[Entretien] L’État français bientôt condamné pour « inaction sécuritaire » ?

Interview téléphonique (1)

C'est une première : l'Institut pour la justice, qui se définit comme une association de défense des victimes et contre le laxisme judiciaire, a décidé de porter plainte contre l'État français pour « inaction sécuritaire ». L'Institut pour la justice espère une condamnation symbolique. Son directeur et porte-parole Paul-Marie Sève explique sa démarche qui s'apparente, dans sa forme, à celle des quatre ONG climatiques ayant attaqué l'État pour « inaction climatique ».

Geoffroy Antoine. Vous portez plainte contre l’État français au nom de l’inaction en termes de sécurité. Pouvez-vous nous expliquer votre action en Justice ?

Pierre–Marie Sève. L’institut pour la justice existe depuis quinze ans et notre but est de faire du lobbying pour faire évoluer les politiques publiques en matière de justice. Nous avons réussi à faire passer des amendements et quelques propositions de loi, nous en sommes satisfaits, mais trop peu. En effet, cela fait plusieurs mois, voire plusieurs années, que nous avions l’idée de déposer plainte et faire un recours auprès de la justice administrative contre l’État. Depuis deux ou trois semaines, les choses se sont un peu emballées. Plusieurs affaires nous ont marqués, notamment celle du jeune Antoine Alléno, tué par un multirécidiviste, puis l’affaire d’une jeune femme violée à Nancy par un multirécidiviste condamné à 20 ans de prison 10 ans auparavant, et l’affaire Monguillot, qui a été la goutte d’eau qui a fait déborder le vase. Depuis trois semaines, nous avons retravaillé cette action avec nos avocats et avec une équipe de juristes en droit public. Notre action peut être mise en parallèle avec celle des écologistes où plusieurs associations comme Greenpeace France ont réussi à faire condamner l’État français à un euro symbolique pour inaction climatique. Notre idée est de reprendre cela et d’aller devant la justice administrative pour faire condamner l’État à un euro symbolique.

G. A. Le sens de votre démarche est donc symbolique...

P.-M. S. Toutes les démarches qui visent à faire condamner l’État français pour ce genre de sujet assez large ne peuvent être que symboliques, mais la symbolique peut changer les choses concrètement. En effet, s’il y a un écho médiatique suffisant, par la suite, l’État et les gouvernements qui sont responsables devant le peuple devront assumer ce qu’ils font et ce qu’ils ne font pas. Si on leur montre du doigt leur inaction, ils seront obligés de faire quelque chose. Nous serons à leur disposition pour discuter sur la façon dont il faut agir contre l’insécurité.

G. A. Le motif judiciaire d’inaction est-il recevable ?

P.-M. S. L’État n’agit pas pour endiguer la délinquance et une grande partie de la crise. Nous attaquons l’État français et non le gouvernement Macron, qui n’est pas le premier à avoir mis la France dans cette situation catastrophique au niveau sécuritaire. Sous Jacques Chirac, François Mitterrand, Nicolas Sarkozy ou François Hollande, c’était déjà comme ça. C’est une faute largement partagée. On pense que l’État ne fait rien et qu’il va dans le mauvais sens. Quatre lois sont symboliques : les lois Perben (2002), Dati (2009), Taubira (2014) et Belloubet (2019) interdisent aux magistrats d’envoyer en prison les criminels ou les délinquants condamnés à de la prison ferme. Le magistrat est obligé par la loi de dire que cette peine de prison ferme sera effectuée en intégralité en bracelet électronique jusqu’à six mois de prison, voire un an. Ces lois vont dans le sens de créer de l’insécurité. L’État est coupable par son inaction ou parfois par son action.

G. A. Le problème en France n’est-t-il pas le système judiciaire ?

P.-M. S. Le système judiciaire est pétri de problèmes, mais in fine, c’est toujours l’État qui a le dernier mot. Ce sont les députés, les ministres et les gouvernements qui ont fait voter les lois ayant mis le système judiciaire dans la situation dans laquelle il se trouve. Si notre Justice est idéologue et pauvre, c’est parce que l’État ne lui donne pas les moyens d’agir ni les places de prison qui seraient nécessaires, et lui impose des lois pour prononcer systématiquement des aménagements de peine. Tous les trois mois, le ministre de la Justice fait passer une instruction de politique pénale à tous les magistrats et tribunaux de France. Ces instructions ne visent qu’à une chose : libérer, passer aux aménagements de peine, utiliser des mesures alternatives. Depuis vingt ans, les gouvernements demandent aux magistrats de ne pas punir. Certains magistrats sont fautifs, mais c’est d’abord et avant tout les gouvernants et l’État qui ont la responsabilité de mettre la Justice en état de fonctionner.

G. A. Sur votre site Internet, vous avez publié une pétition. Combien de Français pensez-vous toucher ?

P.-M. S. En 2012, nous avions fait une pétition qui avait atteint 1,8 million de signataires. Nous pouvons atteindre le même niveau. Notre action est relayée dans les médias et nous recueillons beaucoup de signataires depuis quelque temps. Nous pouvons atteindre les 2 millions de signataires.

https://soundcloud.com/geoffroy-antoine-100377981/pierre-marie-seves-institut-pour-la-justice?utm_source=clipboard&utm_medium=text&utm_campaign=social_sharing

Cet article a été mis à jour pour la dernière fois le 21/05/2022 à 19:02.

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