Les incroyables faiblesses du débat économique

dégradation économie

Le développement économique de la France n’a pas attendu l’invasion de l’Ukraine pour disparaître du discours public. Les Français sont privés du débat ! En cause, l’absence de connaissances et de perspectives justes des élites politiques qui devraient y participer.

Les élites ne sont pas prêtes à aborder les questions économiques. Il y a longtemps que les hautes sphères de l’administration et de la politique sont vides de compétences et même de vraies connaissances à ce sujet. Nous ne trouvons nulle part d’économistes d’envergure participant aux stratégies économiques du pays, ni directement ni sous la forme d’influence. Les ministres des Finances sortent tous des mêmes écoles de science politique ou des mêmes circuits financiers, sans vraie connaissance de la macroéconomie. Dès qu’en 2008 survient la crise économique ou en 2020, le langage utilisé par les gouvernants est celui d’un « prêt-à-porter » keynésien qu’un étudiant de science économique acquiert au bout de deux ans. Chose étonnante, Mme Lagarde, gouverneur de la Banque centrale européenne, est une juriste. Il est vrai que la BCE est une expression de l’intégration politique de l’Europe bien plus qu’une chance de prospérité économique.

Le désamour pour la science économique est partagé par l’ensemble du pays. Les questions sont complexes et exigent un effort de réflexion que les gens ne veulent pas fournir, ni les élites politiques, ni les citoyens. Ils n’y sont tout simplement pas préparés. L’instantanéité de l’information est rarement compatible avec les sujets abordés et la longueur nécessaire d’un raisonnement rigoureux est insupportable à la plupart. Les Français se saoulent plus facilement d’anecdotes et de commentaires de science politique élémentaire.

Ceci se rattache au grand mouvement anti-scientifique que notait récemment Didier Raoult dans le domaine de la médecine. Ainsi, les acteurs politiques ont surtout besoin, pour leur carrière, de deux éléments : le droit pour gouverner et la com' pour se faire élire ; d’où l’envahissement du droit public dans la société et de ses serviteurs dans les hautes sphères du pouvoir ; d’où, également, le recours à l’émotion et la course à l’exposition médiatique, assez pour bloquer tout débat sur des questions sérieuses ! D’ailleurs, en 2022, n’a-t-on pas un Président qui affirme ne vouloir débattre avec quiconque avant de redemander un nouveau mandat ? La France est engagée dans une évolution socioculturelle marquée par la domination de la forme sur le fond, domination qui imprègne et renforce toutes les évolutions expliquant notre déclin national.

La notion même d’économie s’est rétrécie, la plupart des gens qui en parlent n’y incluant que les problèmes de court ou moyen terme : la répartition d’un gâteau qui s’effrite, les équilibres budgétaires et extérieurs, les impôts, le chômage qui monte ou descend selon l’intensité des aides à l’emploi. Même à court terme, d’ailleurs, quand le ciel s’assombrit, les gouvernants n’assument pas les conséquences lointaines de leur politique d’endettement délirant. Ils mettent en avant les seules répercussions du choc ukrainien qu’ils s’empressent, par ailleurs, d’amplifier. Pourtant, l’inflation avait commencé avant et le déficit abyssal des finances publiques encore bien avant. La mise en place précipitée de sanctions économiques contre la Russie aggrave notre situation, n’affectant guère Poutine et favorisant les Américains, ce qui souligne l’amateurisme de nos gouvernants français et européens.

L’anti-développement économique que connaît la France est un phénomène marqué par des évolutions de très longue période : baisse de la croissance de la production face à une population qui a augmenté ; baisse de la qualité de l’emploi offert ; baisse corrélative du salaire réel avec montée de la pauvreté ; baisse de qualité du capital humain par une Éducation nationale sinistrée (dans les deux sens du terme) ; baisse de l’esprit scientifique au profit de l’esprit de parade et du marketing ; baisse des projets d’investissement ; baisse de la liberté de prendre des risques dans sa vie professionnelle ou personnelle par la sacralisation du principe de précaution ; vieillissement de la population ; perte de puissance nationale ; dépendance croissante vis-à-vis d’organismes supranationaux et abandon corrélatif de nos atouts nationaux. Voilà ce que le pays se refuse à regarder en face quand il néglige l’enseignement des sciences économiques pour scruter son déclin.

Bernard Landais
Bernard Landais
Professeur Emérite de Sciences économiques, membre de l’Association Internationale des Économistes de Langue Française

Vos commentaires

28 commentaires

  1. Avec les économistes du « quoi qu’il en coûte », nous sommes sauvés. Ils sauront préserver leur intérêt personnel. Et la France dans tout çà ? On demandera un rapport à la société Mac Kinsey ! L’inflation officielle sera publiée demain (environ 4 %. Qu’importe, l’Etat a déjà anticipé en montant le taux du livret A à 1 % et en augmentant les pensions de retraite de 1,1 %. Et puis n’oubliez pas ce cadeau royal de 18 centimes sur l’essence. Macron a tout bien fait et il serait normal qu’il soit réélu

  2. Triste constat, qui a l’inconvénient d’être pertinent. Nous ne pouvons espérer un vrai débat, quel que soit le sujet, entre carriéristes issus du même moule. Des gens qui ont les mêmes présupposés et les mêmes objectifs personnels ne débattent pas, ils se soutiennent ou se combattent. Pour être productif, le débat doit mettre en scène des compétences, des origines diverses, le sens de l’intérêt général, le souci de bien faire, une vision à moyen et long terme. On en est loin.

