Les Tontons flinguent leurs soixante bougies

tontons flingueurs

Archipellisation de la France oblige, il y a désormais le cinéma des villes et celui des champs, avec films et publics différents. Il fut pourtant une époque où un cinéma plus fédérateur existait encore, tels ces Tontons flingueurs dont nous soufflons actuellement les soixante bougies.

Ainsi la pochade de Georges Lautner fait-elle désormais partie du patrimoine national, rassemblant jeunes et vieux, riches et pauvres, électeurs de droite et de gauche, compatriotes de souche comme de branche. Ses répliques sont même devenues autant de mots de passe entre initiés d’une sorte de secte dont les membres se comptent néanmoins par millions.

À ce degré de connivence, il n’y a guère que La Grande Vadrouille (1966), Les Aventures de Rabbi Jacob (1973), de Gérard Oury, et Le Père Noël est une ordure, de Jean-Marie Poiré (1982), qui puissent en afficher autant. Le point commun entre ces œuvres ? Le plaisir de les regarder ensemble, un peu comme une finale de Coupe du monde de football. Comme une de ces communions se faisant aujourd’hui de plus en plus rares.

Le génie de la musique de Michel Magne

Dans le cas de nos Tontons flingueurs, rien n’était pourtant joué d’avance, tant ce film n’avait rien de programmé pour le succès qu’on sait. À l’origine, il y a le livre d’Albert Simonin, Grisbi or not grisbi, publié dans la Série noire, nous rappelle l’excellent Philippe Durant dans sa biographie consacrée à Michel Audiard (Dreamland Éditeur). Mais comme ce dialoguiste est connu pour chambouler les ouvrages dont il se porte acquéreur, il transforme ce roman lugubre en véritable farce. D’où ce scénario en roue libre, l’oncle de Montauban venu préserver les intérêts de sa nièce Patricia, fille d’un de ses vieux copains truands, le Mexicain. La suite n’a évidemment ni queue ni tête ; mais peu importe. La musique, signée Michel Magne, participe du même je-m’en-foutisme ambiant, puisque restreinte à quatre notes et ensuite déclinée en rock, valse, musique religieuse et même interprétée par un seul banjo ; celui qui accompagne les fameux bourre-pif régulièrement assenés par un Lino Ventura énervé à un Bernard Blier en permanence hébété.

Pourtant, derrière ce laisser-aller manifeste, il y a une mécanique du rire qui jamais ne faiblit. Une rigueur toute prussienne, somme toute. Et même des cadrages audacieux d’un Georges Lautner en quasi état de grâce qui ne sont parfois pas loin de rappeler ceux de l’expressionnisme allemand, avec angles de biais, noirs et blancs plus que contrastés. Mieux : malgré un budget plus que modeste, le cinéaste persiste à croire au potentiel de son film.

Un rôle dont Lino Ventura ne voulait pas

Il se sent parfois bien seul. Jean Gabin refuse le rôle, finalement attribué à Lino Ventura, mais qui, en ces termes, se désole : « Je ne ferai rire personne… » Ce à quoi Georges Lautner lui rétorque : « Vous avez le talent, pour le reste, faites-nous confiance. » Ce dernier avait surtout confiance en Michel Audiard : « Les dialogues de Michel étaient humains, partant du cœur. Ils étaient poétiques aussi, car Michel était un vrai poète. » « C’est curieux, chez les marins, ce besoin de faire des phrases » est une réplique géniale dans la bouche de Francis Blanche par rapport à la situation, et c’est une phrase plutôt poétique, finalement.

L’impitoyable mécanique du rire

Et c’est là que le génie d’un Michel Audiard préfigure celui d’un Francis Veber, l’homme de La Chèvre (1981) ou du Dîner de cons (1998), c’est qu’au lieu de signer des répliques drôles, il les écrit banales, quitte à les rendre drôles par la drôlerie de la situation. Ainsi, quand Claude Rich, dans le rôle d’Antoine, l’amant de Patricia, compositeur de musique atonale, affirme : « J’allais enfin toucher l’anti-accord absolu, la musique des sphères », ce n’est pas drôle, mais le devient. Surtout quand Lino Ventura, jouant dans le registre inverse, lui répond : « Patricia, mon petit, je ne voudrais pas te paraître vieux jeu ni encore moins grossier… L’homme de la pampa, parfois rude, reste toujours courtois, mais la vérité m’oblige à te le dire, ton Antoine commence à me les briser menu ! »

Et là, confluence miraculeuse des talents, premiers et seconds rôles, les dialogues deviennent aussi drôles que la situation. Bref, c’est fromage et dessert. Du grand art, signé Michel Audiard. Lors de sa sortie, 3.300.000 de nos compatriotes se ruent dans les salles. Le succès critique est, quant à lui, plus que modeste. Henry Chapier, journaliste à Combat, écrit : « Vous pavoisez haut, mais vous visez bas. » Mais qui se souvient encore de ce monsieur, si ce n’est par les sketches que Les Inconnus lui ont consacrés au siècle dernier ? Alors que nos chers Tontons flingueurs

Nicolas Gauthier
Nicolas Gauthier
Journaliste à BV, écrivain

Vos commentaires

30 commentaires

  1. A rire et a « rerire ».
    merci de ce bel hommage, a ces Géants du cinéma, comme malheureusement il n’y en aura certainement plus.

  2. Très bien Monsieur Gauthier de rendre un juste hommage à cette création cinématographique dont les vertus battent haut la main celles d’ anti dépresseurs de la pharmacopée….

  3. La musique des « Tontons flingueurs » est celle de la sonnerie de mon téléphone. Elle provoque – chaque fois – de grands éclats de rire chez les vieux… dont je suis!

  4. Et avec un Bernard Blier sublime, comme toujours… Il n’est jamais un premier rôle ;et il n’est jamais non plus un second.

  5. Très bel article . Toute une époque où les dialogues participaient à faire du cinema le septième art avec un maitre en la matière à travers Michel Audiard. Gabin, Bourvil dans  » la traversée de Paris  » et « un singe en hiver » avec le duo Gabin Bebel; des chef d’oeuvres au même titre que les meilleures pièces de théâtre. Aujourd’hui les dialogues sont là pour meubler le silence, et encore , je me dis que je préfère le silence . La gauche associative est passée par là avec son charabia de sociologues improvisés et quand vous rajoutez à cela un brin de technocratie , bonjour tristesse ! Ils ont passé leur temps à traiter des faits de société à travers leurs films en nous faisant croire qu’ils ont la solution mais tout va de mal en pis, alors qu’ils se taisent , qu’ils laissent la place aux vrais artistes !

  6. Au moins lorsqu’on allait au cinéma c’était pour se divertir et passer un bon moment. De nos jours , avec es films à thèses il faut une notice explicative pour comprendre , mais une notice politiquement correcte évidemment.De plus on se demande où les acteurs ont pris leur cours de diction.

  7. Le cinéma français moderne a oublié que le principal est dans les dialogues et les répliques. Pagnol avouait d’ailleurs qu’il passait l’essentiel de son temps dans le camion-son et que sa caméra tournait toute seule. Tous nos bons dialoguistes, de Pagnol à Veber, en passant par les Prévert, Jeanson, Jardin, Audiard ont disparu (ou se font très vieux) et la nouvelle génération ne semble pas avoir repris le flambeau. Les acteurs marmonnent, n’articulent pas et on a du mal à saisir les répliques.

Commentaires fermés.

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