Témoignage : Amélie a survécu à un protocole de fin de vie

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Cet article vous avait peut-être échappé. Nous vous proposons de le lire ou de le relire.
Cet article a été publié le 15/12/2022.

Le ministre délégué chargé de l’Organisation territoriale et des Professionnels de santé, Agnès Firmin Le Bodo, poursuit un tour de France en réaffirmant que le projet de loi sur la fin de vie autorisant une aide active à mourir sera présenté avant la fin de l'été; Elle devrait relire d'urgence l'histoire d'Amélie et de son mari Cédric.

Est-ce un miracle ou un échec ? Amélie de Linage vit aujourd’hui lourdement handicapée mais, le 4 juillet 2020, elle accompagne malgré tout son fils à l’église le long de la nef jusqu’à l’autel pour son mariage : « Il y a des pas qui en valent plus que d’autres », témoigne Cédric, son mari. Suite à une fausse-route alimentaire, elle s’étouffe en 2014, son cerveau manque d’oxygène pendant quelques minutes et elle est diagnostiquée d’un état de mal épileptique aggravé. L’annonce tombe comme un couperet, le cerveau paraît très fortement endommagé et elle n’a aucune chance de s’en sortir. Cinq jours après l’accident, les médecins engagent un protocole d’arrêt des traitements en fin de vie.

Les choses vont vite, beaucoup trop vite pour le mari qui s'alarme, d’une part de ne pas avoir été prévenu de l’arrêt de l’alimentation, et d’autre part par le fait que les médecins ne recherchent pas les directives anticipées d’Amélie. Il confie à BV : « C’était tellement sûr qu'elle était morte pour eux qu’il était naturel de tout arrêter, il n'y avait pas d'autre solution. » Malgré tout, si le risque de décès était réel pour cette mère de cinq enfants, et le risque de handicap très probable, Cédric reproche cet aspect systématique et expéditif d’une première décision d’arrêt de l’alimentation prise sans consensus. Alors qu’elle ne devait pas survivre à l’extubation, elle se met soudain, contre toute attente, à respirer naturellement, mais elle n’est pourtant toujours pas alimentée et ne reste hydratée qu’au minimum vital. Cédric insiste auprès de l’équipe et finit par obtenir une reprise de nutrition seulement 15 jours après. Las, son état se réaggrave et la fin de vie semble immédiate. Elle serait en état de quasi-mort cérébrale, mais une amie qui se tient auprès d'Amélie l’entend émettre quelques faibles syllabes. Son cerveau fonctionne ! L’amie comprend les propos d'Amélie : elle dit qu’elle a mal au dos, qu'elle a faim et soif. Les médecins se sont trompés. Amélie a failli être victime d’un protocole de fin de vie précipité.

Aujourd’hui, l’époux se bat pour que cette erreur de fausse certitude ne se reproduise plus. Et il dénonce : en plus d’une erreur de diagnostic, en prenant cette décision d’engager l’arrêt des soins, les médecins ont décidé que le handicap serait trop lourd à supporter et que cette vie ne valait pas d’être vécue ni d’être risquée. « Environ 1.500 personnes vivent en état pauci-relationnel, en France, note Cédric de Linage. C’est une épreuve extrême et je reste humble vis-à-vis de ceux qui doivent y faire face, mais comprenez-vous le message envoyé aux aidants et aux malades ? » Il poursuit : « Le sens même de la solidarité impliquerait au contraire que soit promu et garanti en premier ce besoin réellement vital de solidarité, et c’est la même chose pour tout diagnostic de fin de vie, de maladie ou de handicap, de construire un accompagnement le plus adapté aux directives, à la situation et à l’éthique. »

