tient dans la formation intellectuelle des jeunes.

En effet, change-t-on de plan, aussitôt le miracle opère : l'école devient cette entité sublime qui peut seule apporter la lumière aux esprits enténébrés des enfants, canaliser la violence, transmettre les valeurs et faire advenir la vérité. C'est la magie de Noël à longueur de débats : Cendrillon-Éducation nationale devient princesse dès que l'on passe dans l'abstrait. Mais dans le conte, la nature profonde de Cendrillon ne change pas : son cœur était noble sous ses haillons et la fée se contente de conférer à son apparence le rayonnement de sa beauté intérieure.

Il en va autrement de l'Éducation nationale : la structure même n'est pas foncièrement vertueuse et a toujours été le lieu de nombreuses déviances. Si l'on peut considérer qu'ont œuvré en son sein d'innombrables hommes et femmes de grande valeur et de belle droiture, qui ont pu être des rencontres essentielles sur le chemin de vie de certains enfants, il n'en reste pas moins que l'on ne peut pas faire abstraction des vices profonds, constitutifs, indépassables qui gangrènent la structure même. Le ver est dans le fruit et le dévouement de milliers d'enseignants vertueux, au fil de son siècle et demi d'existence, n'a fait que retarder leur révélation.

Avec le terme « Éducation nationale », on ne vend que du rêve, depuis des décennies, et la communication ministérielle entretient cette illusion avec la complicité active de la population qui voudrait tant que le rêve fût réel. Alors, pour croire que c'est possible, on cultive la nostalgie d'un passé grimé aux couleurs de cette illusion et chacun s'efforce de ne retenir de son parcours scolaire, « »du temps où l'école fonctionnait », que les bons souvenirs, les professeurs consciencieux, efficaces et bienveillants, les contenus enrichissants. Pourtant, tout le reste existait déjà, dès l'origine : la violence extrême entre élèves, les humiliations subies de la part des camarades mais aussi des adultes, les règles absurdes et arbitraires, les contenus ineptes ou tronqués, les contraintes physiques et psychologiques : rester assis pendant des heures, ne pas bouger, ne pas parler, rester soumis, surtout et avant tout obéir. Si l'éducation nouvelle a tant réfléchi au tout début du XXe siècle à ce que devait être l'école, autour de Maria Montessori, Rudolph Steiner ou Célestin Freinet, c'est bien que dès la généralisation du système, certains ont senti à quel point la structure que l'on mettait en place était questionnable.

Ni mes grands-parents ni mes parents ne reviendraient pour rien au monde sur les bancs de l'école de leur enfance, où pleuvaient les punitions, les heures de colle et les châtiments corporels, quand l'instituteur ou les professeurs n'étaient pas le père de Marcel Pagnol… Leur école à eux ressemblait plutôt à celle de L'Enfant de Vallès. Nous avons tous croisé un professeur exceptionnel qui nous a marqués, mais il y avait aussi les autres, les médiocres, les insignifiants, les méchants qu'on a essayé d'oublier. C'est très long, la scolarité. On confie nos enfants pour un quart de leur vie à une structure dont on n'interroge souvent ni les objectifs réels ni le fonctionnement interne et sur laquelle on accepte, pour des raisons obscures, de n'avoir absolument aucun contrôle.

L'Éducation nationale est entièrement entre les mains de ceux qui nous dirigent. N'y a-t-il pas une grande inconséquence à attendre d'elle qu'elle soit vertueuse, morale et efficace ?

Virginie Fontcalel
Virginie Fontcalel
Professeur de Lettres

Vos commentaires

23 commentaires

    • Ce qui semble proposé, c’est la fin de l’éducation nationale. Elle a eu un début, elle pourrait avoir une fin.

  1. la discrimination positive et l’égalitarisme forcené ont façonné durant un demi siècle plusieurs générations d’enfants devenus adultes n’ont pas eut le libre arbitre de pouvoir se forger une Personnalité . Le manque d’éducation parentale est la condition majeure pour pouvoir s’instruire. Des pans entiers de jeunes auraient pu être de bons techniciens dans plein de métiers sans pour autant avoir un BAC général pour soit disant être reconnu par la société. Mais l’idéologie socialiste en a décidé autrement !!!

