L’embryon et le fœtus : personnes ou personne ?

@Volodymyr Hryshchenko/Unsplash
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Ironie du sort que nous réserve parfois l’actualité : quelques jours, seulement, séparent deux décisions mettant cruellement en lumière le statut juridique de l’enfant à naître et la schizophrénie de notre société.

Jeudi 14 novembre, l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom)  sanctionnait CNews d’une amende de 100.000 euros pour les propos tenus par Aymeric Pourbaix lors de son émission dominicale En quête d’esprit, diffusée le 25 février 2024. Son tort : avoir présenté l’avortement comme « une cause de mortalité », ce qui avait été considéré comme une « inexactitude manifeste » et n’avait « fait l’objet d’aucune contradiction de la part des autres personnes présentes en plateau ». Avec près de 250.000 interruptions volontaires de grossesse en 2023, et un droit tout juste gravé dans le marbre de la Constitution, impossible d'associer l'avortement à une cause de mortalité sans heurter les consciences et traiter de criminels les personnes y ayant recours ou le pratiquant. Notre droit est très clair sur ce point : l’embryon (six à huit semaines qui suivent la fécondation de l’ovule) et le fœtus (produit de la conception à partir de la huitième semaine) sont reconnus comme des personnes humaines mais - subtile nuance - n’ont pas de personnalité juridique et sont considérés comme des « choses ». Voilà pourquoi le droit français ne saurait déclarer coupable d’homicide une personne provoquant volontairement ou involontairement la mort d’un embryon ou d'un fœtus.

Si l’on pourrait argumenter sur le fait qu’Aymeric Pourbaix a présenté, dans son émission religieuse, le point de vue de l’Église pour qui, rappelons-le, « dès le moment de sa conception, la vie de tout être humain doit être absolument respectée » et que « l’avortement est un crime abominable », la chaîne a reconnu une maladresse, a aussitôt « regretté la diffusion » de cette infographie « et présenté ses excuses à toutes les personnes » qu’elle « aurait pu heurter ». Dont acte.

« Quand on perd un fœtus, il n'y a pas de loi »

Mais moins d’une semaine après cette lourde sanction infligée par l’Arcom, et alors que l'on pensait la question de l’enfant à naître réglée en bonne et due forme, elle revient sur le tapis avec cette dramatique affaire Palmade. L’humoriste, en roulant sous stupéfiants, avait causé, en février 2023, un accident provoquant des blessures graves sur trois personnes d’une même famille et causé la mort d’un fœtus. Si le cas d’homicide involontaire n’a pas été retenu lors de sa condamnation pour les raisons précitées, les propos tenus lors de ce procès relèvent d’une tout autre réalité et méritent d'être rapportés.

« Quand on perd un gamin, il n'y a pas de mot. Quand on perd un fœtus, il n'y a pas de loi », a déclaré Me Mourad Battikh, l'avocat des parties civiles, ce 20 novembre. Si Pierre Palmade s’est rangé derrière l’avis de ses avocats, refusant d'être jugé pour homicide volontaire, il a toutefois confié : « Je pense que c'est un souci juridique. J'aurai toujours ce bébé sur la conscience. Parce que pour moi, c'est un bébé. » Ainsi, l'épineuse question de la personnalité juridique du fœtus s'invitait au cœur de ce procès ultra médiatique. La mère de 27 ans a perdu une petite fille à six mois de grossesse, qui était viable et qui est morte à cause de cet accident.

Maitre Battikh a, dès lors, demandé en vain « solennellement » de faire évoluer cette jurisprudence : « Le droit protège mieux les animaux que les enfants à naître, a-t-il plaidé. Les œufs de certains oiseaux sont mieux protégés que les fœtus en France. C’est ahurissant. » Ce ne sont là ni des propos religieux ni des propos maladroits, mais simplement des réflexions de bon sens, achoppant à une loi pleine de contradictions. Le procureur de Melun a reconnu que « c’est une décision complexe » mais que « le débat doit avoir lieu au Parlement, pas au tribunal judiciaire de Melun ».

Complexe, tant l’intérêt du projet parental prévaut, désormais, sur celui du fœtus ou de l’embryon, qui se résume à une succession de « droits » : droits à l’enfant, droits à la conception ou à l’avortement ; et quand il n’y a plus de projet parental, laisse place au projet scientifique et eugéniste. Cette douloureuse et sensible affaire suscitera-t-elle de nouvelles réflexions éthiques autour d’un statut juridique de l’enfant à naître ? La question a le mérite d'être soulevée, « le débat doit avoir lieu au Parlement »...

Cet article a été mis à jour pour la dernière fois le 22/11/2024 à 20:20.

Iris Bridier
Iris Bridier
Journaliste à BV

Vos commentaires

30 commentaires

  1. Là où parfois le droit raisonne de travers est quand il se mêle d’évolution et des lois de la nature. Ces lois , quoiqu’en disent les juristes fussent-elles issus de « hautes cours », seront toujours au dessus des constitutions. Laissons aux philosophes le soin de traiter du problème du fœtus et prions les juristes de se préoccuper de problèmes autrement angoissants pour la vie quotidienne..

  2. Et dire que des soit disant féministes réclameraient le droit à l’avortement jusqu’à la veille de l’accouchement. Apparemment il existerait un projet de loi pour rendre ces actes possibles pour « détresse psychologiques de la mère ». Après la justice, la liberté d’expression, etc., va- t’on sournoisement se diriger aussi vers le droit à la vie à 2 vitesses ?

    • Donc on peut agresser le ventre des femmes enceintes jusqu’a la mort du foétus ?
      Dans tout ce débat idiot, il y a une grande différence: l’IVG c’est la mêre qui décide du sort du foetus qu’elle porte. dans le cas de cet affaire, c’est l’accident provoqué par un tiers mais qui n’en avait pas l’intention .
      Qualifier cet accident en « homicide involontaire » ouvrirait la boite de pandore,

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