Les débats actuels sur la fin de vie viennent télescoper le combat de Cédric. « Il y a urgence, affirme-t-il. À partir du moment où les médecins pratiqueront régulièrement les euthanasies, je sais que l’habitude et la facilité prendront la place rapidement du prétendu choix : imposer une approche pragmatique a été ici difficile ; demain, cela deviendrait impossible. » Il montre que les mots sont piégés. « Évoquer le "mourir dans la dignité" sous-entend qu'il y aurait une indignité à vivre. » Il en appelle à « un choix de société, pour aider à vivre dans la dignité ». Il dénonce les dérives de l'aide à mourir légalisée, « une tentation, une épée de Damoclès pour l’aidant et pour tout handicapé » : « Ce serait un abus de faiblesse institutionnalisé, un abandon de la personne. » Étonnamment, le compte Twitter d’Amélie est bloqué par l’#ADMDFrance. Pour son mari, « il y a sans doute une situation qui dérange, Amélie démontre que les choses sont beaucoup plus compliquées… » La question de fond n’est pas « qui décide en dernier ressort » mais bien « comment on prend le temps de construire ensemble un consensus adapté à la situation dans un cadre éthique ».

Dans une pièce de théâtre …plus je l’ai aimée, Cédric raconte leur histoire et écrit ces mots au sujet de sa femme : « Son intelligence, son cœur, sa volonté ne sont que des portes de son âme. Même cabossée, son âme est toujours à aimer : non pas de cœur à cœur seulement mais d’âme à âme. Et c’est quoi, l’amour, si ce n’est cette communication immédiate d’une vie intérieure à une autre vie intérieure ? » Un message qui va bien au-delà du combat pour la vie, une ode à l’amour conjugal et à la liberté intérieure permettant de se dépasser dans les pires difficultés. « Quand c’est dur, même quand c’est très dur ou extrêmement dur, et même si ça dure, il est un choix qui ne m’a jamais laissé le moindre regret. » Promouvoir le choix individualiste contre l’éthique, c’est, contrairement aux apparences, rendre impossible le choix de l’amour.

Cet article a été mis à jour pour la dernière fois le 28/08/2023 à 11:18.
Iris Bridier
Iris Bridier
Journaliste à BV

Vos commentaires

18 commentaires

  1. Cet homme a eu raison de s’entêter pour sa femme qui, elle, n’avait sans doute jamais exprimé de souhait quant à l’euthanasie. Les médecins ont dans ce cas commis une faute déontologique par suffisance et par négligence, voire désinvolture, vis à vis de la patiente et de sa famille. Tout en disant cela, je suis pour qu’un choix répété et conscient sur notre propre fin de vie soit pris en considération par le monde médical, sans que ce soit nécessairement d’ailleurs par voie législative. Et je réfute cette idée que notre vie ne nous appartient pas.

  2. Le sujet de l’euthanasie est extrêmement grave pour être débattu par des politiciens, notamment dans notre monde contemporain qui a placé l’Argent au dessus de l’Humain. Les penseurs Grecs, Romains, ceux qui ont posé les bases de notre civilisation et j’écarte les propos de bon sens des hommes d’église pour les rétifs à l’idée de religion, nous ont enseigné que la vie d’un Homme se devait d’être privilégiée car répondant d’une dimension sacrée et ont édicté nombre de serments qui sont toujours prêtés aujourd’hui par ceux qui décident de se mettre au service de leur prochain.

  3. Mes propos n’engagent que moi , mais en tant qu’adhérente à l’ ADMD , je suis pour l’euthanasie ! Je refuse tout acharnement thérapeutique , je refuse les soins palliatifs , je refuse de devenir un légume , entre les mains de beaucoup de charlatans dans le hôpitaux qui n’agissent que dans leur interêt financier ! Pour info dans les années 70 , j’ai vu ma grand mère maternelle que j’adorais , passer ses 2 dernières années , allongée sur un lit d’hôpital ! Je l’ai vue dépérir couverte d’escarres Des charlatans l’ont opérée 2 fois d’un cancer de la vessie , pour la 2ème fois lui mettre une poche ! Et quand je vois que de nos jours ce genre d’opération est toujours d’actualité , je me pose des questions …..Tout ça n’est qu’une histoire de fric , de gros sous ! Aussi et à partir de ce jour , j’ai toujours dit et je le répète , JAMAIS je ne pourrai supporter cette horreur et cette humiliation ! Et si’l le faut et si je peux bien sur , je m ‘ euthanasierai moi même .