  2. Vu mon âge, j’ai fréquenté l école d’avant . J’ai été une élève qui a subi les contraintes . Rester assise , se taire , obéir . J’essayais un maximum d’être studieuse mais malgré moi , parfois , mon esprit s’en allait vers d’autres lieux , d’autres histoires . Cela se faisait dans le secret de mon esprit et le silence de ma bouche . Aujourd’hui la bouche des élèves est sans cesse en mouvement et leur esprit un peu vide . Le contraire quoi . Oui, c’était mieux avant .

    • Beaucoup de jeunes étaient brisés par le système. Il y avait surtout une prime à la discipline. Et non, tous les gens de plus de 60 ans qui vivent en France n’ont pas reçu de l’école une formation irréprochable. Mais certains le croient. On peut former les gens avec d’autres méthodes.

  3. Nous allons bientôt, fermer la boucle et les professeurs, issus eux-mêmes de cette absence de sélection, seront de parfaits incapables
    C’est déjà en route ,certains « professeurs  » de français font des fautes tous les trois mots

    • Oui, c’est en route depuis un moment. Cela fait plus de 15 ans que les mots des institutrices et de certains professeurs sont parsemés de fautes.

  4. L’absence quasi totale de sélection a depuis plus de 50 ans détruit le système
    On veut préserver nos têtes « blondes » de tout traumatisme et ne pas dire la vérité à ceux qui sont incapables de suivre
    Ce qui fait que tout se vaut et que nos ministres mettent leurs enfants à l’abri à  » l’école alsacienne  » qui sélectionne soigneusement….

  5. « rester assis pendant des heures, ne pas bouger, ne pas parler, rester soumis, surtout et avant tout obéir » !! Mais qu’est ce que c’était agréable d’entendre les mouches voler et non comme aujourd’hui les injures quand ce ne sont pas les couteaux de la part des élèves envers les profs ! Oui, je le revendique, avant c’était mieux et tous les anciens se souviennent de l’instruction reçue mais peu des brimades ou punitions. Que cela plaise ou non.

    • Déjà, j’ai plus que des doutes sur cette histoire d’élèves tenus d’être assis pendant des heures ! Celle qui a écrit cela oublie l’existence des récréations. De plus la plupart des instits savaient gérer l’alternance des temps de concentration et les autres.

      • Il y a 4h de cours d’affilée le matin dans le secondaire, de 8h à 12h, avec juste 15 minutes de récréation une seule fois dans la matinée, récréation que les filles passent essentiellement à faire la queue aux toilettes. Alors oui, je crois qu’on peut dire qu’on leur demande de rester assis pendant des heures sans bouger. La plupart des adultes sont incapables de le supporter, cela se voit lors des réunions où tout le monde décroche au bout de 45 minutes … Les cours ne sont pas toujours passionnants…

  6. L’école étant le reflet de la société, on y retrouve tous ses dysfonctionnements, pour employer un mot à la mode. Mais depuis la fin de la deuxième guerre mondiale et la mise en place du plan Langevin Wallon avec son idéologie communiste, l’instruction publique est devenue la rééducation nationale !

  7. Entre la, paraît- il, épouvantable école d’autrefois décrite par le texte et l’actuelle, où il n’est même plus possible de faire cours dans beaucoup de classes à cause des bavardages continuels, il existe un juste milieu. Je pense l’avoir connu à la fin des années 50 et dans les années 60.

  8. Commençons par supprimer le terme ´Éducation’ et remplaçons le par ´ Instruction ´ , ce serait plus correct… les parents éduquent leurs enfants, et les instituteurs les instruisent dans l’apprentissage du Français, de l’ écriture et des mathématiques..

  9. « Il n’est de richesse que d’Homme » disait J Bodain au 16ème siècle . Princesse ou marâtre,reine ou putain , homme de bien ou criminel ou voleur ou inapte au commandement ,il dépend de chacun de nous de préférer le bien pour nous-même d’abord, pour la société ensuite .

  10. Excellent bilan du système scolaire et malgré tous les remaniements rien ne s’arrange , c’est plutôt le contraire qui se passe .Toutefois à l’école d’autrefois on nous apprenait à lire et à compter , l’histoire et la géographie et l’éducation civique . Alors cette école avait certes des défauts mais celle d’aujourd’hui n’est même plus capable d’apprendre à lire à une majorité de petits . Dans ces écoles l’enfant n’a plus de respect pour l’autre , etles matières essentielles ne sont souvent plus acquises , la faute à qui , à quoi .

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