Liban : comme en France, la taxe de trop qui met le feu aux poudres

Saad Hariri
Saad Hariri

Comme en France, une taxe de trop a fait descendre des centaines de milliers de Libanais dans la rue avec la volonté ferme de renverser la table : à force de tirer sur la corde, elle se casse. Son retrait n’y changera rien, le vase n’a pas débordé, il a explosé.

En effet, les Libanais, habitués à vivre dans un semi-paradis fiscal, sont devenus la vache à lait servant à combler le déficit budgétaire chronique des différents gouvernements et, surtout, à réduire la dette abyssale de l’État qui, depuis un an, commence à mettre en danger la stabilité de la monnaie, créant par là même une panique et une paralysie de l’économie aggravant encore plus la situation.

La fiscalité réduite n’était pas tout à fait un cadeau fait aux citoyens libanais. Ils payaient peu de taxes et d’impôts mais n’avaient et n’ont toujours pratiquement aucun service public. L’État ne dépense presque rien pour l’Éducation nationale, et encore moins pour la Santé (toutes deux presque entièrement assurées par le secteur privé), ni pour les infrastructures (l’électricité est cher payée et n’est même pas assurée en continu).

Le salaire des fonctionnaires ne justifiant en aucun cas un tel déficit et une telle dette, où va tout cet argent ? En grande partie dans la poche des gouvernants, dans le clientélisme politique, dans la reconstruction des destructions provoquées par des guerres commandées de l’étranger…

Attendant une aide financière internationale sous condition de réformes économiques, le gouvernement a cru bon d’augmenter les taxes et d’en inventer de nouvelles abracadabrantes comme celle qui a mis le feu aux poudres. La crise économique, l’augmentation de la TVA, le risque de dévaluation, l’inflation galopante avaient déjà vidé le portefeuille des Libanais et les avaient mis dans une situation précaire et angoissante.

Quant à la situation politique, elle est aussi complexe qu’incompréhensible par un non-initié. Tous les partis de toutes les confessions participent au gouvernement (sauf les Phalangistes de Sami Gemayel) dans lequel chacun est occupé à torpiller le travail de l’autre pour tirer la couverture à lui. Les Forces libanaises (chrétien) ainsi que le PSP (druze) appellent à manifester, considérant que la politique du gouvernement auquel ils appartiennent est la conséquence des concessions faites par le Premier ministre au Hezbollah et ses alliés (le CPL chrétien de Michel Aoun). Ces derniers ont commencé par une tentative de récupération du mouvement afin de mettre plus de pression sur le Premier ministre et de modifier l’équilibre politique en leur faveur, mais dépassés par l’ampleur de la contestation dont ils sont la cible, pour la première fois, par leurs propres partisans (inédit : des chiites ont osé attaquer des permanences du Hezbollah), ils finissent par changer radicalement de stratégie et lancent des menaces aux manifestants, leur demandant de rentrer chez eux. Des miliciens chiites sont même descendus dans la rue menacer les manifestants avec leur fusil d’assaut.

Les Forces libanaises réclament un nouveau gouvernement formé par la société civile, le Premier ministre Hariri menace de démissionner et de laisser le pays ingouvernable avec une situation financière encore plus catastrophique.

Et si les partis politiques (notamment le Hezbollah et ses alliés) payaient une taxe sur chaque portrait de leurs chefs et chacun de leurs drapeaux accrochés dans le domaine public agressant le champ de vision des citoyens par leur quantité astronomique et leur mauvais goût ? Cela rapporterait certainement plus que les malheureux 200 millions de dollars promis par la nouvelle taxe mort-née.

Cet article a été mis à jour pour la dernière fois le 09/01/2020 à 20:42.
Richard Haddad
Richard Haddad
Historien et politologue - Spécialiste du Moyen-Orient - Directeur des éditions Godefroy de Bouillon

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