Les « valeurs » des libraires, ou l’art de se tirer une balle dans le pied

© Jordan Florentin
© Jordan Florentin

Dans une vieille pub télé pour les rillettes, une dame emperlousée et faux tailleur Chanel lâchait, d’une voix snob : « Nous n’avons pas les mêmes valeurs ! » Le slogan est aujourd’hui repris par les libraires qui, de plus en plus nombreux, refusent de vendre le livre de Jordan Bardella car ses électeurs et ses lecteurs sentent le pâté.

Un livre (Ce que je cherche, Éd. Fayard) qui paraîtra le 9 novembre et qu’ils n’ont bien sûr pas lu. Les libraires ne veulent pas savoir ce que cherche Bardella, encore moins ce qu’il a pu trouver.

Vendredi, notre ami Jany Leroy rapportait, ici, les propos d’un responsable de la librairie Terre des livres, à Lyon : « On a bien un Mein Kampf pour un universitaire et un livre de Zemmour pour un autre chercheur. » Rangés avec un exemplaire de « La démocratie pour les nuls », peut-être ?

L’humanisme a bon dos

Le libraire étant moutonnier, on apprend ce matin, dans la presse locale, que de courageux bêlements se font entendre à travers le territoire. Ainsi à Niort, où le patron de L’Ombre du vent prend la tête de la croisade. Ne pas présenter le livre de Jordan Bardella « est naturel pour cette librairie qui ne souhaite pas présenter d’ouvrages étant en contradiction avec les "valeurs humanistes" de la librairie ». Il espère bien être suivi par ses confrères, ce qui ne fera pas grand monde, vu l’ampleur du commerce de livres dans la ville des mutuelles.

Qu’il se rassure, toutefois, car les voisins vont suivre : « Les librairies indépendantes mayennaises boycottent le livre de l'homme politique d'extrême droite », nous dit France Bleu. « Vincent Bolloré a affirmé ses convictions politiques et, clairement, Fayard devient une de ses vitrines », déplore le patron de M’Lire, Simon Roguet, qui dit avoir été piégé. Le livre était en effet annoncé « sous X », un classique lorsque l’auteur est une personnalité connue, et le libraire déplore : « Il y avait quand même des grosses suspicions, car on sait ce qui se passe dans le groupe Hachette, racheté par Bolloré, et Fayard est la maison d'édition qui est le plus impactée en termes éthique (sic) par ce rachat. » Et d’assener : « Ces partis [le RN et Reconquête, NDLR] ont clairement des visions racistes, non tolérantes avec les étrangers, les migrants, la communauté LGBT, le féminisme. Vincent Bolloré a le droit d'afficher ses idées, on a le droit de répondre en ne voulant pas ce type de livre chez nous. » Et les lecteurs ont le droit d’acheter ailleurs, là où l’on ne se shoote pas tous les matins à la moraline. À ce jeu, pourtant, les libraires sont archi-perdants.

Des records de vente en ligne

Le livre de Jordan Bardella bénéficie d’un premier tirage à 150.000 exemplaires, qui s’envoleront sans doute sans problème. Tout comme le dernier livre de Philippe de Villiers, Mémoricide (Fayard), déjà en tête de toutes les ventes grâce aux précommandes. Et tant pis pour les libraires qui se tirent une balle dans le pied et viendront, demain, pleurer en accusant Amazon de leur manger la laine sur le dos.

On rappellera qu’Éric Zemmour a connu la même mésaventure, en septembre 2021, lors de la sortie de son livre La France n'a pas dit son dernier mot (Rubempré). En deux semaines, le livre s’était déjà écoulé à 130.000 exemplaires. Le Figaro avait alors trouvé quelques libraires courageux, comme cette responsable de L’Atelier 9, à Paris, qui disait : « La dernière fois qu'on s'est posé autant de questions sur un livre, c'était pour les mémoires de Jean-Marie Le Pen. » Elle ajoutait : « Nous ne sommes pas des militants non plus, mais des commerçants. On se doit de proposer l'ouvrage. Si certains l'achètent, très bien, ce n'est pas notre rôle de les en dissuader.» Mais tous, hélas, ne sont pas sur cette ligne.