    • Plus simplement : à quoi sert la science économique ? Il faut remonter à Smith, Say, Aristote et Xenophon

  3. N’oubliez pas « la fabrique de crétins » elle est à l’ouvre depuis quelques décennies.
    Regarder « hanouna » tous les soir n’a pas que des avantages !
    Ce qui arrange fort bien nos actuels gouvernants car il est plus faciles de diriger un troupeau de con.

  4. D’accord avec M. Landais quand il écrit : ‘ le pays se refuse à regarder [l’économie] en face quand il néglige l’enseignement des sciences économiques ‘. Mais problème : quelle science économique ? Car il n’y a aucune unité de fond, de but et de méthode entre économistes. Or sur le but, la méthode, philosophes (Aristote, John Rawls) et Juristes (pas les légistes; Montesquieu, Josserand) ont de fortes explications oubliées. Réunir à nouveau Droit et Économie ; remettre les maths à leur place.

  5. Voilà qui est très bien résumé.
    On pourrait ajouter que nous avons encore des économistes compétents. Ils sont soigneusement gardés loin des cercles de décisiô…

    • Oui. Mais comme vous le voyez alors que vous commentez le sujet les autres ci-dessus sont à côté . La priorité sera donc d’apprendre à lire et comprendre !

  6. Il y a des confusions dans cette chronique néanmoins intéressante. M. Landais commet sur de Droit les mêmes erreurs qu’il dénonce à propos de l’économie : le ‘droit’ serait le grand obstacle à une saine vision de l’économie. Il confond : 1/ droit (technique de création et application de lois éphémères et politiques par des Légistes) avec : 2/ Droit (grand D), ensemble de principes immuables qui sous-tendent l’esprit des Lois et des Droits, tels qu’enseigné jadis aux Juristes et aux économistes

  7. Il faut reconnaître cher Professeur, que les notions de cash flow, de fonds propres , de price ernings ratio etc ne sont pas affriolantes pour tout un chacun, de plus si vous connaissiez ce que l’on enseigne à l’ENA en économie, vous ne seriez plus étonné de l’état de la France (qui sur le plan comptable est en faillite).

  8. Les économistes intervenants ont surtout le talent de nous expliquer après pourquoi nous nous sommes trompés. Il leur manque le soin de décrire comment les banques et l’administration traitent les petits entrepreneurs… Un nouveau livre à publier pour Monsieur Lemaire ?

    • Oui mais ce n’est pas le sujet de l’article ! La priorité sera donc d’apprendre à lire et comprendre !

  9. Votre mot « effort » est mal à propos dans cette société majoritairement assistée par une République mafieuse et fainéante. Mais cela a toujours été le principe des mafias qui récoltent simplement le fruit du travail des autres pour mener grande vie.

  10. Tsss…. la « science » économique. En tant que scientifique, je regrette, mais l’économie n’est pas une science. Si elle l’était il n’y aurait plus de pauvres depuis bien longtemps :). Non pas que le but de l’économie soit d’éradiquer la pauvreté, mais parce que les riches, ceux qui mènent le jeu savent très bien qu’ils sont plus encore riches quand il y a moins de pauvres.

    • Tout à fait d’accord avec vous! ( une ex-étudiante et pratiquante en sciences économiques et politique): l’art de brasser du vent ! Mieux vaut encore écrire de la poésie , c’est plus utile ( du moins, ça laisse des traces..)

    • Si vous êtes scientifique vous devriez savoir qu’il y a 3 sciences : sciences exactes, sciences expérimentales et sciences humaines. Le drame actuel de la science économique c’est que les sciences exactes (maths) veulent l’asservir. Les sciences humaines sont des sciences car appliquant la méthode scientifique (Claude Bernard); ce fut le cas pour le droit et l’économie, deux sciences désormais dégénérées l’un par le positivisme, l’autre par la mathiness et l’oubli de la quiddité. Back to school!

  11. Pourtant, on avait des pointures avec les membres du cabinet conseil kinsey, pour aider Lemaire l’économiste littéraire.

  12. Avec des professeurs d’économie de haut niveau comme Sandrine Rousseau ou Nathalie Arthaud, on peut être rassuré sur la qualité du débat.

    • Oui mais ce n’est pas le sujet de l’article ! La priorité sera donc d’apprendre à lire et comprendre !

  13. Triste constat du déclin de notre pays, victime depuis des décennies du « et en même temps » politique, 40 ans de socialisme et de pseudo capitalisme, c’est à dire d’enrichissement d’ apparatchiks…qui donnent des leçons à la Russie ! Un des symboles de cette errance et de ce gâchis économique, la SNCF, rebaptisée « établissement public à intérêt commercial », parfaite symbiose du gaspillage de l’argent public et en même temps de méthodes de gestion du privé, avec le déficit que l’on connait !

    • Si nos élites ( nos bons à rien) avaient du suer pour arriver, nous n’en serions pas là, mais ces gens ont une grosse cervelle, malheureusement pour nous ils ne savent pas l’employer car il leur manque une chose essentielle l’intelligence , la pratiques et la connaissance du terrain Tout ce qu’ils touchent ils le détruisent à part s’en mettre plein les poches où ce sont des champions de la magouille , ils n’ont même pas la compétence pour effacer les traces de leurs larcins

  14. Bref c’est l’inverse « du covid »ou il y avait toute une cohorte de medecins tous plus ou moins « specialistes » qui venaient nous bassiner a longueur de jours,de semaines,de mois(cela a dire’ toute l’année 2021)de leurs avis,mais là,il semble que ce soit plus ardu,ou peut etre qu’un mink ressortant de son antre?venir faire SA leçon?Tous veulent leurs quart d’heure de gloire televisuelle!

    • Tiens , on les entend plus et on ne les voit plus , les toubibs ! Ils sont en train de prendre des cours accélérés de reconversion en économie,droit et statistiques ?

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