Les délices du sultan et le divan d’Ursula

ursual erdogan

Jamais l’expression consistant à « avoir le cul entre deux chaises » – ou entre fauteuil et divan, en l’occurrence – n’aura été aussi pertinente avec la visite d’Ursula von der Leyen et Charles Michel à Ankara. La première est présidente de la Commission européenne et le second président du Conseil européen. Comme quoi les subtilités byzantines ne sont pas le seul apanage de la nouvelle Constantinople.

La suite est connue. Pendant que ça causait entre hommes, Recep et Charles, Ursula tenait la chandelle, un quart de fesse posée sur un tiers de canapé, avec juste Mevlüt Çavuşoğlu, ministre des Affaires étrangères, pour lui faire la causette. Pauvre Cosette… Il paraît que c’était une question de protocole. Ainsi, se défendant de toute forme de « sexisme », le gouvernement turc affirme : « Les demandes de l’UE ont été respectées. Cela veut dire que la disposition des sièges a été réalisée à leur demande. »

Ce qui, l’on s’en doute, n’est pas tout à fait l’avis de Charles Michel : « En dépit d’une volonté manifeste de bien faire, l’interprétation stricte par les services turcs des règles protocolaires a produit une situation désolante ; le traitement différencié, voire diminué, de la présidente de la Commission européenne. » Bref, tout le monde avait raison d’avoir tort, ou le contraire, et tout cela ne relève que du fâcheux malentendu. « J’avais dit à gauche, Pignon… », pour paraphraser un autre dîner de cons - celui de Francis Weber.

Seulement voilà, Ursula von der Leyen ne semble pas avoir digéré le dîner en question. Et de signifier, à en croire Le Figaro du 13 avril, à son convive d’un soir : « Je ne permettrai jamais qu’une telle situation se reproduise. » Toujours selon les même sources, Charles Michel, avouerait ne « pas bien dormir la nuit » depuis cet incident diplomatique. Cet homme est très sensible, on ne le rappellera jamais assez.

Tout cela est évidemment charmant. Mais ne saurait dissimuler l’affrontement interne, au sein des instances européennes, entre Ursula von der Leyen et Charles Michel, entre Commission et Conseil européens, sachant qu’un diplomate, toujours cité par Le Figaro reconnaît : « Qu’il y ait des tensions naturelles entre deux pôles institutionnels, c’est normal. […] Mais là, il y a quelque chose qui ne fonctionne pas. » Sans blague ? Surtout quand on sait qu’en coulisses, Emmanuel Macron pousse Michel contre Ursula au profit de Marianne ; la France, CQFD…

Au-delà de ces finasseries plénipotentiaires, susceptibilités d’organigrammes et autres affrontements feutrés entre Européens, c’est Gérard Araud, ancien ambassadeur à Washington et, depuis, brillamment reconverti dans le journalisme, qui débrouille l’embrouillamini : « Ça n’a rien à voir avec une affaire de sexisme. Ça illustre en revanche la complexité de l’Union européenne : personne ne comprend bien qui est qui. »

En revanche, le président Erdoğan sait fort bien qui il est et ce qu’il incarne : une sorte de néo-sultan ottoman. Soit un Vladimir Poutine à la sauce turque ; un homme qui sait où il va, ce qu’il veut et comment l’obtenir. Et ça entre comme dans du beurre. Le dernier tango à Ankara ? Pendant ce temps, les instances européennes naviguent à vue, tel un canard sans tête, s’appuyant sur des concepts aussi flous que « bonne gouvernance », « concurrence libre et non faussée » et autres « droits de l’homme » érigés en bréviaire politique, sans oublier un « mariage homosexuel » tenu pour acmé de société.

En ce sens, la Turquie défend son propre modèle civilisationnel et nous ne saurions lui en tenir grief. Mais quel compliment retourner à ceux qui font mine de nous gouverner ? À part les féliciter de se trouver relégués, l’une l’arrière-train sur le divan et l’autre le cul sur la commode, on ne voit pas.

Nicolas Gauthier
Nicolas Gauthier
Journaliste à BV, écrivain

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