Le livre de Jordan Bardella va maintenant vivre sa vie. C’est l’occasion de rappeler qu’il a fait une victime quand il n’était encore qu’un projet : c’est le journaliste Jean-François Achilli, « dénoncé » par un mensonge du Monde qui l’accusait d’avoir aidé Jordan Bardella à rédiger ce livre.

Malgré les démentis des intéressés, Achilli a été immédiatement suspendu d’antenne « à titre conservatoire » puis licencié par Radio France pour « faute grave » et « manquements répétés aux obligations déontologiques ». Les prud’hommes trancheront. Début septembre, Jean-François Achilli a rejoint Sud Radio

Cet article a été mis à jour pour la dernière fois le 09/11/2024 à 19:32.

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Marie Delarue
Journaliste à BV, artiste

Vos commentaires

66 commentaires

  1. Ces libraires font fi de 11 millions d’électeurs ! Il faudrait leurs appendre que ;  » L’esprit est comme un parapluie , il ne fonctionne que si il est ouvert » ( Sir James Jean )

  2. On a beau dire, mais finalement Amazon ça a vraiment du bon: on y trouve tous les livres qu’on souhaite et on évite les leçons de morale des gauchos.

  3. si les libraires choisissent de ne vendre que ce qui correspond à leurs idées politiques .Il faut qu’ il changent de métier et même qu’ ils ferment boutique Ils sont la pour vendre même si ce ne sont pas leurs idées

  4. Pourrait on avoir la liste de ces librairies” bien pensantes” afin de faire le bon choix pour nos prochains achats de livres. Et puis n’oublions pas qu’il restera toujours possible d’utiliser les services d’Amazone.

  5. « Librairie qui ne souhaite pas présenter d’ouvrages étant en contradiction avec les valeurs humanistes », il faut se pincer pour ne pas rire, c’est un comble pour une profession relativement protégée de la concurrence et de la vente en ligne, mais nous ne sommes pas à une contradiction près avec les gauchistes. J’espère qu’un jour prochain, ils seront poursuivis pour refus de vente, entrave à la liberté de penser et propagande anarchiste, mais surtout, et cela serait dommage pour les véritables libraires, que le prix du livre redeviendra libre.

  6. Compte tenu de la position des libraires et pour aller dans leurs directions, ils devraient arrêter de vendre tout livre politique ou religieux. Ainsi ils ne pourraient pas imposer les idées de lectures. Désormais qu’ils se contentent de vendre des livres sur les fleurs, les escargots, les ruines etc… ce ne sont pas les sujets qui manquent !

  7. Si les libraires choisissent de leur plein gré de boycotter le livre de Bardella, il est peut-être temps de passer à l’ebook numérique. Mais il est également vrai que la diffusion des idées peut être un exercice dangereux si ces idées ne plaisent pas à tout le monde.Ce boycott a peut-être des motifs un peu moins reluisants que le pur respect à des valeurs soi-disant républicaines …

  8. Essayez de trouvez un guide de tourisme sur la Russie à la Fnac depuis février 22 ! Vous ne trouverez pas ! La bêtise est partout.

  9. Eh bien tant pis pour les librairies….. j’ai commandé le mien Amazon…..voilà
    Tester ma médiathèque année passée pas de livres de MLP …..déjà ils ne sont pas aimables et des horaires différents chaque jour ……..j’ai donc découpé ma carte ……ciao

  10. Ce serait à souhaiter que les libraires ferment, depuis quand un commerçant doit il trier idéologiquement ce qu’il vend, demain ces guignols viendront pleurer sur le mauvais sort que leur fait Amazon, dans le cas d’espèce pourquoi les buralistes vendent ils encore du tabac hautement cancérigène et terrible pour le système cardio vasculaire.

  11. Comment des libraires peuvent ils ne donner qu’une version ? Sans possibilité de se faire une opinion soi même les débats sont impossibles et malheureusement nous dirigeons toujours vers un affaiblissement de la pensée

  12. Surprenant que la politique s’infiltre dans des domines où elle n’a rien a y faire comme le sport ou autre domaines issus des performances intellectuels ou physiques comme quoi que ceux qui en sont les inventeurs n’ont qu’une morale très limité.

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