Les 50 ans du Bloody Sunday : quels enseignements pour la France ?

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Cinquante ans, déjà. Le dimanche 30 janvier 1972, dans un contexte de lutte pour l'égalité des droits en Irlande du Nord, une marche de protestation pacifique avait lieu, à Derry, contre la politique d'internement du gouvernement britannique. À la nuit tombante, 15.000 manifestants se heurtèrent aux soldats du Parachute Regiment qui ouvrirent le feu sur la foule, faisant 14 morts et 17 blessés. En réaction immédiate, les jeunes du Bogside, territoire catholique minoritaire, rejoignirent en masse les rangs de l'IRA, jusque-là très faible en Ulster.

Il faudra finalement attendre le vendredi de Pâques 1998 pour que soit signé le fameux accord de paix, dit « accord du Vendredi saint », entre les différentes communautés d'Irlande du Nord : chacune voyait sa légitimité reconnue, son existence protégée et son droit à participer à la gestion des affaires publiques institutionnalisé. Par ailleurs, si, un jour, une nouvelle majorité se déclarait favorable à l'unification du pays, celle-ci serait rendue possible.

Alors que les conséquences du Brexit semblent à nouveau menacer la paix civile en Ulster, penchons-nous un peu sur les causes historiques d'une telle tension dans le nord du pays et voyons quels enseignements en tirer pour la France.

Le débarquement d'Henri II en Irlande, le 17 octobre 1171, et la soumission des roitelets qui se partageaient jusque-là le territoire, sont évidemment le point de départ des conflits. Par le traité de Windsor, en 1175, le haut-roi d'Irlande Rory O'Connor reconnaissait la suzeraineté des Plantagenêts sur toute l'île. En 1557, sous Marie Tudor, les districts de Leix et d'Offaly furent envahis, confisqués et « plantés » de colons anglais qui désiraient s'octroyer des terres. Un projet que poursuivit Élisabeth Ire. C’est en Ulster, surtout, que se concentra la politique de « plantation » ; il s'agissait d'Anglais du Yorkshire et, surtout, d'Écossais des Basses Terres, de confession presbytérienne, indépendante, baptiste, quaker et bientôt méthodiste (à partir du XVIIIe siècle). Ces dissenters, ou « non-conformistes », persécutés jadis par les anglicans, introduisirent une paysannerie, un prolétariat et une bourgeoisie. Vers 1650, ils étaient plus de 100.000 colons. En une génération, nous dit Pierre Joannon dans son Histoire de l'Irlande, les comtés d'Antrim et de Down étaient radicalement transformés.

Contrairement au sud du pays, le nord connut un bond économique sans précédent avec l'industrie du lin et les premiers chantiers navals de Belfast, apparus dès 1791 ; on parla alors du « Glasgow irlandais ».

La même année fut fondée la Société des Irlandais unis de Belfast afin de promouvoir une fraternité interconfessionnelle en vue d'obtenir une complète réforme de la législature et de s'affranchir, à terme, des Anglais. Si les presbytériens d'Ulster s'étaient un temps sentis proches des catholiques, le fossé entre les deux communautés du nord allait se creuser tout au long du XIXe siècle. D'après Joannon, « l'aversion religieuse, l'intérêt économique, le privilège politique et l'extrême concurrence sur le marché du travail s'alliaient pour briser l'union qui s'était forgée ». En Irlande du Nord, les catholiques, mis en minorité, se concentrèrent alors spontanément dans les trois comtés occidentaux de Londonderry, Tyrone et Fermanagh. Les tensions à venir étaient inévitables ; et le pays, aujourd'hui, n'en est pas tout à fait sorti.

La leçon à tirer de tout cela est que la politique de « plantation » d'un peuple exogène, fédéré autour d'une religion, sur un territoire donné, à plus ou moins long terme, peut constituer un ferment de guerre civile ; l'Irlande en est le parfait exemple. Alors, quid des banlieues françaises dans un siècle ? Les populations d'origine restées sur place auront-elles à subir un Bloody Sunday de la part de la nouvelle majorité ?

Pierre Marcellesi
Pierre Marcellesi
Chroniqueur cinéma à BV, diplômé de l'Ecole supérieure de réalisation audiovisuelle (ESRA) et maîtrise de cinéma à l'Université de Paris Nanterre

Vos commentaires

23 commentaires

  1. Les guerres de religion sur le territoire britannique ne se sont pas limitées à l’Ulster, loin de là. L’immigration de peuplement vers l’Amérique du nord plus vaste a résolu pas mal de problèmes de cohabitation forcée. Les communautés séparées se sont reconstituées là bas. Le Québec n’est il pas un exemple où Irlandais & Écossais se sont imposés en territoire français?

