L’éveil du wokisme ambiant ne cesse de nous endormir
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Lentement mais sûrement, l'idéologie progresse et le serpent fait peau neuve à l'université de Clermont-Ferrand où un syndicat d'étudiants s'oppose à juste titre à la délétère indifférenciation de la nouvelle charte. Les nouvelles recommandations, disent-ils, plutôt apparentées à une terreur intellectuelle ou à des injonctions moralisatrices, partent du point médian mais n’en restent pas là. En outre, les grands défenseurs de la veuve et de l’orphelin, « la gauche idéologique », cherchent par tous les moyens à exercer une tyrannie des idées, un système de pensée manichéen où le réel s’avère hémiplégique.
Avec la refonte du français, on ne défend pas les opprimés, on leur écrase la tête dans le sable. Ce dogme sémantique met en grande difficultés les dyslexiques et d’autres pathologiques cognitifs nourrissant ainsi des échecs scolaires et une perte de sens pour le ciment social dont nous avons tellement besoin aujourd’hui. Mais le langage est le véhicule de l’Histoire. Et l’Histoire est faite de stigmates ; par conséquent, le souvenir de ces cicatrices doit demeurer au nom de la mémoire et de la compréhension de notre passé. Or, que faisons-nous aujourd’hui ? À quelle terreur la cancel culture nous soumet-elle ? Faut-il indifférencier jusqu’à noyer les particularismes, et si l’on noie ces idiosyncrasies, ne risque-t-on pas de distiller le monde dans un magma informe ?
Il faut éliminer les stéréotypes de genre, entend-on dire. On ne saurait représenter une femme en train de rêvasser ou prostrée dans une attitude oisive. L’indolence de Madame Bovary et l’inspiration qu’elle suscite provoquent des remous parmi les idéalistes hors-sol. Par contraste, on ne doit pas montrer un homme dans une posture de mâle alpha, le torse d’un gorille gonflé aux stéroïdes. Plus question d’afficher ostensiblement des acteurs « durs à cuire » comme Belmondo ou Lino Ventura, parce que le jean « skinny » aujourd’hui est de rigueur. Le poncif offense les parangons de la vertu, les tartuffes orwelliens mettant en place la police des mœurs. L’œil dans le viseur, les bien-pensants imposent une police de la pensée et viennent mettre le nez dans l’organisation des ménages, comme le désirait Sandrine Rousseau.
Mais les stéréotypes ne représentent-ils pas la partie innée des individus hommes ou femmes à quoi, bien sûr, nous devons ajouter les caractères acquis, la fameuse « construction sociale » du sexe, selon Simone de Beauvoir ? Nous ne serions que le composé de nos caprices dégenrés, et dès lors que nous décidons d’une dysphorie de genre, alors nous pourrions estimer décider de notre identité génétique. Or, les généticiens confirment l’intuition des philosophes : c’est l’équilibre d’une prédisposition génétique additionnée à l’environnement (« épigénétique »), qui forge notre identité mâle ou femelle.
Déliquescence de notre civilisation
Mais à vouloir uniformiser la langue comme une toile de fond sans relief ni perspective, on risque de rendre la lecture du monde favorable à l’avancée des algorithmes et du tout numérique ; un homme dégenré, asexué : l’androgyne des anciens Grecs réhabilité, nourri par son dévoiement indiscutable.
Au pluriel, doit-on renoncer au masculin qui l’emporte sur le féminin, n’ayant rien d’une supériorité des hommes sur les femmes, mais marque plutôt une certaine neutralité ? Faut-il interdire le mot « kabbale », terme à l’origine antisémite mais qui est accepté et neutralisé dans l’acceptation et la trivialité du langage ? Doit-on abolir l’art nègre et devrait-on aller jusqu’à supprimer les majuscules de peur que les nains se sentent offensés, comme ironisait l’humoriste Fabrice Éboué ?
Reste que le langage est le passage de témoin que nos ancêtres nous livrent et que nous déchiffrons. Or, une tabula rasa faite à la faveur d’une déconstruction liquide risque de faire de nous des nomades égarés jusqu’à devenir des fœtus astraux dérivant à jamais dans l’éther. L’individu-roi est encouragé dans ses foucades et l’infantilisation généralisée risque de rendre inefficient le pouvoir de cohésion sociale de notre civilisation certaine de sa déliquescence toujours plus rapide.
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