Léon Gautier (1922-2023), vieil archange parti beaucoup trop tôt

©Alain Le Pape- Wikimedia Commons
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Trop tôt, vraiment ? 100 ans, c'est pourtant le bel âge. On peut se dire, pour reprendre le jargon des paras, que c'est le bon moment pour tirer la poignée : il n'y a pas grand-chose à regretter. Pourtant, il aurait pu nous dire encore beaucoup de choses et nous montrer encore une fois l'exemple, singulièrement en 2023.

Léon Gautier avait onze ans quand les ligues de droite ont voulu envahir la Chambre des députés, quand dix d'entre eux sont morts sous les coups des policiers et gardes mobiles : à cette époque, il n'y avait pas beaucoup d'adolescents mineurs pour attaquer les forces de l'ordre. Il est mort au moment où d'autres ligues, plus jeunes et plus barbares, mues par des motifs plus terre à terre également, sont en train de révéler à la France la hideur du visage qu'elle s'est fabriqué. On pourra trouver cette correspondance artificielle : on pensera bien ce que l'on voudra. L'ironie du sort, la Providence ou le hasard font pourtant que le dernier des 177 premiers bérets verts français est mort quelques jours après le jeune Nahel, nouveau héros d'une époque qui fabrique des figures tutélaires à sa pitoyable mesure.

Respect de l'adversaire

Léon Gautier était apprenti carrossier, en février 1940. Il s'est engagé dans la Marine parce que c'était la seule des trois armées qui acceptait les engagés de dix-sept ans. Canonnier sur le Courbet, il débarque à Portsmouth à l'été, apprend l'existence de la France libre par hasard, au détour d'une conversation à Liverpool, et la rejoint sans se poser de questions, dès juillet 1940. Après avoir servi en surface et sur sous-marin, dans l'Atlantique et en Méditerranée, il est volontaire pour rejoindre Philippe Kieffer au sein des tout premiers commandos marine français. Il passe alors par le moule impitoyable du centre d'Achnacarry, qui formait aussi bien les opérateurs clandestins que les commandos, britanniques et européens. Les témoignages sur Achnacarry abondent et ont contribué au mythe des bérets verts : des figures aussi différentes que Paul Aussaresses (vous savez, le terrible tortionnaire) et Gwen-Aël Bolloré (vous savez, l'oncle du méchant tycoon fasciste) ont raconté la dureté, l'exigence de cette formation qui les obligeait à aller puiser au fond de leur âme, dans leur amour de la France, pour tenir.

Le 6 juin 1944, Léon Gautier débarque sur la plage de Sword, avec le contingent anglais et, notamment, le commando n° 4. Il combattra sans discontinuer pendant les 78 jours de la bataille de Normandie. Marié, après la guerre, à une Britannique, il reprendra son travail de carrossier dans le monde entier avant de s'établir, la retraite venue, à Ouistreham, d'où il présidait l'amicale des anciens du commando Kieffer. Parce que bon sang ne peut mentir, son petit-fils, lui aussi, portait le prestigieux béret vert, le seul de toute l'armée française qui se porte sur l'oreille droite, à la manière anglaise. On avait vu Léon Gautier en 2014, aux côtés du parachutiste allemand Johannes Börner, lui aussi installé à Ouistreham et devenu son grand ami, clore la célébration des 70 ans du Débarquement : c'est qu'il y a, dans la mise en jeu de sa propre vie, entre combattants de camps opposés mais de motivations similaires, un respect de l'adversaire qu'on ne rencontre que rarement dans les affrontements de supermarché ou les matchs de football. C'est comme ça.

 Le dernier commando français du 6 juin 44

Léon Gautier, grand officier de la Légion d'honneur, membre de l'ordre de l'Empire britannique (MBE), était le dernier des 177 héros originels qui s'élancèrent, le 6 juin 44, avec Philippe Kieffer, à la reconquête de leur patrie. « Nous n'étions pas des héros », disait-il pourtant fréquemment. Avez-vous remarqué que les héros disent toujours ça ? Ils ne parlent que de choses très humaines : de la peur de mourir, de l'appréhension de sauter, de la douleur des blessures, du fait d'y aller avec les copains, de faire ce qu'il y a à faire, parce que c'est le boulot et qu'il faut bien que quelqu'un le fasse. Au contraire, ce sont les pleutres qui, comme les sépulcres blanchis de l'Évangile, repeignent leurs petites vies et leurs grandes lâchetés avec des couleurs rhétoriques éclatantes (mais le Bon Dieu ne s'y trompera pas, les gars, désolé). On ne citera pas leurs noms par charité, car les déclarations martiales de « grande fermeté » venant de lâches abondent tellement, ces jours-ci, qu'on y perdrait trop de temps.

Pendant que les journaux font leurs manchettes sur les milliers de sauvages que ni leurs parents ni « la République » n'ont réussi à extraire du bas de la pyramide de Maslow, il reste, en 2023, des soldats de la trempe de Léon Gautier. On ne les honore que brièvement, quand ils meurent, de vieillesse ou pour la France, et on passe à autre chose. C'est que l'héroïsme dérange, il est « cringe », comme on dit aujourd'hui (malaisant, NDLR). On ne sait pas comment s'en accommoder : de tels comportements sont tellement aux antipodes des priorités contemporaines qu'on préfère les évacuer, comme on balance aux encombrants un tableau de maître qui n'a pas sa place dans un pavillon.

Pour parodier un tweet stupide qui a beaucoup circulé, « Aujourd'hui, j'ai mal à ma France. Honneur et gloire à Léon Gautier, vieil archange parti beaucoup trop tôt. Que saint Michel l'accueille sous son aile. »

Arnaud Florac
Arnaud Florac
Chroniqueur à BV

Vos commentaires

5 commentaires

  1. Il faudrait qu’il enterré au Panthéon pour honorer tous ceux qui on débarqué avec lui le 6 juin 1944

  2. Des héros prêts à payer de leur vie pour sauver ce pays , merci à eux . Et maintenant comment peut on qualifier ceux qui s’acharnent à le détruire , à renier notre histoire : lâche est trop faible pour les qualifier …..

  3. Dorian aussi a mis sa vie dans la balance mais le fléau en a décidé autrement. Un salut plein de respect à tous les deux

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