  2. L’Irlande c’est l’opposition du catholicisme et du protestantisme et vous touchez là au «  Mal Français ». livre célèbre de Peyrefitte Pour lutter contre une religion il faut impérativement lui en opposer une autre plus attrayante on ne lutte pas avec des armes qui en font des martyrs . Les protestants sont partis enrichir le Nord comme ils ont créé un clivage en Irlande en laissant la pauvretè s’installer chez les trop prolifiques catholiques.. relisez Le Mal Français .

  3. Je cherche désespérément un pays comptant une proportion de musulmans, disons entre 10 et 12 %, où la population vit en harmonie et dans la paix. Quelqu’un pourrait-il m’aider ? Merci.

  4. Ces éléments tragiques en Irlande ont prouvés à quel point il est difficile de faire « vivre » des communautés différentes en harmonie. Et la situation se complique lorsqu’une communauté se revendique d’une religion politique, une religion qui impose ses règles de vie comme c’est le cas de l’Islam. L’ancien roi du Maroc disait qu’un bon musulman qui vit sa religion ne peut pas vivre dans un pays comme la France car c’est la religion musulmane qui impose la loi, et non pas la loi du pays d’accueil.

  5. Il faut relativiser la comparaison, le catholicisme et le protestantisme avaient une même origine, et une même culture, l’islam vient d’ailleurs et il essaie de conquérir l’occident depuis treize siècles, il a échoué de manière militaire, il est en train de réussir avec l’immigration , et nous aidons nos envahisseurs à nous occuper, et, c’est une question de nombre, il vont finir par nous soumettre.

    • Il reste un espoir : des centaines de milliers de musulmans apostasient tous les ans, et les jeunes qui voient sur internet que l’on peut vivre autrement qu’avec la mentalité du VIIe siècle se rebellent.

      • La France est le pays de l’UE qui a le plus de musulmans dans sa population, ils ont un taux de natalité important, et l’immigration non contrôlée en importe des milliers.
        Le grand remplacement, la grande substitution, et nos gouvernements nient et regardent ailleurs.
        Les musulmans insatisfaits de leur condition en Occident se tournent vers l’islamisme, même ceux qui ont fait des études.

      • Je ne dis pas le contraire hélas… Mais beaucoup de jeunes descendants d’immigrés apostasient et veulent vivre à la française. Je crois que la seule solution est la réaffirmation des lois laïques et républicaines, ceux qui ne sont pas d’accord devraient retourner dans leurs pays d’origine.

  6. L’Irlande n’est pas le seule vérification de la règle de la non miscibilité des identités et cultures nationales, et des religions hétérogènes. Actuellement : Bosnie, Palestine, Timor, Érythrée, Soudan, Darfour, Kurdistan, Tibet, Turkestan oriental, Papouasie, Fidji, Myanmar, Mali (Azawad), Algérie (Kabylie). Comme ce fut le cas, quand elles étaient occupées au XIX siècle et XXe siècles de : Grèce, Italie, Pologne, Chypre, Arabie, Syrie, Tchécoslovaquie, Roumanie, Bulgarie, Serbie, etc…

  7. « En une génération, nous dit Pierre Joannon dans son Histoire de l’Irlande, les comtés d’Antrim et de Down étaient radicalement transformés. »
    Voila ce qui nous attend et récemment, Roubaix, mais pas que, en est une illustration grandeur nature.

  8. Bien dit sauf la fin « nouvelle majorité » il n’y a pas qu’elle qui est dans cet état d’esprit, c’est aussi toute cette nouvelle féminisation de la société dont on n’ose plus parler qui en est largement responsable. La grande majorité de la population n’accepte plus aucune critique surtout lorsqu’il s’agit du travail qu’il soit bien ou mal fait. Et quoi que l’on pense, le télé travail n’arrange pas les choses en plaçant toute une générations d’hommes mâles hors de la vie travail et responsabilité

  9. Que de victimes suite à d abjectes mensonges. Les mêmes mensonges envers l Irak, la Libye, la Serbie puis la Syrie, et à présent contre la Russie. Qu on envoi donc BHL torse au vent, macron en chars gay pride et Biden en déambulateur régler eux mêmes les problèmes qu ils ont créé au lieu d envoyer la chair à canon, pour ensuite se partager le butin sur les cadavres encore chauds.

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