Les enjeux des commémorations du 6 juin 1944

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Quel regard pose l’historien sur ces commémorations et ces enjeux mémoriels ?

La relation, intéressante pour l’historien, est bien celle de la mémoire et de l’histoire dans le contexte de ces commémorations. Celles du 6 juin 1944 en fournissent un exemple en quatre temps : 1964, 1994, 2004, 2014. C’est le contexte qui fait la commémoration.

Quelles sont les spécificités de chacune des grandes commémorations du 6 juin 1944 ?

1964, c’est une commémoration superbement ignorée par le général de Gaulle pour lequel compte, en fait, l’anniversaire du débarquement du 15 août 1944 en Provence. La question centrale, pour de Gaulle, n’est pas celle du 6 juin 1944 mais demeure celle de l’unité des Français, avant, pendant et au lendemain du Débarquement.
1994 se passe cinq ans après la chute du mur de Berlin et la fin de la guerre froide, quatre ans après la réunification allemande. Elle prend une tonalité à la fois militaire, interalliée et franco-allemande.
En 2004, l’arrière-plan n’est plus le même. La guerre qui fait rage en Irak, un an après le discours de Dominique de Villepin au Conseil de sécurité de l’ONU, les incertitudes européennes marquées par les distances franco-allemandes et le centenaire de l’Entente cordiale, la présence de l’Afrique en Normandie ne facilitent guère une lecture de la commémoration du soixantième anniversaire du Débarquement.
Pour le soixante-dixième anniversaire, il s’agit d’un anniversaire d’initiative locale avec l’accent mis sur les 20.000 victimes civiles du débarquement et de ses suites. C’est aussi un anniversaire de témoignages des acteurs de cette geste militaire. Ce sont les regards croisés des Français et des autres sur notre propre histoire, auxquels il faudra bien que nous consentions quelque jour plus fortement.
En 2019, la commémoration prend place dans un contexte interallié difficile, avec des Américains circonspects vis-à-vis de l’Alliance atlantique et des efforts respectifs auxquels consentent les uns et les autres, l’Angleterre qui promeut le Brexit, des Russes puissants et plus présents que s’ils étaient aux côtés des Alliés, tandis qu’ils réécrivent l’Histoire, et pas seulement la leur. À un moment où se pose la question d’une forme d’unité française au plan intérieur, aussi.

Un hommage sera rendu au commando Kieffer. Est-ce une manière de montrer le respect que nous devons aux commandos marines qui ont perdu, dernièrement, deux de leurs hommes ?

C’est dans ce double contexte que l’hommage aux fusiliers marins du commando Kieffer, ces 177 Français du Jour J, et la lecture de la lettre de ce jeune résistant, au moment où il donne sa vie pour sa patrie, sont symboliques. La volonté du président de la République, en associant ainsi les Français libres et la Résistance, ces « hommes partis de rien » qu’évoquait René Cassin et ces « soutiers de la gloire » que décrivait Pierre Brossolette, ces Français de Normandie et d’ailleurs qui ont souffert et qui ont été libérés, demeure celle de la recherche de l’unité française, inscrite dans l’Histoire, confirmée dans les lendemains du Débarquement, affirmée comme plus nécessaire que jamais aujourd’hui.

Tristan Lecoq
Tristan Lecoq
Inspecteur général de l’Éducation nationale. Professeur des Universités associé (histoire militaire et maritime contemporaine). Sorbonne Université.

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