Les contes antiques décryptés et… réécrits : il était une fois le wokisme !

© CC0 Paris Musées : Musée Carnavalet – Histoire de Paris
© CC0 Paris Musées : Musée Carnavalet – Histoire de Paris

Nous voilà dans le temps des jours qui raccourcissent et des nuits prolongées par la brume. Temps propice aux légendes, quand elles ne sont pas défigurées par la grande foire macabre et commerciale d’Halloween ou par le wokisme qui, non content de censurer la littérature, s’en prend aussi au patrimoine immémorial des contes.

La sorcière, hantise masculine ?

Après le prince de La Belle au bois dormant dépeint comme « prédateur sexuel », voici la sorcière comme révélateur de nos terreurs systémiques masculinistes. La sorcière est vieille, laide, malintentionnée et a des pouvoirs terrifiants. Elle reflète donc « les craintes culturelles concernant le vieillissement et le pouvoir des femmes », écrit Johnna Rizzo, ancienne rédactrice du magazine National Geographic et rédactrice en chef de National Geographic Books. Étrange société patriarcale dans laquelle les femmes ont un pouvoir que les hommes redoutent !

Non contents de refléter nos angoisses, les contes les entretiendraient. Johnna Rizzo s’abrite derrière l’autorité de Margot Adler, prêtresse-sorcière du mouvement Wicca, une religion néo-païenne considérée comme « luciférienne » par la Miviludes et dont certains ingrédients nourrissent l’actuel courant du « féminin sacré ». Balayés, les Carl Jung, les Sigmund Freud, les James George Frazer, les Robert Graves, les Mircea Eliade et tous les auteurs qui se penchèrent avec science et prudence sur les antiques histoires de l’humanité.

D’autant que réduire la sorcière à celles de Blanche-Neige et du Magicien d’Oz est source d’erreur. Si Hécate est une vieille en rapport avec la lune noire, Médée est une jeune femme dont le nom se rapporte à la pensée et à la médecine. En Europe, la sorcière est liée à la connaissance des plantes : comme Circé, comme la mère d’Iseult, et Iseult elle-même, etc. Ces magiciennes forment un ensemble susceptible d’interprétations diverses. Parmi celles-ci, la lecture wokiste ne convainc pas car les contes se prêtent peu à une exégèse univoque et radicale !

Barbe bleue devient Barbe belle

Non content d’analyser les contes sous l’angle woke, on les réécrit. La journaliste Hélène Combis, de France Culture, publie Barbe belle et autres contes pour toutes et tous (hélium). Un livre « pour parents et enfants aspirant à un monde meilleur, à une société plus ouverte, égalitaire, dit l’éditeur. Voici, par exemple, Barbe belle, qui ne cache pas les corps de ses défuntes épouses, mais bien les portraits des hommes dont il est jadis tombé amoureux. » On voit le genre. Si, en effet, le Barbe bleue d'origine est « un tueur en série », la morale de l’histoire, selon Mme Combis, « est de dire aux femmes ne soyez pas trop curieuses ». Cela paraît un contresens — contactée, Hélène Combis n’a pas donné suite à nos sollicitations —, une des leçons de l’histoire de Perrault étant que Mme Barbe bleue sauve sa vie grâce à sa curiosité et que, par là même, son féminicide de mari trouve la mort.

Le bon sens de Lynette Scavo

Dans la version du Petit Chaperon rouge que donne Hélène Combis, le loup n’est plus méchant. Idée dont se moquait déjà la série Desperate Housewives (saison 1, épisode 6, 2004), avec Lynette qui bataillait pour préserver la vraie histoire lors d’un spectacle scolaire. On connaissait la dimension transgressive des contes, non totalement soumis à la morale. Voilà que les wokistes n’y voient plus que de la morale et entendent les réécrire selon la leur propre. La démarche paraît un contresens, et des plus régressifs.

Il y a eu, notait Nicolas Bonnet, de l’université de Bourgogne, « la relecture nazie des contes du folklore germanique » puis « à partir des années soixante, on incline à lire les récits de la tradition comme l'expression d'un ordre patriarcal fossilisé qu'il faut subvertir ». Le wokisme n’ajoute que la violence au procédé. « On constate toutefois, établissait l’universitaire, le relatif échec de ces différentes entreprises, dans la mesure où le conte, par son "ouverture" constitutive, résiste à toute tentative d'appropriation idéologique. » Le wokisme passera, les contes resteront.

Samuel Martin
Samuel Martin
Journaliste

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