Lettre d’Alger (suite) : le Conseil constitutionnel reprend le pouvoir juridique à l’armée !
3 minutes de lecture
Alors que, désormais, les arrestations ou même les détentions d'opposants se multipliaient, ainsi que les restrictions aux manifestations, les interruptions de connexions Internet et aux médias étrangers ou nationaux, l’élection présidentielle, prévue le 4 juillet, devait-elle avoir lieu ? Oui, et « dans les plus brefs délais » (mais sans dire de quelle durée), avait affirmé, mardi dernier, le chef d’état-major de l’armée Gaïd Salah. Alors que le chef d'État par intérim, comme le nouveau président du Conseil constitutionnel, restaient silencieux, le général Salah réclamait un dialogue fait de « concessions mutuelles » pour résoudre la crise dans le pays... « loin des périodes de transition aux conséquences incertaines ».
Or, c'est cette « transition » que réclamaient résolument les manifestations étudiantes du mardi, les grandes manifestations populaires du vendredi et les médias. D'ailleurs, le bloc du pouvoir se fissurait : désormais, même l'organe officiel du FLN (El Moudjahid, 29 mai) laissait se développer un débat mettant en doute la tenue d'élections le 4 juillet : 4 juillet et transition étaient-ils inconciliables ? Deux possibilités restaient pour débloquer la situation. La première, qui commençait à circuler parmi les milieux opposants, était de présenter un candidat acceptant de n'être élu que pour un an, le temps de réformer les institutions avant de démissionner pour toujours.
Mais redoutant une solution qui lui échapperait et aurait fait courir une période d'incertitude, et agacé de voir l'armée dire le droit, le Conseil constitutionnel a jugé, ce dimanche 2 juin, à 13 h (14 heures en France), que la présidentielle « était impossible à organiser », après le rejet des deux seules candidatures.
Cette décision va avoir plusieurs conséquences : à court terme, d'abord, la rue va être apaisée en cette fin du ramadan (jeudi). À court et moyen terme, l'armée devra respecter la légalité constitutionnelle après s'y être référée si souvent. Restera, à moyen et long terme, à organiser la transition et à lui donner un objectif. Simple répit pour un simple report du calendrier électoral ? Révision ou nouvelle Constitution ? La parole est désormais au peuple et aux juristes. Pour ces derniers il conviendra de tirer le meilleur parti logique possible des articles 6, 7 et 8 de la Constitution. Art. 7 - Le pouvoir constituant appartient au peuple […] Le peuple l'exerce par voie de référendum et par l'intermédiaire de ses représentants élus. Le président de la République [par intérim ?] peut directement recourir à l'expression de la volonté du peuple.
Il conviendra, désormais, que les constitutionnalistes algériens, dans leur belle faculté ultramoderne d'Alger, se hâtent de proposer une solution qui convienne au peuple algérien. Car la transition ne saurait durer plus de quelques mois, sauf à diriger l'Algérie vers un destin incertain et dangereux. Rappelons que, en France, la transition qui mena à la réorganisation du pays dans le cadre d'une Cinquième République, sous la houlette de De Gaulle, avait duré de mai à octobre 1958. Les questions d'une vraie démocratie, des libertés, du système électoral, du type d'économie, des autonomies régionales, seront au cœur de leur travail. Mais il faudra aussi que l'opposition sache ce qu'elle veut. Or, elle a été nivelée par des années de parti unique, d'autocratie et de corruption. Quant au peuple, s'il sait ce qu'il ne veut plus, il est surtout préoccupé par ses problèmes d'économie familiale.
L'Algérie va mal au plan social et en termes de niveau de vie. Il faudra aller vite à la bonne solution. Car les intégristes commencent à donner de la voix et ils apportent leur soutien à l'armée. L'Algérie est un pays quatre fois plus grand que la France, à une heure d'avion de Marseille, dont les frontières sont périlleuses et où vivent des centaines de milliers de binationaux.
NDLR : cette lettre fait suite à celle publiée dans ces colonnes le 22 mai.
BVoltaire.fr vous offre la possibilité de réagir à ses articles (excepté les brèves) sur une période de 5 jours. Toutefois, nous vous demandons de respecter certaines règles :