Les traîner en justice dès demain ?

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Je ne suis pas de ceux qui minimisent ce que la France est en train de vivre, l'obligation et les difficultés du confinement, les tragédies, les morts qui chaque jour bouleversent. À tel point que ces victimes, des inconnus pour nous, nous deviennent familières, presque connues par la force solidaire du cœur.

Je suis aussi de ceux, rares, qui n'ont aucune honte à avouer leur ignorance et ne se piquent pas de donner des conseils au monde médical et politique pour ce qui concerne les modalités de la lutte contre le coronavirus. J'ai bien compris que tout le monde s'était qualifié docteur.

Si on a le droit de faire preuve d'un peu d'ironie, j'ai relevé avec une satisfaction amère à quel point beaucoup de ceux qui ne portaient pas une réelle considération à la Justice ordinaire, s'en méfiant ou, pire, la dénigrant surtout quand on lui reprochait d'être partiale et politisée, semblent avoir découvert un nouveau passe-temps : menacer, assigner, poursuivre. Si ces intimidations sont concrétisées, nul doute qu'un étrange engorgement demain accablera les tribunaux et/ou la Cour de justice de la République.

Il me paraît même impossible de faire le compte de toutes les personnalités sur lesquelles pèse déjà une épée de Damoclès judiciaire. C'est probablement le moyen le plus efficace qu'on a trouvé pour les mobiliser et leur laisser l'esprit libre afin qu'elles puissent se concentrer sur leur tâche à la fois rude, épuisante mais exaltante pour sa finalité de sauvegarde !

Le Premier ministre Édouard Philippe et Agnès Buzyn ont été les premiers à être projetés dans l'œil du cyclone.

Puis le Premier ministre avec le ministre des Solidarités et de la Santé Olivier Véran.

Encore le Premier ministre et le ministre de l'Intérieur Christophe Castaner pour avoir permis, selon leurs adversaires, la tenue du premier tour des municipales.

Je parie que Jean-Michel Blanquer sera sur la liste. Et Muriel Pénicaud.

Il y aura également d'autres ministres, j'en suis sûr.

Face à un réel angoissant et mortifère qui désorganise une société dans tous ses secteurs essentiels, on peut incriminer à tout va. On pourfend d'abord et on verra après ! Puisqu'à l'évidence, tout le monde aurait mieux agi qu'eux !

Par ailleurs, Jérôme Salomon, le directeur général de la santé, n'est pas oublié à cause, paraît-il, de son passé.

Je ne sous-estime pas le ressentiment public et cette envie à la fois compréhensible et malsaine non seulement d'identifier des responsables mais de préjuger et de nommer avant l'heure les coupables.

Cela va continuer et, après tout, c'est une occupation comme une autre : démobiliser ceux qui tentent de faire le moins mal possible en les accablant pour hier - cela ne pourrait pas éventuellement attendre ? - et à cause d'aujourd'hui. En pleine lutte, on les avertit : demain, ils seront jugés. Leur énergie en sera multipliée, je présume ?

À ma connaissance, je n'ai pas encore entendu - peut-être de la part du RN ? - une accusation contre le président de la République. Puisque certains de ses ministres n'ont pas été à la hauteur selon lui, il a ouvert une brèche : pourquoi pas lui, quand les temps calmes seront revenus et que le fléau aura été remplacé par une frénétique judiciarisation ?

Je crains le pire. Tous les dérèglements sont envisageables. Le citoyen en général le plus doux, le plus équilibré se sent une âme de Fouquier-Tinville et hurler avec les loups est un devoir.

Pourquoi ne pas aller jusqu'au bout d'une absurdité et porter plainte contre le coronavirus ?

Ce serait aberrant mais, au moins, on ne se tromperait pas de coupable !

Philippe Bilger
Philippe Bilger
Magistrat honoraire - Magistrat honoraire et président de l'Institut de la parole

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