    • On peut supposer donc que vous auriez volontiers euthanasié un certain Stephen Hawking… Tétraplégique, incapable de parler de se mouvoir mais, quelle intelligence et quel apport pour l’humanité. Belle mentalité que la vôtre ! Vous considérer sans doute, comme certains de sinistre mémoire en Allemagne de 39 à 45 qu’il faut éliminer tous les enfants mal formés, les faibles, les invalides car votre mentalité mène tout droit à ces dérives.

  4. A claquer dans la face des thuriféraires de l’extermination des faibles, des handicapés et des vieillards grabataires! Avec les erreurs judiciaires, nous auront ce type d’erreurs en plus.

  5. J’ai beaucoup apprécié, de mon fauteuil roulant, cette page où l’intelligence et le courage animent ce couple. Les médecins m’ont beaucoup déçu également car pour eux un invalide n’est pas intéressant. Pour eux il est temps qu’il meurt.

  6. Un couple d’amis a vu leur fils unique dans le coma à la suite d’une chute à vélo. Il avait 12 ans. Ils ont refusé qu’il soit débranché, les médecins le jugeaient perdu. Il s’est « réveillé » au bout d’un mois, il a 50 ans aujourd’hui.

  7. Voilà un article qui fait bien réfléchir: peut-on donc légiférer sur l’euthanasie, et le droit de mourir « dans la dignité »? Au lieu de se renvoyer la balle et de s’engueuler sur le sujet, il est temps de se mettre autour d’une table, et de déterminer quelles actions prendre en toute responsabilité, et devant chaque cas.

  8. Je vais dire, suite à cette histoire qui finit bien qu’elle a eu plus de chance que Vincent Lambert.
    En effet, ses parents ont été interdit d’aller dans sa chambre au moment où l’équipe de « soins » (sic), un cousin (un cousin est plus près que des parents?) et sa femme qui voulait refaire sa vie mais aps divorcer, ont décider de finaliser ce qu’ils avaient dans la tête depuis des années.
    Même le fameux cousin a trouvé que cette fin de vie avait été horrible et semblait douloureuse.
    Félicitations à la famille d’Amélie d »être arrivée à se battre pour elle.
    Qui peut affirmer que la vie, quelle qu’elle soit ne vaudrait pas d’être vécue. Qui peut s’autoriser à dire qu’elle (V .Lambert ou les 1500 personnes comme eux) seraient indignes de vivre?
    Eux, qui veulent les tuer, en sont ils dignes de vivre?
    (L’ADMD = Roméro copain d’Attali entre autres politiques véreux)
    Professionnellement, je peux vous affirmer que 95 voire 99% des personnes, fussent elles handicapées, en fin de vie, si elles ont un vrai protocole anti douleur, ne veulent pas mourir!

    • Vos propos sur la femme de Vincent Lambert sont abjects . Quant aux parents leur dérive catho les a totalement
      empêché de comprendre quel était le véritable intérêt de leur fils.

  9. Ce très beau témoignage montre que la question est beaucoup plus complexe que certaines voudraient le faire croire …

  10. Le sujet est scabreux, d’où la nécessité de travailler sur des protocoles évitant les dérives. Chacun y trouvera la sérénité en ce moment de décision majeure.

  11. Les medecins ne sont pas le bon dieu dix mille erreurs medecale par an en FRANCE moi même ayant été victime et mon medecin aucune excuse JACQUES TIAR

  12. Super article , très émouvant .Voir « la mort et le bûcheron  » de Victor Hugo .La dernière phrase « plutôt souffrir que mourrir , c’est la devise des hommes  » .A méditer ….

    • Oui, nous le retrouvons dans nos services tous les jours.
      La réalité (hormis actuellement où on veut se débarrasser de ceux qui coûtent sans rien rapporter) est que l’entourage veut arrêter la souffrance psychologique qu’ils ont, eux, de voir leur ami, parent, patient, souffrir comme cela, car cela les met devant leur souffrance, leur mort , et la disparition de l’autre leur permet ainsi, de retrouver le déni d’une éventuelle souffrance pour eux et de leur mort, par contre, inévitable

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